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    05/06/2015

    Le procès d’un marchand de sommeil du 18e

    Souris, cafards et fuites d’eau : la résidence cinq étoiles pour réfugiés en galère

    Par Tomas Statius

    Pendant 6 ans, Kandasamy, sa femme et ses enfants ont loué un studio insalubre à un marchand de sommeil du 18e arrondissement. Avec d'autres anciens voisins dans le même cas, ils demandent des comptes à leur proprio.

    Tribunal correctionnel (Paris 1er) – « C’était tellement bas de plafond qu’on ne pouvait se mettre debout. » Petite barbiche, tee-shirt rose et sandalettes estivales, Kandasamy Sinnathamby se présente devant la cour accompagné d’un interprète tamoul pour raconter son histoire. De 2007 à 2013, ce refugié sri-lankais a vécu avec sa femme et ses 3 enfants dans un studio de 12 m2 sous combles où il était impossible de se tenir droit. Le montant du loyer pour ce petit bout de paradis insalubre ? 660 euros par mois.

    Ce jeudi 4 juin, Kandasamy et une dizaine de ses anciens voisins de la résidence du 40/44 rue Marx Dormoy (Paris 18e) se retrouvent devant le juge pour demander des comptes à leur ex-proprio. À la barre, ils racontent leurs vies dans ces logements atypiques : souris et cafards à tous les étages, chauffage en panne, fuites d’eau à répétition et sécurité inexistante. Une locataire finit par lâcher :

    « Quand j’allais aux toilettes, je devais prendre un parapluie parce que la chasse d’eau coulait sur nous. »

    Auberge espagnole

    La 31e chambre du tribunal correctionnel est pleine à craquer. L’auberge espagnole de la résidence de la rue Marx Dormoy se reforme pour un après-midi : accompagnés d’interprètes, revoilà les anciens locataires chinois, l’étudiant d’origine arménienne, les Tamouls, les Bangladais, les réfugiés politiques tibétains. Certains sont des réfugiés, d’autres sont sans-papiers. Il y a aussi quelques Français.

    Les uns après les autres, les anciens locataires viennent finalement témoigner à la barre. En situation précaire, ils ne trouvaient pas d’appart. Certains sont arrivés là via des marchands de listes, d’autres par un résident déjà installé. Kandasamy a lui tout simplement vu le panneau qui indiquait que des logements étaient dispos.

    Profession marchand de sommeil

    Pendant toute la durée de l’audience, Michel Zaghdoun, 55 ans, costard olive nickel, ne bronche pas. Zaghdoun, c’est l’ancien proprio : ancien garagiste, 1m80 pour pas mal de kilos, louait 61 logements minuscules à des prix 2 fois plus élevés que le marché, dénoncent les associations qui se sont portées parties civiles. Selon elles, il demandait à ses locataires de payer en cash, mentait sur la surface des appartements et demandait des arriérés de charges pour couvrir les travaux de réfaction de l’immeuble.

    Quand on l’interroge sur l’état d’insalubrité de l’immeuble, Zaghdoun invoque la sur-occupation des appartements :

    « J’ai ouvert ma porte à une certaine clientèle. Les dégâts sont liés à la manière dont ces gens vivaient »

    Méthodes musclées

    Kandasamy Sinnathamby, l’ancien locataire quadragénaire, raconte le portail d’entrée qui ne fermait pas, les cambriolages à répétition et les coupures d’eau intempestives pour forcer la main des locataires qui refusaient de payer… Le pire pour Kandasamy ? L’absence de chauffage dans le studio.

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    Kandasamy, avec sa femme et son fils de 3 ans. Avec ses 2 autres enfants, ils louaient un 12 m2. / Crédits : Tomas Statius

    À la fin de son intervention, le papa de 3 enfants peine à contenir son amertume. Si le parquet n’a retenu que les charges d’habitat indigne, lui et d’autres locataires voulaient aussi mettre sur la table les relations chaotiques avec le proprio et les intimidations à répétition. « Sa fille, je l’ai vue s’empoigner avec Michel Zaghdoun. Il la traitait de menteuse » explique Maître Laville, son avocate.

    Après une première procédure au civil où Michel Zaghdoun a été condamné à verser des dédommagements, Kandasamy et les autres familles plaignantes ont porté l’affaire au pénal. A l’issue de l’audience correctionnelle de jeudi, le procureur a requis 10 à 12 mois de prison avec sursis et 30.000 euros d’amende contre le propriétaire et 50.000 euros contre sa société. Auquels s’ajoutent les demandes de dommages et intérêts des 11 familles qui se sont portées parties civiles.

    Sans emploi, Michel Zaghdoun devra piocher dans les 6,7 millions d’euros qu’il s’apprête à percevoir pour la vente de ses immeubles. Car désormais, le 40-44 rue Marx Dormoy a été préempté et appartient à la Mairie de Paris.

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