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    08/07/2014

    Il joue l'empereur pour les plus grandes reconstitutions européennes

    Frank, avocat et sosie officiel de Napoléon

    Par Benjamin Leclercq

    A 46 ans, Frank Samson est l'empereur incontesté des reconstitutions historiques européennes. En 2015, après Waterloo, il a prévu d'abdiquer. Est-ce le Belge ou l'Américain qui va prendre sa place ?

    Paris 16e, avenue Kléber. En ce pluvieux après-midi de juin, Napoléon est cloîtré dans son bureau. « Il est occupé, désolé » : son aide de camp, la blonde Ludmila, nous envoie sans ménagement ni sourire nous ennuyer un bon quart d’heure dans l’antichambre.

    Permis à points Des lointains éclats de voix impériaux filtrent de drôles de mots : « perdu ses points », « infraction », « client »… L’Empereur bosse. S’imposer comme LE Napoléon officiel des plus grandes reconstitutions historiques en France et en Europe n’a pas dispensé Frank Samson de gagner sa croûte : au civil, il est avocat, spécialiste du code de la route.

    Frank Samson, 46 ans, a deux passions : les uniformes militaires et Napoléon. Pendant longtemps il geeke en solo, sur eBay et chez son costumier préféré, customisant d’année en année sa garde-robe. Il se contente alors d’habiller tranquillement chez lui des mannequins à la mode Empire. Rien de bien méchant… Mais le gentil hobby va dégénérer.

    Sacre Son accession au trône, il la doit en fait à un seul homme, son costumier préféré. Un beau jour le brave homme, breton de son état, interpelle en effet Frank : la ville de Dinard organise une année impériale, vous devriez venir en uniforme ! L’avocat parisien déshabille un mannequin et se pointe en Empereur au Casino de la cité bretonne pour la soirée d’ouverture; son épouse grimée en Impératrice l’accompagne.

    Malgré un costume « tout pourri », juge-t-il aujourd’hui en se marrant devant les photos, il est invité pour la grande reconstitution qui suivra. Puis réinvité. Et réinvité encore. Un sacre tacite : la communauté des reconstitueurs l’a adopté. Neuf ans plus tard, Napoléon-Maître Samson est au faîte de sa gloire. Il enchaîne les batailles, aux quatre coins de l’Europe, « 6 ou 7 fois par an». En avril dernier c’est devant 40.000 spectateurs qu’il jouait les adieux de Napoléon à Fontainebleau. En juin 2015, plus de 100.000 personnes pourront payer des prix Lady Gaguesques – jusqu’à 58 euros la place assise – pour le voir rejouer Waterloo, à l’occasion du bicentenaire de la fameuse bataille.


    Who is the boss ?

    Comme souvent dans l’histoire des grands hommes, l’accession de Maître Samson aux commandes de l’Empire s’est jouée sur un heureux concours de circonstances. Car lorsque notre avocat s’essaie au travestissement impérial, en 2005, le monde de la reconstitution historique d’obédience napoléonienne est justement orphelin. Le précédent Napoléon, Armand Frascuratti, corse qui plus est, a eu la mauvaise idée d’abdiquer en 2003. Sans successeur. Une insupportable vacance du pouvoir s’installe, qui laisse les troupes sans chef sur les champs de bataille.


    Franck-Napoléon fait ses adieux à la Garde.

    Sosie Ce jour-là, avachi dans son gros fauteuil de bureau, chauve et sans bicorne, l’Empereur manque un peu de superbe. « Dans la reconstitution, on cherche une vraisemblance physique, pas des sosies », détaille l’Empereur, qui avance ses points forts : la fossette sur le menton – « c’est important », un nez crédible, et surtout un beau bide. « Et encore, je suis à peine assez gros, car Napoléon était devenu vraiment gras sur la fin ».

    Mais plus qu’à son physique, c’est grâce à un perfectionnisme obsessionnel et pas mal d’investissement que Maître Samson, strictement bénévole, a conquis sa légitimité dans le milieu fermé des reconstitueurs. Du genre à claquer 12.000 euros pour reproduire à l’identique la petite tenue du sacre de l’Empereur, cape comprise. Du genre à porter la même eau de toilette que l’Empereur – l’eau de Cologne Farina – dans le même flacon, dégoté 40 euros sur eBay, qu’il glisse dans sa botte sur les bivouacs ou à introduire « 10% de cheveux blancs » dans sa perruque pour faire concorder la teinte capillaire avec l’âge du capitaine au moment des batailles…

    On va les baiser au cul !

    Scrupuleux, l’homme a épluché les bio de l’Empereur et les récits de ses contemporains pour coller au personnage. Il a appris à monter à cheval, à danser le quadrille français et à parler corse, car « Napoléon usait volontiers de sa langue natale lorsqu’il jurait, avait envie de faire pipi ou montait à cheval ». Il a aussi fait siens une flopée de gros mots. Le colérique Napoléon pouvait en effet être ultra vulgaire. « On va les baiser au cul », répétait-il ainsi avec tendresse à propos de ses ennemis. Sur les bivouacs, cependant, Frank Samson a encore un petit truc à bosser : « Je suis trop souriant ».

    L’Empereur semble bien dans son costume. Bedon en avant et mimiques sentencieuses:la galerie photo de sa page Facebook exhibe un Samson à fond dans son rôle. Et sous les photos, dans les commentaires, ça donne du « Sire » et du « Mon Empereur ». Il va jusqu’à poster les Unes des mag’ d’histoire qui lui sont dédiées. Bientôt trop grosse pour son bicorne, la tête impériale ? Maître Samson se défend de toute ivresse du pouvoir :

    « Ça reste un loisir. J’incarne Napoléon comme d’autres feraient du golf. »


    Le sacre de l’impératrice Joséphine.

    Micro-nation Frank aime l’Empire. Bien avant d’incarner Napoléon, l’avocat s’est entraîné grandeur nature, en fondant en 1996 un micro-Empire au fin fond de l’Ille-et-Vilaine (Bretagne), l’Empire de la Basse Chesnaie, qu’il gouverne bien sûr. La Constitution de tout de même 53 articles dessine un Etat tout à sa gloire : le drapeau national est frappé d’un F comme Frank. L’Empereur nomme et révoque comme il l’entend les Grands Dignitaires de l’Empire. Il a placé femme et enfants aux postes stratégiques, et donné leurs prénoms aux provinces de son empire: la Delphinie, la Victorie et l’Octavie, etc. Une fièvre impériale et potache qui a tout de même conquis 259 individus, le nombre des citoyens beauchesnois.

    Le Corse, le Belge et le Ricain Jouer Napoléon dans une bataille réunissant parfois plusieurs milliers de participants et bien plus encore de spectateurs, c’est quand même un peu la classe. Alors, contrairement à 2003 la relève se presse désormais au portillon. Le club des Napoléons compte aujourd’hui deux autres membres actifs. Il y a d’abord l’Américain Mark Schneider, mais « il ne vient plus trop en Europe ces derniers temps », précise l’avocat parisien, manifestement pas mécontent que la concurrence ne s’aventure plus sur ses terres. Cet ancien soldat de l’armée US est employé du musée de Williamsburg pour jouer les personnages historiques. Il a été un Napoléon assez en vue, et a notamment incarné l’Empereur à Waterloo en 2005, à l’heure où Samson débutait tout juste dans le métier.

    Et puis il y a l’outsider, le Belge Jean-Gérald Larcin, aka « La Doublure », comme le surnomme le milieu… Joint par StreetPress, le monarque concurrent a refusé de répondre à nos questions. « Jean-Gérald me remplace lorsque je ne peux pas être là, et il est mon successeur annoncé », nous explique Frank Samson. Un bon choix ? « Il n’a pas la fossette… mais il a un très beau nez ».

    Abdication Car Maître Samson a fait son temps. « J’abdique en 2015, après Waterloo ». Il s’est gardé le bicentenaire de la déroute comme un dernier petit plaisir. Pour Samson, céder le pouvoir est « une question de crédibilité », car l’âge au moment des batailles correspondra de moins en moins, « et puis ça fera 10 ans, on va se reposer ». L’heure de « la Doublure » a bientôt sonné…

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