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    17/01/2014

    804 cantines contrôlent déjà les entrées grâce à la reconnaissance palmaire

    Dans les établissements scolaires, le juteux business de la biométrie

    Par Nima Kargar

    Plus de 800 collèges et lycées français ont remplacé la bonne vieille carte de cantine par un système biométrique à « reconnaissance des contours de la main ». Un business juteux pas du goût de la FCPE qui dénonce des dépenses excessives.

    Pas de bras, pas de chocolat ? En tout cas, pas de repas à la cantine. Car depuis 2005, de plus en plus de collèges et de lycées de France et de Navarre recourent à la biométrie pour contrôler l’entrée de leur réfectoire. Une simple carte magnétique suffisait encore récemment pour obtenir un plateau. Selon la Cnil, 804 établissements ont ainsi fait le choix d’installer une borne sur laquelle doivent s’identifier les élèves en entrant un code qui leur est propre avant de poser la main sur « un lecteur RCM ».

    Légalité

    Montrer patte blanche pour être autorisé à déjeuner à la cantine ? « Il a pu y avoir quelques réticences ici ou là, au début », concède Pierre Benguigui. « Mais les gens qui s’opposent à la biométrie n’ont pas compris comment ça marche, embraie-t-il. Ils estiment qu’on procède à l’identification d’un individu à partir d’une partie de son corps. Mais ça n’a rien à voir ! » La technologie RCM permet une reconnaissance du contour de la main. Contrairement à une empreinte digitale, elle ne permet pas d’identifier une personne en dehors de ce dispositif, promet-on chez Alise.

    Pas question de constituer un fichier d’empreintes digitales de collégiens et lycéens : la Cnil s’y oppose. La photographie de main est, elle qualifiée de technologie « sans traces » par l’institution. Celle-ci a même émis dès avril 2006 une « Autorisation Unique » conditionnant l’installation de ces dispositifs à un simple « engagement de conformité ». « Avant, il fallait faire une demande en commission », continue Pierre Benguigui, Au total « deux à trois mois de procédure ». Mais comme les demandes se multipliaient la Cnil a décidé de simplifier les démarches.

    Gain de temps

    Surtout, « il y a toujours le lecteur de cartes, pour ceux qui ne veulent pas de la biométrie. Les deux moyens sont inclus dans le même appareil ». Et Pierre Benguigui, joint au volant de sa voiture, d’être saisi d’une comparaison : « Quand vous êtes en voiture, sur le réseau routier, vous pouvez prendre soit l’autoroute, soit la nationale. On peut faire l’un, ou l’autre. Et si vous préférez un mode, vous ne pouvez pas imposer de ne pas installer l’autre moyen ! On a le choix… » On aurait presque envie de crier avec lui « vive la liberté »

    «Ça a tout l’air d’un dispositif rigolo, mais on fait, en fait, l’objet d’une expérimentation» Jérôme Thorel

    Outre le gain de temps supposé – les surveillants n’ont plus à noter le nom de chaque élève ayant oublié sa carte, c’est le surcroît de sécurité qui ferait tout l’intérêt de la biométrie. Car contrairement à une carte, « une main ne s’oublie pas, ne s’échange pas, ne se perd pas », fanfaronne-t-on chez Alise. Plus encore que le risque d’oubli, c’est celui de vol voire de racket qui serait ainsi écarté.

    Business

    Jérôme Thorel, est journaliste indépendant et documentariste, auteur “d’Attentifs ensemble !”:http://amzn.to/10Wod7n Un livre dans lequel il consacre d’ailleurs quelques pages à Alise et à son concurrent Turbo Self. « Ça peut paraître anodin, de passer de la carte magnétique à la biométrie en vendant l’intérêt sécuritaire. Ça a tout l’air d’un dispositif rigolo, mais on fait, en fait, l’objet d’une expérimentation ». Pour ce militant, le dispositif viserait à habituer les enfants à se plier aux contrôles biométriques. Une acceptation reposant une « vision angélique de la technologie » que ne nierait pas le patron d’Alise : « Pour les enfants, c’est quelque chose de magique ! » s’exclame ce dernier.

    A la FCPE, l’une des deux principales fédérations de parents d’élèves, on n’est pas très emballé non plus par la biométrie dans les cantines. Pour son président Paul Raoult, « il est normal qu’il y ait un contrôle. Alors la biométrie pourquoi pas, mais c’est vrai que ce n’est pas trop dans nos mentalités… »

    Surtout, ce qui embête la FCPE, c’est que ces dispositifs « coûtent très, très cher ». A savoir, entre 5.000 et 12.000€, annonce Pierre Benguigui. Le tout pour un gain de temps « pas tellement évident », selon Paul Raoult, qui souligne en outre que « refaire une carte, en cas de perte, ça coûte trois fois rien ! Donc ça a quand même un petit côté arnaque. » Un joli business financé par les établissements, quand ce n’est pas par le conseil régional ou général. Jérôme Thorel évoque ainsi les départements de l’Hérault ou du Gard, où des collectifs comme « Dépassons les bornes » ont fini par avoir raison de ces subventions.

    Réseau

    Alise a fait en 2013 près de 4,5 millions d’euros de chiffre d’affaires. L’entreprise doit avant tout son succès à son logiciel phare de gestion de l’accès à la demi-pension, Arc-en-Self, lancé en 1992 et qui équipe aujourd’hui quelques 2.700 collèges ou lycées. Des établissements qui peuvent alors rejoindre le Club d’utilisateurs, Arc-en-Self, une association « totalement indépendante » affirme Pierre Benguigui.

    «Refaire une carte, en cas de perte, ça coûte trois fois rien ! Donc ça a quand même un petit côté arnaque» Paul Raoult

    Gaëlle Auffret est correspondante du Club pour la région Ouest, et intendante du lycée Nicolas Appert à Orvault (Loire-Atlantique). Pour elle, l’asso est un vrai plus, avec ses réunions régionales et nationales « d’utilisateurs qui peuvent partager leurs pratiques informatiques », et surtout « demander des modifications à Alise ». Le tout afin de mieux « répondre aux demandes des parents d’élèves, à savoir “je veux que mon enfant soit demi-pensionnaire au forfait, ou au ticket, ou ne manger que deux fois par semaine, ou trois fois…” »

    Une charitable initiative qui réunit 598 établissements (tous ne recourent pas à la biométrie mais utilise le logiciel de gestion Arc-en-self). Officiellement donc, le club permet d’exprimer des doléances en toute liberté et de les faire remonter à Alise, via un représentant de la société « invité ». Mais c’est aussi l’occasion d’engager le débat sur la biométrie : « On s’aperçoit qu’il y a des territoires où elle est plus implantée que d’autres, et d’autres où il y a plus d’inquiétudes… On est là pour s’écouter les uns les autres. » Et qui sait, peut-être que certains se laisseront convaincre.

    Quoi qu’il en soit, le Club a visiblement la bénédiction d’Alise. L’entreprise prend à sa charge les 150€ de la première année de cotisation. Arc-en-self, petite association loi 1901, disposait à l’issue de l’exercice 2012, d’un fond de caisse de 84.066€ . Pas mal pour une amicale d’intendants et de gestionnaires de demi-pension !

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