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    07/02/2014

    Du bureau de tabac à la mairie du 20e

    Municipales : Martin Shi, ex-sans pap' et candidat PS

    Par Mathieu Molard

    Sur StreetPress, Martin Shi raconte l'histoire de son arrivée clandestine en France à son engagement pour les Chinois de Belleville. Aujourd'hui, il est le relais de la maire PS auprès de la communauté et travaille à sa ré-élection.

    « J’ai eu le nez pété », raconte sans se défaire de son sourire Martin Shi. « C’était fin 2004, je crois. On prenait le métro avec ma future femme, des mecs ont tenté de lui arracher son sac à main. Je l’ai défendue. » Son gabarit ne le prédestine pas aux bastons de rue. S’il raconte sa mésaventure, c’est avant tout pour illustrer le climat d’insécurité qui règne dans la communauté des Chinois de Belleville. « Chaque Chinois de ce quartier a au moins un proche qui s’est fait agresser », insiste-t-il. Et Delphine, sa femme, d’ajouter : « je me suis fait arracher mon portable plusieurs fois. »

    Si les Chinois sont si souvent victimes, c’est qu’ils ont la réputation de préférer le liquide à la carte bleue et de ne pas porter plainte. Ceux qui n’ont pas de papiers ont peur d’aller voir la police et la barrière de la langue complique un peu plus les choses. Martin Shi se fait l’intermédiaire, accompagne les victimes, échange avec les élus. Il est aussi l’une des figures de proue des manifestations de 2010 et 2011, visant à dénoncer ces violences contre les asiatiques. « Les Chinois ne se mettent pas en avant et manifestent encore moins, mais là c’en était vraiment trop et tout le monde est descendu dans la rue, les anciens, les femmes… »

    Mairie du vingtième

    La majorité socialiste du 20e manque sérieusement de relais dans cette communauté, de l’aveu même de Frédérique Calandra. Jointe par StreetPrerss, la maire de l’arrondissement et candidate à sa propre succession, se souvient : « Pour y remédier, j’avais demandé à mes équipes de chercher des contacts. J’ai rencontré plusieurs présidents d’associations et de fil en aiguille, Martin, porte-parole, d’une association de commerçants. » C’est la perle rare : « dynamique, positif. Il a tenu un bar-tabac donc il a un vrai sens du contact ! »

    Le relai s’avère efficace. « On avait un problème avec les poubelles, témoigne Frédérique Calandra. Les commerçants les sortaient sans tenir compte des horaires de ramassage. » Martin fait passer le mot. Les poubelles se décident enfin à être ponctuelles. Sur les questions d’insécurité, il fait aussi son œuvre. « A l’occasion des mariages, ils font circuler une enveloppe où chacun met un billet », explique la maire. Les sommes sont importantes. Ca se sait et les rackets se multiplient. « Grâce à Martin on a pu faire évoluer cette tradition. » Progressivement, il devient un homme clef pour la municipalité.

    Campagne municipale

    Quand le jeune commerçant « envoie un CV », dans l’idée d’intégrer la liste en vue des prochaines municipales, sans surprises, on l’accueille à bras ouverts. De là à l’imaginer comme le Chinois de service sur la liste rose – où il figure en 23e position, il n’y a qu’un pas… Frédérique Calandra s’en défend : « Quand on est élu en France on est représentant de tout le monde. » Pour Martin Shi, qu’importe : « Bien sûr je veux porter la voix de la communauté, mais aussi celle des petits commerçants. » Et en « homme du terrain », d’évoquer les tracas du quotidien : « Les restaurateurs qu’on embête pour une terrasse qui dépasse de 20 cm. » Et plus étonnant pour un candidat de gauche, la pression fiscale.

    L’homme a d’ailleurs fait un passage éclair au Parti radical de Jean-Louis Borloo. « Pour soutenir un ami, je n’y connaissais pas grand-chose », affirme-t-il. De toute façon, en période de Hollande-bashing, son ras-le-bol fiscal ne le disqualifie pas dans les rangs socialistes : « Vous aurez remarqué que ces derniers temps les impôts ont quand même pas mal augmenté », commente même la maire du 20e. Avant de se reprendre et d’expliquer que « une fois élu, il comprendra que pour mener une action publique, il faut des moyens. » Et de justifier les positions, pas toujours dans la ligne, de son colistier en expliquant qu’il a « la conscience des gens qui ont dû batailler pour s’en sortir. »

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    Martin Shi dans les rues de Belleville. / Crédits : Mathieu Molard

    Clandestin

    Dans le café de Belleville où on le retrouve, Martin sirote un petit noir avec sa femme. Quand je passe la porte, il saute d’une banquette à l’autre et commande un second café au patron. A tu et à toi avec le Gaulois derrière le zinc, il est chez lui. Tandis que sa femme se plonge dans ses cours de compta, il se raconte sans rien cacher. Pas de misérabilisme, ni forfanterie. Grand bavard, une fois lancé, il est inarrêtable.

    Son premier souvenir de la France ? Il porte une moustache ! « C’est l’homme qui a ouvert les portes de la remorque où on était entassés ». Plusieurs dizaines de clandestins, à l’arrière d’un camion sous la canicule de cet été 1999. Le soleil cogne sur les taules. « A l’intérieur, certains tournaient de l’œil. » Rien à boire, rien à manger. « On s’est mis à crier, taper du poing. On ne voulait pas crever là. » Un douanier, alerté par la bronca force les portes du bahut. « Il avait l’air choqué. Il n’a pas cherché à arrêter ceux qui voulaient s’enfuir. » L’ado de 16 ans et demi reste là. « Ca m’a sans doute sauvé la vie. » Quelques mois plus tard, 58 migrants sont retrouvés morts étouffés à l’arrière d’un camion frigorifique, par les douaniers du port de Douvres (Angleterre). Il n’y a que deux survivants.

    « J’aurais pu être parmi eux si je m’étais enfui et que j’avais recontacté les passeurs. Je pense qu’il y avait des gens qui étaient dans le même camion que moi qui sont morts ce jour-là. C’était la même tête de serpent [nom donné aux réseaux mafieux qui organisent les migrations clandestines, ndlr], j’en suis presque sûr. »

    Grande marche

    Un voyage depuis « l’empire du milieu » pour « 10.000 euros au total », avec la mort au bout. Lui aussi voulait rejoindre Londres, où son frère tient un commerce. Il traverse la Russie, l’Ukraine et ensuite… il ne sait pas vraiment. Baladé de train en camion au gré des combines de la tête de serpent, il perd le fil des frontières traversées. Jusqu’à la France, donc.

    D’abord, un foyer en Corrèze, dont il garde un souvenir ému, « sauf de la viande saignante, en Chine tout est mijoté. Manger du sang c’est écœurant ! » Il est resté en contact avec les éducateurs qui lui ont appris le français et aidé à obtenir des papiers. Il gagne un prénom : « Martin » précède désormais « Weiming ». « Je n’ai pas changé, mais les papiers ont changé ma vie. » Et de se prendre à rêver : « Si on supprimait le concept de papiers, la vie de beaucoup de gens serait meilleure. »

    Belleville story

    18 ans et quelques, direction Paname et son quartier chinois. Il ne connaît personne et n’a pas une thune en poche. Grâce à une annonce scotchée sur un mur, rue de Belleville, il trouve un lit. 4m2 à partager à deux, pour 120 euros environ :

    « Certains sans-papiers louent des apparts pour avoir des quittances de loyer et ainsi prouver qu’ils sont présents sur le territoire. Mais les loyers parisiens sont très chers et ils n’ont aucune aide alors, ils sous-louent. »

    Rapidement, il trouve un job de vendeur de maroquinerie. 8 mois plus tard, il décide de partir pour Rouen :

    « J’avais un bon plan : un boulot de serveur avec le logement offert. »

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    Martin Shi (dr.), Anne Hidalgo et Frédérique Calandra (g.) en campagne. / Crédits : DR.

    Tabac

    Finalement, il revient sur Paris où il se marie et décide de racheter un tabac. Les banques lui refusent les crédits. « On a donc monté une tontine ». Le principe : plusieurs personnes s’accordent pour mettre au pot une même somme. L’un des participants utilise cet argent pour monter un business, en échange il verse des intérêts aux autres et les rembourses à tour de rôle. « C’est un système très populaire en Chine, où il n’y a pas vraiment de banques pour les pauvres. »

    Le tabac ouvre en 2003. « On travaillait 7 jours sur 7, de 7h à 20 heures, c’est devenu une véritable prison, commente Martin. On gagne de l’argent, mais on n’a pas le temps de le dépenser. » Trois ans à se tuer au travail, ou presque : « il a fini par attraper la tuberculose », raconte Delphine, sa femme. Un sévère coup de semonce, qui pousse les époux à changer de rythme de vie :

    « Dans la communauté asiatique, certains travaillent trop. C’est bien de gagner de l’argent, mais il faut aussi profiter de sa famille. »

    Aujourd’hui il a revendu son dernier commerce, une boutique d’alimentation, pour se consacrer à la campagne, mais surtout à ses trois enfants… Des triplés. Une pause, simplement pour cet hyper-actif qui prépare un nouveau business, dans le E-commerce, cette fois. « Je ne veux pas en dire plus. »

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