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    22/06/2015

    Bienvenue dans la communauté gay leather de Paris

    Les fétichistes du cuir ne portent pas tous la moustache

    Par Florian Bardou , Tommy Dessine

    Ils sont poseurs de parquet ou militants LGBT et partagent le même fétichisme : le goût du cuir et des harnais. Pour David tout a débuté sur une aire d’autoroute : « J’ai suivi un motard jusque dans les toilettes… »

    Paris 1e – Samedi 30 mai sur les coups de 19 heures. Ils sont 8 candidats à se présenter sur la scène du Klub, un bar-boîte dans une cave rue Saint-Denis. Les garçons ont entre 25 et 45 ans, un look total cuir et sont en compétition pour décrocher le titre de Mister Leather France 2015.

    Le public qui leur fait face, dans cette cave bondée, porte aussi des looks déclinables à l’envie : gants, harnais, uniformes de motards et autres jambières. Quelques sous-entendus fusent pendant que la sono diffuse des airs disco et électro. Depuis plusieurs jours, la 2e édition de la « Paris Fetish », une semaine de soirées consacrée à tous les fétichismes, bat son plein. L’ambiance est survoltée.

    Un plaisir des sens

    Parmi les huit, David, 40 ans, architecte, originaire de Normandie. Installé à Paris depuis peu, il a été élu en mars dernier Mister Leather Normandie 2015 avant de tenter sa chance au concours national. Client régulier de la Mine, un bar du Marais pour les fétichistes de cuir, il explique sa passion :  

    « Le fétichisme, c’est un esthétisme. La création d’un personnage, une mise en scène de soi. »

    Et puis, il y a les sensations de la matière sur le corps :  

    « Il y a un côté très tactile. Et pratiquement tous les sens sont en éveil : une odeur particulière se dégage, la transpiration, la matière qui crisse, etc. »

    Un plaisir sensoriel que ne boude pas non plus Nathan, 26 ans, salarié dans le milieu associatif. Ce Parisien est tombé dans la marmite fétiche à la sortie de l’adolescence.

    « J’adore porter du cuir, mais je suis aussi excité par les mecs qui portent du latex. C’est comme prendre de la drogue, sans en prendre. C’est lié à ce qu’on y associe, à l’imaginaire autour de la matière »

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    Les prétendants au titre de Mister Cuir 2015 se réunissent sur la scène du Klub / Crédits : Tommy Dessine

    Le jeune homme, qui raconte moins fréquenter le milieu cuir depuis qu’il est en couple, ne manque pourtant pas une occasion de porter sa tunique préférée :  

    « Par exemple, ce week-end à la Pride de Bruxelles, j’étais en cuir. »

    La toute première fois

    Comment devient-on accro au perfecto ? Pour Nathan et David difficile de se remémorer avec exactitude la première fois qu’ils ont tâté l’objet de leur fantasme. Difficile, aussi, pour eux de mettre des mots sur leur fétichisme, d’expliquer l’origine d’un désir qui les habite depuis toujours. « J’ai su très tôt que j’étais pédé, mais ce goût du cuir est arrivé vers 15 ou 16 ans, calcule Nathan. Les premiers pornos que j’ai regardés étaient tournés avec des mecs en cuir. Et ma première fois, c’était avec un gars qui m’avait prêté des accessoires, vers 18 ans. » David, lui, a toujours été attiré par les motos et a longtemps eu « le fantasme du motard. » Son premier rapport avec du cuir : « C’était sur une aire d’autoroute. Je faisais la navette entre Rouen et Paris, et j’ai suivi un motard jusque dans les toilettes… »  

    Vincent, 34 ans, poseur de parquet pour une grande entreprise, y a aussi pris goût par les bécanes : « J’ai eu le déclic quand j’ai commencé à faire de la moto avec mon copain. Avant c’était plus de l’ordre du fantasme. Et puis il est joueur, alors on a voulu tester de nouvelles choses : pourquoi pas le cuir ? » Mais pour le trentenaire, vice-président d’une jeune association fétichiste lilloise, Exultaric – « l’anagramme de cuir et de latex », précise-t-il, le sourire en coin –, être fétichiste a sa part d’inné. « Tu ne te découvres pas un fétichisme. Quand j’étais petit, un mec en cuir, je trouvais ça déjà très sexy ». Plus tard, au cours de la conversation, Vincent revient à la charge :  

    « Le fétichisme tu l’as en toi, c’est fixé en toi ».

    Plus qu’un fétichisme, un style de vie

    Hugues Fischer, 59 ans, que l’on rencontre dans les locaux d’Act Up-Paris dans le 19e arrondissement, a toujours un lacet de cuir dans la poche. L’odeur des peaux tannées a joué le rôle de stimulant dans son « éveil aux sensations érotiques » durant l’enfance. Ce leader historique de la communauté cuir française, raconte avec gourmandise :  

    « Mon père bossait pour une manufacture de cuir alsacienne. Il faisait des rangers, des chaussures de bucheron, de la godasse, de la vraie, et puis des bottes… C’est beau les bottes… ».

    Il rit, puis reprend :  

    « Quand j’étais petit scout, on s’amusait aussi à attacher les mecs. J’ai été complètement excité par l’art du bondage. »

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    Dans les années 1980, le cuir était plutôt en vogue dans la communauté gay parisienne / Crédits : Tommy Dessine

    Dans les années 1970, Hugues débarque depuis son Alsace natale pour faire ses études dans la capitale après s’être découvert homo. Il commence à fréquenter le Paris gay et découvre « un peu par hasard » la communauté cuir, très active dans les années 1980. « C’était un âge d’or où les mecs en cuir envahissaient les rues de San Francisco, le Village à New York ou le Marais à Paris. C’était la génération de la libération gay. C’est là-dedans que je suis tombé », raconte-t-il avec un brin de nostalgie. Pour celui qui co-fondera la radio communautaire Fréquence Gaie en 1981, porter du cuir est un mode de vie qui va au-delà du fétichisme.  

    « C’est ce qui a structuré ma vie de gay. Quand je pars à l’autre bout du monde, je regarde où sont les bars cuirs. Quand je vais à New York, je fais un tour par The Eagle. C’est un repère communautaire. »

    Et d’approfondir le rôle qu’a joué son fétichisme dans son affirmation :  

    « C’est dans le Paris gay fortement influencé par le milieu cuir que je me sentais bien. Spécialement dans les bars cuirs de l’époque. Je n’ai jamais eu peur de rentrer dans ces endroits là et je me reconnais dans les valeurs de fierté et de visibilité de cette période. »

    En général, lors de chaque Marche des fiertés fin juin, il enfile sa « tenue full cuir », malgré les 29°C et le soleil de plomb. « Ce n’est pas désagréable mais on aurait envie de s’aérer », blague-t-il.

    « Quand tu es jeune pédé, tu as besoin de te chercher, et cela peut être un moyen de te trouver », continue Nathan. « J’ai des copains qui se sont trouvés en se prostituant ». Il voit aussi un acte politique derrière sa pratique. « Les mecs qui portent du cuir, ce sont les plus stigmatisés, donc c’est aussi de la réappropriation ». On se souvient de la Une homophobe de Minute, avec des mecs en harnais à la marche des fiertés titrée : « Bientôt, il vont pouvoir s’enfiler… la bague au doigt ». A Montréal, où Nathan a vécu 2 ans, il fréquente le milieu queer féministe et entreprend d’assumer ses pratiques sexuelles lors « de performances en public où une copine dominatrice lui fouette le cul ».  

    « Pour dénoncer les violences policières pendant les manifestations du printemps érable, c’était un moyen de dire que seule la violence consentie est légitime. »

    #FF comme Fist Fucking

    Mais le cuir, c’est aussi une histoire de cul. « Dans un rapport, le cuir, c’est presque le troisième partenaire. Quand tu frottes ta bite contre un mec habillé en cuir, tu ne ressens pas la même chose, c’est une relation à trois », raconte David. Est-il un adepte des pratiques hard ? « Je suis actif en fist », confie-t-il avant d’expliquer les différents codes de la communauté : si le bracelet de force est porté au poignet gauche, la personne est « active », au poignet droit, elle est « passive ». Il enchaîne :  

    « Les lanières de couleur, c’est le type de plan que tu cherches : rouge = fist, bleu = pénétration, jaune = uro. Autrefois c’était des bandanas ».

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    Fist ou uro ? / Crédits : Tommy Dessine

    Fidèle à ses pratiques, mais un peu par hasard, David porte ce soir-là une montre de cuir rouge, au bras gauche. Nathan, qui est venu au cuir par le BDSM, renchérit :  

    « Tu as une multiplicité de pratiques et de significations derrière le cuir. Mais c’est quand même très lié aux pratiques sexuelles. Derrière ceux qui fréquentent la Mine, il y a un univers BDSM ».

    Pour autant, le milieu fétichiste, ce n’est pas que des rapports sadomasochistes. C’est surtout une esthétique. Pour notre fétichiste lillois Vincent, porter des bottes et un pantalon en cuir est souvent signe de sensualité mais cela s’arrête là.

    « Tu peux être habillé en cuir et avoir une sexualité conventionnelle. Tu peux être cuir sans être sadomasochiste et vice-versa ».

    Où sont les jeunes ?

    A la Mine, comme pour la soirée du concours Mister Leather France 2015, la moyenne d’âge des garçons qui défilent une pinte à la main dépasse les quarante ans. Les jeunes auraient-ils déserté le milieu ? « C’est assez vieillissant », commente Nathan. Du haut de ses 20 ans, il livre son analyse :  

    « Il manque une génération. Les années sida ont freiné la transmission de nos luttes et les jeunes pédés qui débarquent dans les lieux de sociabilité ont une vision hétéro de la chose. Ça leur paraît un truc de vieux pédé des années 1970 alors que ça ne l’est pas. »

    Hugues, de son avant-poste de leader de communauté, ne fait pas tout à fait le même constat : « On commence à voir revenir des jeunes ! », s’extasie-t-il. A Lille, Vincent observe d’ailleurs un certain enthousiasme autour de l’association Exultaric. Leur idée de départ : créer une association fétichiste pour « sortir de l’aspect sexuel et sadomasochiste » du cuir, « rendre visible » la communauté, mais également « porter un message de prévention » sur les pratiques à risque. Avec un apéro toutes les six semaines, la sauce prend.

    « On s’est aperçu qu’il y avait des gays qui osaient aller vers ce milieu fétichiste, sans penser que ça pourrait leur plaire. On pensait que c’était une communauté réduite, mais ça brasse pas mal de monde et des petits jeunes commencent à s’équiper ».

    La faible proportion de jeunes homos tout de cuir vêtu est peut-être à aller chercher ailleurs. « Le cuir, ça coûte un bras », confie Vincent. « Il faut avoir des moyens pour vivre à fond son fétichisme », regrette David qui vient de craquer pour un gilet à 200 euros pour compléter sa garde-robe en vue du concours Mister Leather. Il fait les comptes : « un pantalon, c’est 300 à 400 euros, une chemise, 400 euros, etc ». Sans oublier l’entretien, indispensable, à base de crèmes. Car le cuir est une « matière vivante qui se détend ».

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