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    14/09/2015

    Aux 3000, les breakers du Galion font de la résistance

    Aulnay-sous-Bois, sa cité abandonnée, son club de danse

    Par Camille Larbey , Joseph Brown , Leïla Ben Aribi

    Longtemps dans la cité des « 3.000 », la vie a tourné autour de la galerie marchande du Galion. Mais progressivement elle s’est vidée d’une grande partie de ses commerces. Reste un club de danse hip-hop, lui aussi menacé…

    Cité de la Rose des Vents, à Aulnay-sous-Bois (93). Son surnom : les « 3.000 », en référence aux 3.000 logements créés dans les années 1970 pour la main-d’œuvre des usines PSA-Citroën, situées à moins d’un kilomètre. Entre les tours environnantes, le Galion, un bâtiment longiligne en forme de cruciforme, tranche avec le reste du paysage. Sa galerie marchande a longtemps hébergé les commerces de proximité qui cimentaient la vie de la cité. Mais aujourd’hui, la moitié des appartements de la barre sont inoccupés tandis que beaucoup de boutiques ont baissé leur rideau de fer pour toujours.

    Au Galion, il ne reste plus qu’un centre de danse pour insuffler un peu de vie au quartier. Pour y accéder, il faut emprunter un bout de cette sinistre galerie marchande où règne souvent une odeur de pisse. En bas d’un escalier, le hall du club de hip-hop accueille les visiteurs avec un gros canapé marron. Les basses et le martellement des pas sur le parquet raisonnent depuis les studios avoisinants. L’ambiance est chaleureuse : Les gamins s’amusent, des mamans papotent et quelques danseurs se remettent de leur dernier battle.

    Le Galion, ze story

    À l’accueil, Trinita veille sur les lieux. Adji a gagné ce surnom il y a plus de 30 ans dans la cour de son école en défendant une camarade. À 54 ans, malgré un air un peu usé et un discours pas toujours assuré, Trinita en impose. Sa réputation le précède. Il faisait partie des « Asnay », une bande de chasseurs de skins qui traînait sur Paris dans les années 80 :

    « Les gens d’ici connaissent mon histoire et me respectent. Je suis l’un des plus grands des grands frères. »

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    Trinita, ancien membre des "Asnays" et médiateur au Galion / Crédits : Joseph Brown

    Au milieu des années 90, le Logement français, bailleur social du Galion, cherche un projet de reconversion pour l’ancien supermarché Goulet-Turpin de la galerie marchande. Muriel Aubert-Tardif, une ancienne prof de danse contemporaine reconvertie dans le hip-hop est sollicitée pour créer son centre de danse. Celle-ci lève des fonds auprès de la préfecture – le préfet est un ancien danseur ! – de la direction des affaires culturelles d’Aulnay et de fondations privées. Le centre de danse du Galion est inauguré en 1997 et Muriel Aubert Tardif est engagée comme directrice, non sans quelques réticences de la mairie :

    « Ils se disaient “pourquoi on embaucherait une danseuse qui ne danse plus, qui est trop vieille pour danser ?” Mais ce lieu, c’était mon bébé. C’était important de s’installer dans les quartiers nord, où il n’y avait rien. »

    Dès l’ouverture, Trinita est, lui, embauché par la maire d’Aulnay en tant que médiateur au centre. Car à l’époque, l’ambiance est tendue avec certains jeunes du quartier. Ils voient d’un mauvais œil cette nouvelle structure, qui plus est dirigée par une « Parisienne », comprenez quelqu’un qui ne vient pas d’Aulnay. Trinita doit calmer ceux qui veulent y mettre le feu, littéralement. Certains soirs, il est aussi amené à protéger les élèves les plus jeunes :

    « C’était un peu chaud. J’étais obligé d’accompagner les jeunes à l’arrêt de bus, les jeunes filles et ceux qui avaient des portables pour qu’ils ne se fassent pas agresser. »

    Le climat est rude dans la cité. « Un jour, on a trouvé un cadavre dans les sous-sols de la barre. » Même son de cloche chez Muriel Aubert Tardif :

    « C’est une galerie qui symbolise la merdouille. Quand j’appelais les flics, ils me répondaient ‘’on ne vient pas dans votre coupe gorge.’’»

    H.I.P H.O.P

    Le centre de danse s’impose rapidement comme un haut lieu du hip-hop dans le 9-3. Les gamins du quartier peuvent prendre des cours pour 10 euro l’année. Le centre aide les danseurs à former leur propre compagnie ou à devenir chorégraphe. Des grands noms – tels Claise M’Passi ou Pascal Blaise – viennent y donner des cours, ou organisent des résidences dans l’une des trois salles de l’école. Et depuis 1997, le Galion organise le « H²O », un festival de danse hip-hop qui aujourd’hui encore donne le pouls de la discipline.

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    A l'époque, Trinita accompagnait les jeunes du centre à l'arrêt de bus / Crédits : Joseph Brown

    Quand Olivier Consille, dit « Orus », originaire d’Aulnay sud, débarque au Galion à 12 ans, il a un peu la boule au ventre :

    « C’était une époque où si tu étais blanc et que tu voulais danser, il fallait assurer. »

    Olivier s’accroche. Il est de ces mômes que Trinita escorte du centre de danse jusqu’à l’arrêt de bus. Aujourd’hui, à 28 ans, Olivier a monté sa propre compagnie de hip-hop et est professeur au Galion :

    « Cette barre est dure, dure d’aspect. Elle reflète la vie difficile des gens. »

    Girl power

    Lorsqu’on lui propose de poser pour une photo, Bénédicte décline, gênée mais amusée. « Non, là, je suis trop ghetto. » Habillée en baggy en toile, veste Adidas et T-shirt siglé « Hiphop & Tricks », elle est également professeur au centre de danse. Elle habite dans l’une des deux tours du Galion depuis le début des années 90. Ado, elle pensait que le centre danse, « c’était pour les plus grands ». Puis un jour, Bénédicte ose pousser les portes du Galion et s’embarque dans des cours de modern jazz. Elle se souvient, émue, de sa première participation sur une scène professionnelle lors du festival H²O :

    « Il y avait des fleurs dans les loges, c’était comme à la télé ! »

    Au début du Galion, le break dance est l’apanage des garçons. Si une fille voulait s’exercer à la discipline, elle devait s’habiller comme tel. Au grand dam de la danseuse Tishou Aminata Kane, 36 ans, une grande masse de tresses ramassée en chignon et le sourire en tout circonstance :

    « J’en avais ras-le-bol de voir les filles déguisées en petit bonhomme. »

    Alors, en contre-pied, elle se met à danser en stiletto, ce qui lui vaut le surnom de « la breakeuse à talon ». A Aulnay, le break dance change. Il y a dorénavant autant de B-boys que de B-girls. « J’ai reconnecté avec ma féminité grâce à la danse à partir du moment où j’étais dans un espace prévu pour ça », se remémore Tishou. Elle, qui se définit comme une « enfant des 3000 », se souvient de la cité dans les années 1990, où l’on se retrouvait dans les caves pour danser, jouer, à la Playstation, traîner, ou autre : « Je ne faisais pas partie de celle qui se retrouvaient dans les caves pour faire autre chose que de danser. » Aujourd’hui professeur au Galion, elle enseigne à des élèves de 7 à 60 ans.

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    Aminata aka. la breakeuse à talon / Crédits : Joseph Brown

    « Beaucoup de jeunes filles et de femmes se sont émancipées à travers la danse, les chorégraphies. Le Galion est un lieu où l’on se découvre. »
    Parmi elles, Nadine, 59 ans, qui habite un foyer dans les 3000. Les cours de hip-hop lui permettent « d’échapper à la routine », mais surtout « de connaître son corps ».

    Destruction programmée

    Avec le temps, l’ambiance au Galion est devenue plus calme. Trinita a monté sa propre association de médiateurs : « Le médiateur de la marie d’Aulnay ne travaille pas sur ce quartier. » L’ange gardien du Galion a aussi lancé sa propre marque de vêtements : « Battle Vs. », avec l’un des deux « t » de Battle à l’envers. « Parce qu’au hip-hop, il y a la danse debout, et la danse au sol ».

    Depuis six ans, le nombre d’adhérant au Galion stagne autour de 500 élèves. Les subventions de la mairie, elles, ont considérablement diminuées. Le navire gîte dangereusement, entre les coupes budgétaires et des jeunes moins enthousiastes à l’idée de s’inscrire dans une salle de danse. Et Olivier de déplorer :

    « On est dans une génération où ils ne veulent pas prendre de cours, car ils pensent qu’on peut tout apprendre dans leur chambre, grâce à internet. »

    La barre du Galion est promise à la démolition. Quand ? C’est le grand mystère. Aucune date précise n’est avancée. D’autres ne veulent pas y croire. « Ils ne vont pas le détruire », affirme la jeune vendeuse d’une boutique d’articles de mariages orientaux. Après tout, la menace plane depuis quatre ans sans que rien ne se passe.

    Pourtant, la barre d’habitation est déjà à moitié vide. Quant aux commerçants, c’est sauve-qui-peut. Dans ce climat d’incertitude, de plus en plus de rideaux métalliques se ferment définitivement. La galerie se vide et Carole, employée au centre de danse, craint de bientôt travailler dans un « tunnel ». Dans son grand magasin de chaussures et de sacs, où la décoration semble figée dans les années soixante-dix, il n’y a personne. C’est à peine si Françoise, la gérante, fait une ou deux ventes par jour. Peu importe, elle prend sa retraite à la fin de l’année. Installée ici en 1977, Françoise a connu la galerie marchande du Galion du temps où elle était remplie : un fleuriste, un boucher, un fripier, une charcuterie, un primeur, une banque, un magasin de sport, etc. L’ouverture dans les années 1980 d’une zone commerciale à 10 minutes a porté la première estocade. La fermeture définitive de l’usine PSA-Citroën en octobre 2013 a achevé la désagrégation de la Rose des Vents.

    L’avenir est incertain

    Pour le centre de danse, l’avenir n’est pas plus radieux. Joint par StreetPress, la mairie d’Aulnay ne souhaite pas commenter le sujet. D’après une source proche du dossier, une délocalisation dans le quartier Vieux-Pays, au sud de la ville, est envisagée. « Mais s’ils font ça, les gens d’ici n’iront pas car les cotisations seront beaucoup plus chères, s’inquiète Carole, agent d’accueil au Galion. Ce ne sont pas les mêmes revenus là-bas. » Le scénario d’un déménagement au Vieux-Pays enclaverait encore plus la cité des 3000. Bénédicte s’énerve

    « Le Vieux-Pays est dans une zone aux revenus plus riche. Ils ont déjà le conservatoire, le théâtre-cinéma. Il y a tout là-bas, alors qu’on a qu’on a rien ça ici. »

    Dans la galerie marchande du Galion, un jeune d’une trentaine d’années, crâne devant l’une des rares boutiques encore ouvertes : « On cramera ceux qui veulent détruire notre Galion ! » À ses côtés, un homme, le visage couvert d’une barbe blanche et de l’embonpoint, tempère et tente d’analyser ce qui se passe :

    « Les gens d’ici ne sont pas malins. Ils ne se réunissent pas entre eux pour s’organiser. Le bailleur fait exprès de dire tout et son contraire pour mieux diviser. »

    En attendant d’en savoir plus sur le futur, l’équipe du Centre danse du Galion croise les doigts : « J’espère qu’ils ne laisseront pas le Galion mourir, lâche Tishou. J’espère que la fin sera un nouveau début. » Quant à la vieille barre, les avis sont partagés. Bénédicte, elle, ne le trouve pas si laid que ça son Galion. Après tout, elle y a vécu la majeure partie de sa vie :

    « J’y suis attaché. Et puis à quoi ça sert de détruire tous les quarante ans si c’est pour refaire du moche ensuite ? »

    D’autres ne la regretteront pas, comme ce vieux monsieur, habitant des 3000 :

    « Quand je regarde ça depuis ma fenêtre, je trouve ça moche. »

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