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    03/03/2015

    « Parler de cette agression me permet de faire passer un message plus large »

    Malgré les coups, Combo continue son street art antiraciste

    Par Madalina Alexe

    Fin janvier, le street artiste Combo se fait tabasser alors qu’il peint un barbu en djellaba, accompagné d’un « CoeXisT ». Qu’importe les coups, il s’apprête désormais à peindre des juifs sur les murs.

    Paris, Montmartre – Avec sa barbe de hipster (ou de muslim), son regard serein et sa parka marron, le street artiste Combo est facilement repérable dans la foule. Depuis le 28 janvier et son agression à Porte Dorée, son message CoeXisT (mêlant les symboles des trois religions monothéistes) apparait un peu partout dans Paris. Pour l’interview, il a troqué sa longue djellaba contre un jean. Plus aucune cicatrice sur son visage ne rappelle l’agression subie.

    Le street artiste ne lâche pas son combat. Il prépare la suite de sa campagne Coexist, avec le même objectif :

    « Défendre la différence et combattre les a prioris. »

    Le message sera désormais porté par son nouveau personnage, juif, qu’il vient de créer.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/coexist.jpg

    L'objet du délit / Crédits : Combo

    Qu’est-ce qui s’est passé exactement à Porte Dorée fin janvier ?

    J’étais en train de peindre sur un mur, il y a quatre personnes qui sont venues dans mon dos, ils ont commencé à m’insulter… Le personnage barbu et en djellaba que j’étais en train de peindre les dérangeait. J’ai essayé de leur parler, mais ils n’étaient pas là pour ça et c’est parti en bagarre. Deux jours après j’y suis retourné pour refaire le collage.

    Pourquoi ne pas décrire leurs profils ?

    Si je commence à donner leurs profils, ça va être réutilisé. On va dire « c’est des musulmans, ou des juifs, ou des chrétiens… ». Alors que pour moi, ce sont quatre personnes qui m’ont agressé. Ce n’est pas toute une communauté, ou une religion. J’ai porté plainte, la justice fait son travail, les médias devraient faire le leur. Dans mes messages, j’essaie de casser les codes.

    Alors, pourquoi avoir choisi de raconter l’agression aux médias ?

    En ce moment, il y a plein d’actes islamophobes, antisémites, racistes… Je ne vais pas me taire par rapport à ça, c’est une vérité grave. Je n’aime pas la raconter aux médias, mais ça permet de faire passer un message plus large.

    As-tu eu d’autres mésaventures de ce genre ?

    Avant, ce qui posait problème c’était de faire des collages – soit on nous les arrachait, soit on se faisait insulter. Maintenant, c’est le message qui pose problème. A Paris, la Mairie efface l’écriture, mon personnage reste. Mais derrière, les particuliers essaient d’arracher le collage du personnage.

    Comment sais-tu qui arrache ?

    Quand c’est mal fait, c’est des particuliers, quand c’est bien propre, c’est la Mairie. Ils viennent avec un karcher ou repeignent par-dessus. Dans certains endroits, il y a des murs pleins de graffitis et il n’y a que le mien qui est effacé. Donc, c’est ciblé, vraiment.

    (img) Le djiartiste coexist2.jpg

    Pourquoi tes collages dérangent autant ?

    Parce qu’en France, en ce moment, on a peur des symboles religieux, des musulmans, des arabes… Il y a un amalgame qui est fait et j’essaie de le combattre. Si tu mets une djellaba et que tu portes une barbe, tu es un religieux maintenant. Alors que la djellaba est une robe arabe, pas un objet religieux en soi. Je me sers de cet amalgame pour amener un discours qui dit justement l’inverse. On n’a pas encore entamé le dialogue interreligieux en France. Si on ne se pose pas de questions, si on ne va pas l’un vers l’autre, s’il n’y a pas de dialogue, forcément on a des idées reçues.

    D’où vient la campagne Coexist ?

    En octobre dernier, je suis allé à Beyrouth au Liban, pour une résidence d’artiste. On a commencé à me poser des questions – « Qu’est-ce que tu vas faire au Liban ? C’est dangereux… Avec cette tête, tu vas te faire arrêter à la douane » etc. J’ai voulu prendre ces remarques au pied de la lettre et j’ai répondu « je vais faire le dji-art ». Au départ c’était une blague, mais c’est devenu ma campagne : je me suis grimé moi-même, j’ai laissé pousser la barbe. J’ai voulu me mettre en scène, c’était la caricature d’un djihadiste – je me filmais avec la djellaba, en train de boire une bière, fumer avec des potes… J’essayais de vraiment casser les discours qu’on avait sur les djihadistes à ce moment-là et en même temps casser la campagne de propagande que les djihadistes avaient établie. Les Libanais trouvaient ça drôle, alors qu’en France la campagne a été perçue comme provocatrice.

    A quel moment Dji-art est devenu Coexist ?

    Début janvier j’étais déjà rentré à Paris. Il y a eu les attentats et là je me suis dit que je devais utiliser cette campagne pour porter un autre regard. Mon personnage a commencé à dire « il y a des musulmans qui font l’armée. » Une manière de montrer que les musulmans sont intégrés et que tout va bien… et aussi casser les clichés. Un arabe n’est pas un musulman, un musulman n’est pas un terroriste. Le Coexist est venu un peu par accident. C’est le message que j’étais en train de peindre quand je me suis fait taper, donc c’est celui qui est resté.

    Quelle sera la suite de la campagne Coexist ?

    Je viens de créer un nouveau personnage – celui que j’embrasse dans la photo pour la Saint-Valentin – le juif. C’est lui qui va prendre la parole. Si mon affaire n’avait pas été médiatisée, j’aurais joué ce rôle-là. Je me serais dessiné en juif, ça aurait fonctionné. Mais maintenant, il y a plein de gens qui pensent que je suis musulman, ce qui n’est pas le cas, mais bon… Donc, je n’ose pas me mettre en scène moi-même en juif, comme je l’avais fait avec le musulman. Je vais me contenter de représenter un juif.

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