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    12/11/2015

    Chaque mois, StreetPress recueille le témoignage d’un ancien détenu

    Yaroslav, 27 ans, 10 jours dans les geôles russes

    Par Yaroslav Nikitenko

    A la veille de Noël, Yaroslav se pointe à une manif anti-Poutine. Sans raison, les policiers l’embarquent. Bilan des courses : 10 jours en cabane. A StreetPress, il raconte.

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    Le 24 décembre 2012, Yaroslav se pointe à un rassemblement contre le pouvoir de Vladimir Poutine, dans le centre de Moscou. En marge du regroupement, ce jeune thésard en physique est interpellé par plusieurs policiers, sans raison apparente.

    Passage devant les juges dans une ambiance digne du Procès de Kafka, placement en rétention, interdiction de contacter ses proches : Yaroslav a vécu l’arbitraire du système judiciaire russe. Pour StreetPress, il raconte ses dix jours de zonzon, entre bouffe dégueu, flics peu cordiaux, et détenus hauts en couleur : « En prison, j’ai même croisé un homme qui avait pris du ferme pour avoir volé une bouteille de vodka dans un supermarché »

    J’ai été interpellé pendant une manifestation à Moscou, en 2012, la veille de Noël. Un policier m’a vu, s’est approché et m’a attrapé. Puis il m’a tiré dans une voiture. J’étais l’opposant le plus connu à cette manifestation. Selon mon avocat, c’est pour ça que j’ai été arrêté. Les policiers avaient même une photo de moi. J’ai passé la nuit dans une cage au poste de police. J’étais seul. Sans couverture, sans rien. Avec mon pull en guise de coussin.

    Le lendemain, j’ai été condamné à 2 semaines de prison pour désobéissance. C’est un motif très souvent utilisé en Russie pour condamner les opposants politiques. Dans la salle du tribunal, il y avait des flics cagoulés et une sécurité impressionnante. Le juge qui m’a condamné était sur la liste Magnitski : une liste de personnalités interdite de séjour dans l’UE pour leur proximité avec le régime.

    Chambre sans vue et sans miroir

    Il n’y avait pas beaucoup de gens dans ce centre de détention. Peut-être une quinzaine de personnes. Il y avait des chambres pour une ou deux personnes. Quelques-unes donnaient sur la rue. Les autres, comme la mienne, sur l’intérieur du centre. Dans ma chambre : un lit, une étagère, une table mais aussi de quoi écrire, ou lire.

    Les repas c’était 3 fois par jour, dans une sorte de cantine. Mais on pouvait aussi manger dans nos chambres. Mes proches m’apportaient souvent de la nourriture. C’était nécessaire, parce que je suis végétarien. Par contre les policiers fouillaient systématiquement tout ce qu’on nous apportait. Par exemple, ils ouvraient les boites de conserve avant de nous les donner.

    Le midi on pouvait aller en promenade pendant une heure dehors, dans une cour entourée de grillages. Dans certaines pièces, on pouvait jouer au jeu de société, entre détenus.

    La gamberge

    Je me souviens bien de mon premier jour. J’ai rencontré d’emblée 2 de mes amis opposants. Ils partageaient une chambre. Ils avaient été arrêtés peu de temps avant moi lors d’une autre manifestation.

    Au bout de 2 jours, mes amis sont sortis. Ne pas pouvoir discuter avec eux, c’était vraiment ça le plus dure en prison. En plus, je ne m’entendais pas avec les autres détenus. Ce n’était pas des opposants politiques et ils étaient souvent là pour des motifs random : J’ai même croisé un homme qui avait pris du ferme pour avoir volé une bouteille de vodka dans un supermarché

    En prison, j’étais forcé de me lever à 6h du matin. La plupart du temps, je réfléchissais ou je me reposais dans ma chambre. C’était mon premier séjour en prison et je ne me sentais pas en sécurité. Ce qui m’a frappé aussi, c’est qu’il n’y avait pas de miroirs. Sans miroir, c’est difficile de garder son identité.

    Les keufs

    Dans ce centre, les policiers n’étaient pas cruels. Ils faisaient juste leur travail. Et ce n’est pas un job sympa. En prison, j’ai rencontré des policiers intéressants. Certains avaient même un bon fond. L’un d’eux m’a autorisé à prendre une douche hors des horaires réglementaires. Avec un autre, j’ai discuté de physique.

    D’autres étaient plus durs. Un policier a menti en me disant que je pouvais téléphoner à mon avocat. Un autre a menacé d’écrire un rapport sur moi. Il disait que je l’avais insulté derrière son dos. C’était faux.

    Propos recueillis par Tomas Statius

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