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    11/06/2015

    On a pointé au comico avec cet ex-membre d'ETA assigné à résidence

    Le Basque de Sartrouville

    Par Tomas Statius

    Oier Oa, 32 ans, vit un imbroglio juridique kafkaïen : un tribunal l’a interdit de séjour en France, mais le ministère de l'Intérieur l’a assigné à résidence dans le 78. En attendant, il raconte à StreetPress ses années à ETA et ses 3 ans de prison.

    Montesson (78) – « C’est grâce à l’Église que j’ai un logement aujourd’hui. C’est plutôt rigolo quand on sait que je ne suis pas du tout religieux », ironise Oier Oa. Depuis plusieurs semaines, l’ancien membre d’ETA de 32 ans dort sur un terrain prêté par l’église de Montesson dans le 78. Le solide gaillard aux cheveux ébène y a posé une caravane, une douche de jardin et deux drapeaux basques. Une installation spartiate à près de 800 km de chez lui – sa femme est ses enfants sont à Laressore, une bourgade dans le Sud-Ouest de la France, près de Bayonne. Ce traitement de faveur, il le doit à une condamnation en 2012 pour participation à l’organisation terroriste basque… et à un imbroglio juridique digne des romans de Kafka.

    Impasse juridique


    Vidéo Oier explique sa situation

    Libéré en mars 2015 après 3 ans de prison « pour participation à une association de malfaiteurs en vue de l’organisation à un acte terroriste », Oier est interdit de séjour en France tout en étant assigné à résidence dans la commune de Sartrouville sur décision du ministère de l’Intérieur. Il est obligé de pointer chaque jour à 9 h, 14 h, 17h au commissariat de la petite ville des Yvelines. Il n’a pas le droit de travailler et ne peut prétendre ni chômage ni à la Sécurité sociale, faute d’avoir des papiers en règle.

    « J’ai terminé ma peine, je ne suis pas un risque pour la société, je dois débuter ma réinsertion. Alors pourquoi je suis traité comme ça ? »

    Oier est dans cette impasse suite à 2 jugements contradictoires rendus en 2012 à quelques mois d’intervalles par le tribunal de Paris et de Versailles. Si le premier le condamne à du ferme et à une interdiction de séjourner en France, le second refuse son extradition en Espagne, où des charges similaires sont retenues contre lui. En gros, Oier ne peut pas vivre en France mais ne peut pas non plus être renvoyé en Espagne, où il risque 6 ans de prison pour le même affaire.

    « Son assignation à résidence est une sorte de protection juridique le temps de trouver une solution », explique Xantania Cachenaut, son avocate. Lueur d’espoir : La justice espagnole aurait renoncé à le poursuivre, annonce Mediabask dans un article paru la semaine dernière. Ce qui lui permet d’espérer pouvoir un jour boire à nouveau un godet à San Sebastian.

    Une adolescence sous le signe du militantisme basque

    L’histoire d’Oier, c’est celle d’un mec tombé tout jeune dans le militantisme radical. Installé dans la fournaise de sa petite caravane, le papa de 2 jeunes enfants nous raconte son parcours.

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    Oier dans sa caravane 3 étoiles / Crédits : Tomas Statius

    Ado, Oier rejoint Segi, une association marxiste qui milite pour l’indépendance du Pays Basque. Il colle des affiches, participe à des manifs contre les sévices réservés aux militants basques lors de leurs arrestations par la police espagnole. En 2002, l’organisation est interdite en Espagne. L’État met en avant ses liens présumés avec ETA, l’organisation terroriste basque créée en 1959. Deux jours après ses 18 ans, des flics toquent à sa porte et l’arrêtent. Il passe 4 jours en prison et s’acquitte de 20.000 euros de caution pour en sortir. A cette époque, Oier a la trouille de croupir en taule. Il passe alors la frontière pour se planquer en France, ne se présente pas à son procès, et rejoint d’autres camarades dans la même situation que lui.

    Pendant plusieurs années, il vit de petits boulots et passe de ville en ville. C’est à cette époque qu’il rencontre sa compagne, Malvina, une instit’ avec qui il file le parfait amour jusqu’en 2005 et une seconde arrestation à Ustaritz, non loin de Bayonne, à la suite d’un mandat d’arrêt européen. Renvoyé en Espagne illico, Oier y risque alors 12 ans de prison.

    Oier garde le silence sur ses années d’ETA

    (img) Le logo de l’ETA eta-logo.jpg

    Sauf qu’Oier sèche à nouveau son procès qui devait se tenir en 2009. Cette fois-ci, il prend le maquis pour de bon et rejoint les membres d’ETA dans le sud-ouest de l’Hexagone. « C’était la seule manière de continuer à vivre mon militantisme ». Si le bonhomme refuse de s’exprimer sur son implication dans l’organisation, son avocate laisse entendre que son rôle était plutôt périphérique. Ce qui explique une peine de prison plutôt légère – 4 ans – pour un ancien etarra.

    En juillet 2012, Oier est de nouveau arrêté à Anglet. Cette fois-ci, il est recherché par la police française. Dans son sac à dos, 2.000 euros en cash et une fausse carte de la Guardia Civil, la gendarmerie espagnole. A son domicile, les enquêteurs trouvent des documents qui prouvent son affiliation à ETA. Devant le juge, Oier ne cache pas son implication dans l’organisation mais reste muet sur son rôle.

    Pelote basque et goûter avec les djihadistes

    Ses 3 ans de zonz’, Oier les passe à Bois d’Arcy, dans une petite cellule individuelle où il est enfermé 20 h / 24. « Ce sont des conditions de détention inhumaines », lâche-t-il assis sur les marches de sa caravane. Entre les 4 murs de la maison d’arrêt, il sympathise avec des détenus corses, joue à la pelote basque (introduite en scred en cellule) pour passer le temps et commence des études de basque et de français à distance pour devenir prof’. Il croise même des djihadistes qui essaient de papoter avec lui :

    « Je suis bien élevé, j’ai discuté avec eux. Ils pensaient que nos luttes étaient proches. Mais pour moi ce ne sont pas des révolutionnaires mais des réactionnaires. Ils sont en contradiction totale avec l’idéal que nous défendons ».

    En avril 2015, il apprend qu’il est assigné à résidence à Saint-Germain en Laye. C’est là que sa galère commence.

    « S’il n’est pas content, il peut retourner en Espagne »

    Quand il sort de prison, Oier se rend rapidement compte que rien n’est prévu pour son assignation à résidence :

    « Personne n’était au courant au commissariat. C’était le week-end de Pâques. J’ai finalement du prendre un hôtel »

    Quelques jours plus tard, son avocate appelle le ministère de l’intérieur. Elle n’obtient pas plus de précision : « ils lui ont dit : “S’il n’est pas content, il peut retourner en Espagne”». Alors qu’Oier campe sur le terrain jouxtant l’église de Saint-Germain-En-Laye, les autorités décident finalement de l’assigner à Sartrouville, une commune où le coût de la vie est moindre. Il s’installe d’abord dans un hôtel social plutôt vétuste : « un matin je me suis réveillé avec des boutons sur tout le corps. C’était des punaises de lit ».

    Oier ne perd la foi même s’il enchaîne les galères : « tous les 3 jours, je me retrouvais dans une situation de survivant où je devais trouver un logement ». Sans revenus, les étrennes versées par ses proches et ses voisins de Laressore s’amenuisent. Oier est aux abois.

    Street camping

    Finalement, son cas émeut une fois encore le prêtre de la petite ville. Le Père lui propose de s’installer provisoirement sur le parking de l’église avant de lui dénicher un terrain à Montesson, une commune voisine. Oier y pose ses valises et s’installe dans une caravane que lui a dégotée un comité de soutien aux prisonniers basques incarcérés en Île-de-France. Une table de camping sur laquelle trône un dessous de plat en forme de croix basque, 2 drapeaux qu’il a installé à côté du point d’eau : un petit coin de sud-ouest en région parisienne.

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    Oier attend de savoir à quelle sauce il va être mangé / Crédits : Tomas Statius

    Malgré la distance avec sa femme et ses 2 enfants, il essaie de prendre la situation avec philosophie : « Je m’organise, je fais du sport, je lis. Étrangement, je suis plutôt occupé ». Sur sa table de chevet, on retrouve les mémoires d’un ancien général irlandais qui a infiltré l’IRA pendant plusieurs années. On ne se refait pas.

    « Mon but c’est de rejoindre ma famille à Laressore »

    Alors qu’il devrait recouvrer la liberté en Espagne, le combat d’Oier n’est pas encore fini. Pour son avocate, il reste encore du chemin à parcourir pour que son dossier soit définitivement clos :

    « L’idéal, ce serait quand même de lever l’interdiction du territoire français pour qu’Oier puisse enfin rentrer chez lui. »

    Alors que le soleil cogne dans son petit jardin, Oier martèle : « mon but c’est de retrouver ma famille à Laressore. On est en train de faire appel de la décision avec mon avocate ». Entre temps, Oier s’est même dégoté un job au pays basque français : on lui a offert un poste de guide de montagne.

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