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    08/01/2015

    Pour les médias, c’était « le troisième homme »

    La folle journée de Mourad Hamyd

    Par Robin D'Angelo

    Mercredi matin, Mourad, 18 ans, était en cours avec ses potes de lycée à Charleville-Mézières, pendant que se déroulait le carnage à Charlie Hebdo. Mais sur les réseaux sociaux, son nom était jeté en pâture.

    C’est en squattant les réseaux sociaux qu’Anyce D. a appris qu’un de ses meilleurs potes était recherché par toutes les polices de France. Peu avant 20h, alors qu’il suit sur Twitter la chasse à l’homme des assaillants de Charlie Hebdo, il découvre que son ami d’enfance et camarade de classe Mourad Hamyd fait partie des 3 suspects. L’information lui fait l’effet d’un coup de poing. Car Anyce était avec Mourad au lycée Monge de Charleville, le matin même de l’attentat, à la pause de 10h et à la sortie des cours vers 12h30 :

    « C’est complètement fou ! Comment il aurait pu descendre à Paris, commettre un attentat à 11h30 et revenir dans l’heure au lycée, à Charleville-Mézières ! »

    Une page Facebook demande « la peine de mort pour Hamyd Mourad »

    Tout de suite après, Anyce découvre les appels à assassiner son copain, qui se multiplient sur les réseaux sociaux, nom et prénom à l’appui : une page « La peine de mort pour Saïd Kouachi, Chérif Kouachi et Hamyd Mourad » se monte. Certains demandent à « ce qu’on les retrouve et les brûle vivants. » Les internautes demandent « une balle pour eux maintenant ».

    On n’est pas loin du scénario de la chasse à l’homme sur les réseaux sociaux après les attentats de Boston. À l’époque, les internautes avaient cru reconnaître sur une photo un étudiant, qui s’était suicidé. Il est vrai que le grand écart est énorme : i-Télé annonce que Mourad aurait été au volant d’un scooter T-max « comme Mérah », Anyce était avec lui à la récrée.

    #MouradHamydInnocent

    Anyce, choqué, passe des coups de fils « à 7 camarades qui étaient en cours avec lui toute la matinée ». Il s’assure que son ami ne faisait pas partie des assaillants. Puis Anyce organise la mobilisation pour son ami d’enfance sur Twitter en lançant le hashtag #MouradHamydInnocent. Le statut fait traînée de poudre auprès de ses camarades.

    Le déroulé de événements

    C’est par le journaliste Jean-Paul Ney que le nom de Mourad Hamyd est sorti sur les réseaux sociaux. Sur son compte Twitter, ce journaliste controversé publie un avis de recherche présenté comme venant de la police. Y figurent les noms et prénoms des 3 suspects, ainsi que ceux de leurs parents. La chasse est lancée :


    Joint par StreetPress, Ney assure tenir son information de « sources gouvernementales ». Plus tard, c’est le barbouze et auteur Pierre Martinet qui poste le document sur Facebook, toujours avec les noms et prénoms des suspects des assassinats. Il sera partagé 6.371 fois. Joint par StreetPress, il se justifie :

    « Si un document pareil est dans le domaine public, c’est parce qu’il a été autorisé. »

    L’effet boule de neige est lancé. Le site francophone proche de l’extrême droite israélienne JSS News reprend le document avec un titre faisant-fi de la présomption d’innocence :

    « Scoop JSSNews : Les noms (et deux visages) des terroristes de Charlie Hebdo dévoilés: Saïd Kouachi, Chérif Kouachi et Hamyd Mourad ! »

    Plus tôt, MetroNews avait repris l’info. « Après confirmation auprès de sources policières », nous explique la rédaction. Dans un premier temps, le site ne divulgue pas l’identité des suspects, puis publie les prénoms. De nombreux journaux embraient, parfois avec le nom de famille de Mourad Hamyd.

    Mourad Hamyd aurait appris par téléphone qu’il est recherché

    Le suspect n’est pas sur les réseaux sociaux. Il a laissé son compte Facebook en jachère depuis le début du mois de décembre. Du coup, c’est Anyce qui aurait appris à Mourad qu’il était recherché par la police, par téléphone vers 21 heures, explique-t-il à StreetPress :

    « Je lui demandais “Qu’est-ce qu’il se passe Mourad ?!” Il était complètement en panique au bout du fil. Il ne comprenait rien à cette affaire. Il était tellement sonné qu’il n’arrivait pas à répondre. »

    Anyce raconte avoir conseillé à Mourad de se rendre à la police. Ce qu’il fera quelques minutes plus tard, accompagné de son père :

    « Il m’a demandé si je témoignerai en sa faveur. Je lui ai dit “Pas de problème” et qu’il y avait 7 autres personnes pour prouver qu’il était en classe au moment de l’attentat. »

    Appels au meurtre

    La fuite aurait pu faire des dégâts : en plus des appels au meurtre sur les réseaux sociaux, certains médias mainstream accusent Mourad de faire partie du commando. Sur iTélé, le spécialiste maison des questions de police explique dans les JT de nuit que Mourad Hamyd aurait fui sur une moto T-Max après la fusillade :

    « Le même modèle utilisé par Mohammed Merah. »

    En plus haut-lieu, on n’est pas contents du travail des journalistes. Le ministre de l’Intérieur se fend d’une déclaration pour demander aux médias de « la maîtrise et du sang-froid » :

    « [Les infos divulguées] doivent être justes, nous devons aux Français une information précise. »

    Dans la nuit, Le Monde rapporte que des sources policières précisent qu’ « aucune charge » n’a été retenue contre Mourad.

    Et Mourad dans tout ça ?

    D’après Le Monde, Mourad Hamyd serait le beau-frère d’un des suspects. Anyce affirme que ses parents ne sont pas des extrémistes :

    « Son père ne porte ni la barbe, ni la djellaba. La mère porte le voile, mais en mode normal. »

    Joint par StreetPress, un autre de ses camarades de classe le décrit comme un garçon « calme » avec une vie sociale normale et « des amis ». Côté religion, c’est un garçon « pieux », « plus dans l’Islam que les autres », explique ce camarade. Anyce, qui le connaît depuis l’enfance, assure ne l’avoir jamais entendu tenir des propos extrémistes :

    « Quand on parlait de Daech, il disait que ces gens salissaient l’Islam. »

    Son compte Facebook nous on apprend en vrac qu’il aime Eric et Ramzy, le footballeur Raphaël Varane et l’ONG islamique Baraka City dont il relaie régulièrement les campagnes de com’ pour Gaza ou les Rohingya. Il partage aussi des vidéos de propagande à tendance intégriste. Comme « Vivre et mourir en 10 minutes » qui compile des vidéos assez trash de bombardements.

    Sur Facebook, Mourad Hamyd publiait ce message après avoir râté son Bac en juillet 2014 :

    « Sachez mes frères que le réel succès est auprès d’Allah, si Allah est satisfait de toi alors que tu n’as aucun diplôme, et bien al hamdulilah tu auras tout gagné. Par contre si tu as un doctorat et qu’Allah est en colère contre toi qu’auras-tu gagné ? »

    Edit le 09/08/2016 : Plus d’un an et demi après la publication de cet article. Le JDD et Le Parisien révèlent que Mourad Hamyd était fiché S depuis l’été 2014 et citent un rapport de la DGSI expliquant que « son environnement établit des liens très étroits avec la sphère salafiste djihadiste et son immersion complète dans ce milieu ».

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