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    19/11/2015

    « Possible attaque à l'hôtel Pullman... J'ai peur »

    Fusillade à l’hôtel Pullman : naissance, vie et mort d’une rumeur

    Par Inès Belgacem

    Samedi 14 au soir, Twitter s’emballe : des centaines de personnes redoutent une fusillade à l’hôtel Pullman. Policiers et urgentistes sont sur le pied de guerre. Pour comprendre le cheminement de la rumeur, on a remonté les 15.000 tweets sur l'événement.

    Samedi 14 – 21h10. Le journaliste Thomas tweet avec le compte de son agence de presse :


    8 minutes plus tard la journaliste chilienne Ivanna Lopez et son confrère français Gaspard Augendre évoquent une intervention de la police avenue de Suffren.



    Ces trois journalistes sont les premiers à évoquer ce qui, par le bouche oreille, deviendra l’une des plus importantes rumeurs de ce week-end : une nouvelle fusillade à deux pas du Champ-de-Mars. StreetPress a remonté les 15.458 tweets mentionnant l’« Hôtel Pullman » et les 1970 qui évoquent le « Champ-de-Mars ». Retour sur les événements, minute par minute.

    Une très mauvaise blague

    Quand il s’empare de son téléphone, Gaspard est en caisse dans le 15e. Le journaliste vient de croiser une, deux, puis une dizaine de voitures de police, gyrophares à pleine bombe. Les véhicules semblent tous converger vers un même point : la tour Eiffel.

    « Personne n’en parlait à la radio. C’était bizarre. J’ai décidé de suivre les voitures pour voir ce qu’il se passait. »

    Lorsqu’il arrive du côté du Champ-de-Mars, rien de rassurant. Des dizaines de voitures de police sont agglutinées dans l’avenue de Suffren. Sur le réseau social, il balance coup sur coup deux tweets factuels :


    A l’origine de ce déploiement policier, un canular. Contactée par StreetPress, la com’ de la mairie du 15e rembobine le déroulé des événements :

    « Aux alentours de 20h30, quelqu’un est entré dans l’hôtel Pullman en criant “Alerte à la bombe” puis est immédiatement ressorti. »

    Le staff de l’hôtel décroche immédiatement son téléphone et prévient la police. Le Samu est contacté dans la foulée. Paul est interne en anesthésie-réa aux urgences de l’hôpital Necker. Dès l’annonce des attentats vendredi soir, il se rend au Samu pour accueillir les blessés qui affluent par dizaines. Ce samedi soir, il casse la croûte avec quelques collègues quand l’un d’eux reçoit une alerte sur son bipeur pro :

    « Fusillade 15e » 

    Les équipes d’urgentistes se mettent immédiatement en action et sautent dans leur ambulance, direction le Champ-de-Mars.

    Twitter s’emballe

    Après les premier tweets factuels des trois journalistes présents sur le secteur, la rumeur enfle et le réseau social s’emballe.




    Thomas, le journaliste de l’agence Ze place to see prend des photos de la Tour Eiffel en bleu-blanc-rouge quand il est alerté par le brouhaha des sirènes. Après un premier tweet, il tente de se rapprocher. Impossible d’accéder à l’avenue de Suffren, les forces de l’ordre ont mis en place un périmètre de sécurité tout autour de l’hôtel Pullman. Thomas ne l’annonce pas sur le réseau social, mais il dénombre au moins une cinquantaine d’hommes armés. Il tente de s’approcher. Un policier le somme de se mettre à couvert :

    « Sinon tu vas te prendre un truc dans la figure ! »

    Aux alentours de 21h20, un civil est exfiltré de la zone sous les yeux du journaliste, qui l’interroge immédiatement sur la situation :

    « Il m’annonce “il y a des tirs”. Il était complètement sous le choc. Je venais de voir passer un tweet qui parlait également de bruit de tir. Les forces de l’ordre étaient à cran. J’ai y clairement cru oui. »

    Thomas tweet alors :

    « Un civil assure : “ça tire à l’hôtel Pullman”. »

    La fiabilité des sources crédibilise la rumeur

    En quelques minutes, son message est retweeté une dizaine de fois. Depuis l’intérieur de l’Hôtel, Heather Lacy, journaliste pour la chaîne américaine Fox News live-tweet l’assaut de l’immeuble. Un récit factuel qui alimente la psychose.



    Une troisième journaliste s’empare du sujet. Juliette n’est pas à proximité des événements, elle passe sa soirée à Convention. Le téléphone d’une de ses potes sonne. Au bout du fil « une amie travaillant au SAMU, je ne sais pas où » :

    « Elle lui dit qu’il y a à nouveau des attaques dans le 15e. Le jour des attentats, cette même personne avait aussi appelé et toutes ses infos se sont avérées justes. »

    Elle juge l’info crédible et annonce sur twitter des échanges de coups de feu avenue de Suffren. Elle a depuis supprimé ce message. Elle n’est pas la seule à se baser sur des infos lâchées par des proches aux urgences.


    Paul, l’interne de l’hôpital Necker, est l’une de ces nombreuses « sources » aux urgences. Immédiatement après avoir reçu l’alerte, il publie un message sur son compte Facebook pour « prévenir [ses] amis qu’il y avait une menace, qu’ils se mettent à l’abri », d’autant que deux autres fausses alertes leur arrivent :

    « Aux urgences, c’était le branle-bas de combat, on pensait tous à un nouveau vendredi 13. »

    Les « informations » données par ces journalistes, appuyées par des « sources » hospitalières donnent du crédit à l’affaire. Plusieurs médias étrangers décident de la reprendre :



    L’info est prise, reprise et déformée par le bouche à oreille numérique. Des centaines de twittos évoquent une fusillade puis des morts, parmi eux plusieurs journalistes.




    Debunkers

    Dix minutes après avoir interrogé le « civil » exfiltré avenue de Suffren, Thomas discute avec un policier qui dément l’échange de coups de feu. Thomas décide d’effacer son tweet. 21h50, le Figaro publie dans son live un démentit de la Mairie.


    Progressivement l’information se propage et la tension retombe. Signe de l’emballement autour de cette affaire, sur Twitter plus de 15.000 messages évoquent la rumeur. Avec pour 1428 de ces tweets ,une coquille dans l’orthographe de « Champs-de-Mars » (un S ajouté à « champ »). L’effet de panique sans doute.

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