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    21/01/2015

    « Ici, c’est ouvert toute l’année, sauf pour l’Aïd et la Saint Jordi »

    Sur le marché de Perpignan, solidarité et débrouille entre gitans et arabes

    Par Garance Navarro-Ugé

    Place Cassanyes à Perpignan, le marché se partage entre maghrébins et gitans sédentarisés. Deux communautés qui vivent en bonne entente entre débrouille, solidarité et règles tacites.

    Perpignan – Place Cassanyes. « Allez client, 1 euro, client, bon poids bon poids, client ! » s’égosille Larbi devant son étalage d’oranges, de courgettes et de poivrons, au prix unique de 1 euro le kilo. Sur ce marché, on trouve tout : imitations de parfums luxe aux appellations scabreuses – « Le mal de Jean Gol Paultier », « Chamel n°5 », « Punk de Locaste » » et autres « Adadas ». Mais aussi des légumes « bon poids », des antiquités, des décorations de Noël, des sous-vêtements made in china, des chaussures, de la lessive et même des Kinder Bueno.

    Fériés pour l’Aïd et la Saint Jordi

    Sur ce marché, gitans sédentarisés et maghrébins tiennent la plupart des stands. Les deux communautés ne se mélangent pas beaucoup dans leur vie privée, mais vivent en bonne entente. Le dénommé Georges Clown est vendeur de fripes avec son frère Francis. Il semble presque irrité quand je l’interroge sur les relations entre les deux groupes :

    « Que fas, on s’entend bien ! On est des collègues ici ! Cassanyes, c’est comme ça depuis des siècles ! Mes parents vendaient aussi ici et il y a toujours eu des arabes. »

    Francis renchérit :

    « Tu sais, si tu respectes tout le monde, on te respecte aussi »

    Un respect mutuel qui se traduit par des règles tacites appliquées par tous et que nous détaille Francis :

    « Il y a le marché tous les jours de l’année ; même à Noel. Mais vous ne verrez personne pour l’Aïd ou pour la Saint Jordi »

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    Ici on trouve de tout : des décorations de Noël, de la lessive et même des Kinder Bueno. / Crédits : Garance Navarro-Ugé

    Les marchands font la police

    Il n’y pas que les jours fériés qui sont organisés par les vendeurs. Place Cassanyes, les marchands s’occupent eux-mêmes de lutter contre les larcins, malgré la présence d’un commissariat sur la place. Francis le vendeur de fripes nous l’assure :

    « Vous pouvez être tranquille. Si t’oublies ton sac ici, c’est moi qui te le ramène. »

    Les vols de portefeuille et de sac ne sont pas absents du marché mais les vendeurs réprimandent eux-mêmes ceux qui tentent le coup. Francis explique :

    « Il faut que le marché vive. Si les clients ne viennent plus, nous, on n’est plus là. »

    Obtenir une bonne place pour son stand est primordial pour les vendeurs. Et pour ça aussi, il y aurait quelques arrangements. Plusieurs vendeurs nous affirment que pour obtenir une place, ils graissent la patte des placeurs, les agents municipaux chargés de répartir les stands. Pour Francis, installé sur une des allées principales de la place, pas de quoi s’offusquer d’un tel système :

    « Il faut bien départager les gens, il y a trop de personnes qui veulent vendre ici, alors les placeurs reçoivent des billets parfois. »

    Solidarité sur le marché

    Marielle, perpignanaise vivant dans le quartier depuis de nombreuses années, est une habituée du marché et du quartier. « Ici, c’est la débrouille permanente. Avec le temps, on se connait et on se rend service ». Elle nous montre ses bonnes affaires du jour : deux kilos de tomates « bon poids » à 1.50 euro, une paire de, véritables cette fois, Adidas montante première génération à deux euros. Elle distille des anecdotes rocambolesques sur la bonne ambiance du marché ;

    « Un jour, j’ai oublié d’enlever ma Renault 5 de la place. Pour éviter la fourrière, les vendeurs ont porté et déplacé ma voiture dans la rue un peu plus bas. Je l’ai retrouvé quelques heures plus tard, et elle était bien garée en plus ! »

    Youssef, jogging et lunettes de soleil sur la casquette, sirote un thé installé dans une chaise de camping. Il n’est ni vendeur, ni un véritable client, il vit de cette solidarité :

    « Larbi me donne les légumes qu’il ne vend pas et je récupère des vêtements sur le stand de Francis »

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    La terrasse du Café Casa, un des plus anciens de Perpignan, est bondée de clients masculins. / Crédits : Garance Navarro-Ugé

    Il rêvait d’une carrière dans le cinéma mais après une vie houleuse sur les deux rives de la Méditerranée, il s’est retrouvé dans ce quartier. Il est la mascotte de la place. « Je suis à Cassanyes tous les jours depuis 10 ans. Je suis le plus vieux ici et je connais tout le monde. » Il explique qu’il s’y est fixé parce que « c’est la bonne humeur, et qu’il n’y a que ça qui m’intéresse. C’est pas facile pour tout le monde mais on peut toujours s’arranger ». Et Youssef d’insister sur la bonne entente qui règne sur le marché :

    « A Cassanyes, on parle arabe, catalan, espagnol, français dans la même phrase et on se comprend ! »

    Peu de places pour les femmes

    L’élégant Café Cassanyes est un des plus anciens cafés de Perpignan. Pour sa tenancière, la vie n’est pas aussi rose que veulent bien le dire les marchands. La patronne, installée ici depuis 40 ans, a grandi dans les Vosges et a choisi le quartier Saint-Jacques pour ouvrir son premier commerce. Elle se dit malmenée par « les commerçants maghrébins ». A l’entendre, la place Cassanyes est devenu « le marché africain de Perpignan » :

    « Ils veulent acheter mon fonds de commerce pour posséder toute la place et imposer leurs lois. Je les dérange parce que je suis une femme. Regardez à côté, il n’y a que des hommes ! »

    Et effectivement, ce jour-là nous ne voyons presque aucune femme vendeuse sur le marché. Youssef, interrogé sur la question, botte en touche grâce à une boutade :

    « Il y en a des femmes, mais aujourd’hui, elles ont leurs règles ! »

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    Maria, vendeuse de livres d’occasion, a réussi à faire son trou dans ce milieu très masculin. / Crédits : Garance Navarro-Ugé

    C’est que les femmes n’auraient pas la priorité auprès des placeurs qui privilégient non seulement les plus offrants mais aussi les hommes. Maria, vendeuse de livres d’occasion, a pourtant réussi à faire son trou dans ce milieu très masculin :

    « Je ne vends qu’à Cassanyes parce que je m’y sens bien. Moi, j’ai fait ma place ici et maintenant je n’ai aucun problème. Il ne faut pas se fier aux apparences. Les femmes aussi ont leur place à Cassanyes. D’ailleurs on a moins de problèmes à Saint-Jacques qu’ailleurs. »

    Les « apparences » c’est certainement le Café Casa dont la terrasse est bondée de clients uniquement masculins. J’ai pu, tout de même, m’y installer sans qu’on ne me manifeste aucune animosité.

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