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    21/05/2014

    Flashball, poubelles incendiées et lancer d'oeufs

    A Chelles, une manif lycéenne dégénère en mini-émeute

    Par Inès Belgacem

    200 ados se sont mobilisés contre une modification des heures d'ouverture du portail par le lycée Gaston Bachelard de Chelles (77). D'abord bon-enfant, la manif' dégénère. Bilan: 7 interpellations et le proviseur agressé par... un œuf.

    Lundi 12 mai, aux portes du lycée de Chelles, un œuf vole à travers la rue pour venir s’écraser sur le bouclier d’un CRS. En ordre de bataille, ils sont plusieurs dizaines à avancer comme un seul homme sur les 200 lycéens furieux. « C’était le chaos », témoigne Saher élève en terminale. Postée en retrait, la lycéenne de 18 ans a tout vu : « ils ont répondu aux œufs par des tirs au flashball ! » Une jeune fille est touchée à la hanche. Elle s’écroule, « en poussant un cri », précise Vincent*. « Il y a eu des balles perdues. Des innocents ont été visés à plusieurs reprises », insiste le lycéen au look passe-partout.

    A l’origine de cette scène de guérilla urbaine, la modification d’une ligne du règlement intérieur du lycée Gaston Bachelard, à Chelles. Désormais les grilles de cet établissement du 77 seront fermées à heures fixes. Le portail sera seulement ouvert à chaque début d’heure de cours. « Pour anticiper et éviter d’éventuelles intrusions comme celles qui ont eu lieu, il y a deux mois, au lycée Jehan de Chelles », a expliqué lundi au Parisien le proviseur, Osvald Duenas. Quelques semaines auparavant, des jeunes s’y seraient introduits, matraques et barres de fer en main. Sollicitée par StreetPress, l’administration du lycée n’a jamais donné suite à nos demandes d’interview.

    Colère En découvrant la nouvelle mouture du règlement intérieur les lycéens voient rouge. Madiba* décolle comme une fusée : « Si ça passe, le lycée va devenir une vraie prison. C’est carrément une loi répressive. » Plus mesurée, Johanna pointe le manque de concertation : « Ils ont décidé ça sans consulter personne. » Assise sur une balustrade à côté de l’établissement avec son amie Saher, elle concède ne pas se sentir vraiment concernée : « Nous on est en terminale, mais on comprend la rébellion des plus jeunes ! »

    Si ça passe, le lycée va devenir une vraie prison

    Les organisateurs de cette mini révolution, tout le monde les connaît parmi les élèves. Mais on ne le dit pas trop fort, par peur des sanctions que la direction du lycée pourrait prendre. Veste en jean et T-shirt noir, Madiba raconte son initiative : « Tout s’est fait par le bouche à oreille. » Vincent, le bras droit, d’ajouter : « La veille, on a investi les réseaux sociaux. Facebook, Twitter, Snapchat, Google, tout ! » Lundi 12, jour de l’application de la « loi répressive », il y aura un blocus. « On ne savait pas trop comment s’y prendre », avoue le leader.

    Oeufs Lundi, 7h30, ils sont une dizaine devant le bahut. « Les grilles ouvraient à 8h15. Le but : ne laisser entrer personne. » De nombreux élèves rejoignent leur cause au fur et à mesure que l’heure avance. Ils sont bientôt deux cents. « A 11h, on était massifs », se souvient Vincent. Dans la foulée, Apou a une grande idée : aller acheter des œufs. Une dizaine de minutes plus tard, c’est l’omelette : « Ils visaient les gens qui entraient dans le lycée », raconte Saher. Les œufs volent partout : sur les grilles, sur le perron de l’établissement, si bien que l’un finit par atterrir sur le directeur. Les ados sont en liesse. Apou, jamais à court d’idées, se lance dans une nouvelle entreprise : « J’ai mis le feu à une poubelle ! », raconte le garçon, fier comme Artaban. « C’était une action symbolique. Pour montrer qu’on ne se laisserait pas faire », affirme Vincent.

    Ils visaient les gens qui entraient dans le lycée

    Les choses commencent à dégénérer plus sérieusement. Des pierres volent, une bouteille en verre se fracasse au milieu des lycéens. Selon nos interlocuteurs, les casseurs seraient venus des lycées voisins, de Chappes et la Grande Prairie, « les quartiers chauds de Chelles » selon Johanna. « On n’avait pas prévu ça », avoue Apou en se grattant sous la casquette.

    Poulets Vers 10 heures une poignée de policiers débarque. Suivie un peu plus tard par une compagnie de CRS. Boucliers en mains, casques sur la tête, les forces de l’ordre se préparent en retrait. « Ils ont pris leur temps pour s’installer. Ça a encore plus excité les manifestants », se souvient Saher. Ils finissent par se mettre en ligne et à charger. « Ils ont utilisé des flashballs. Contre des oeufs ! C’est n’importe quoi », raconte bravache Chris, élève en première. L’intervention fait son petit effet : « Ça courait à droite, à gauche, partout. C’était un vrai bordel », rembobinent Saher et Johanna. Les deux jeunes filles s’éclipsent à ce moment-là.

    La tension reste vive, et selon certains l’affrontement se serait poursuivi jusqu’aux interpellations : selon le Parisien, sept jeunes sont embarqués au commissariat. Joint par StreetPress, le parquet n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. Parmi les interpellés, un ami de Vincent. « C’était un innocent. Il n’a rien fait, même pas lancé un œuf. Et pour ça, il s’est pris 48 heures de garde à vue, raconte le garçon. C’est comme cette fille qui s’est fait tirer dessus et qui n’était même pas dans la manif. » La seule à avoir été « blessée ». Elle s’en est sortie avec un hématome à la hanche.

    Bassecour Du côté de l’administration de l’établissement, on ne souhaite pas répondre à nos questions. Pour l’instant, aucune sanction n’a été prise contre les fauteurs de troubles. « Les organisateurs du blocus n’auront rien. Mais ceux qui ont lancé des pierres oui. On a notre petite idée sur les concernés », lâche une surveillante postée à l’entrée du lycée. « Avec eux on ne sait jamais », marmonne Vincent échaudé.

    Un manuel de révision en main, la surveillante prend le soleil au calme. « En général, on n’a pas vraiment de problème ici. Il y a des bordeleurs comme partout, mais pas de vrais méchants. » Les élèves ont d’ailleurs continué leur manifestation mardi et mercredi, de manière beaucoup plus pacifique : ils ont fait des sit-in. Et l’établissement a fini par proposer un compromis aux délégués de classe : « Ils vont installer un bouton pour qu’on puisse ouvrir les grilles. Qu’on puisse sortir quand on veut. Mais on ne pourrait pas entrer », explique Chris, pas vraiment convaincu. Et Vincent de conclure : « ils n’ont rien changé au final. »

    *Inquiétés par de possibles heures de colles, les lycéens ont préféré garder l’anonymat.

    Ils ont utilisé des flashballs. Contre des oeufs ! C’est n’importe quoi

    bqhidden. Les organisateurs du blocus n’auront rien. Mais ceux qui ont lancé des pierres oui

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