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    27/06/2016

    De Roubaix à Toulouse, les frères N'Diaye sont à la tête de 19 shops

    Foot Korner, la chaîne de magasins certifiée par la street

    Par Matthieu Bidan , Thomas Dévényi

    Avec Foot Korner, les frères N’Diaye sont à la tête d’un petit royaume : 19 boutiques, un magazine et 2 équipes de foot sponsorisées. Booba, Jul, Niska et Ben Arfa soutiennent l’enseigne au double K.

    Centre-ville de Lille – Le cérémonial est précis. Deux Mercedes barrent une petite rue commerçante. Cinq lascars sortent des berlines, sweat Charo sur le dos, grillz, regard froid, visage fermé. Devant la boutique Foot Korner, Alassan, un grand golgoth, éducateur et coach de grappling, complète le dispositif de sécurité. Devant lui, des dizaines de fans ont formé une file et dégainé leur portable, branchés sur Snapchat. La star du jour, le rappeur Niska, peut se montrer. Avec la sortie de son dernier album, il enchaîne les dédicaces dans les magasins Foot Korner aux quatre coins de la France : Metz, Toulouse, Avignon, Grenoble et aujourd’hui à Lille. « Ici, je suis comme chez moi, c’est la famille », explique le rappeur qui accompagne Maître Gims sur le tube Sapé comme jamais.

    « A la Fnac, ils ont peur de nous. Ils ne comprennent pas la Street, je préfère être ici. »

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    Niska arrive en terrain conquis. / Crédits : Thomas Dévényi

    Comme Niska, une pléiade de stars soutient l’enseigne dédié aux vêtements de football et au streetwear. Mac Tyer, Jul, Franck Ribery, Hatem Ben Arfa ou Ryad Mahrez pour ne citer qu’eux. Avec sa communication offensive et ses séances de dédicace dans les boutiques, Foot Korner s’impose comme le magasin préféré de toute une génération biberonnée au rap et au foot. « Dans les magasins, les kairas ont toujours l’habitude d’être regardées bizarrement, explique Yacoub, le gérant du shop parisien. Nous, on ne crache pas sur la banlieue. » Et la recette fonctionne. 19 boutiques affichent désormais le double K du logo. Foot Korner sponsorise même deux clubs de foot : le Red Star et le club de Toulouse. Ils ont aussi leur propre magazine. En une du premier numéro : une interview exclusive de Booba et une autre de Serge Aurier. La banlieue parle à la banlieue.

    Derrière cette success story, deux frangins longilignes. Les frères N’Diaye, la trentaine entamée, ont grandi dans une cité de Ronchin, dans la banlieue de Lille. A l’unisson, ils se disent « en guerre » :

    « Normalement, pour nous c’était l’usine, mais on a prouvé qu’on n’était pas condamnés à l’échec. »

    Straight outta Roubaix

    Le matin de la séance de dédicace, il pleut des cordes sur la région de Lille. « Ça drache fort », dit Cyril, le plus jeune des deux frangins, alors que l’on se dirige vers Ronchin, la ville où ils ont grandi. Bienvenue chez les Ch’tis, sans postier ni maroilles. A la place, le quartier du Champ du Cerf, une petite cité entourée des maisons de briques rouges typiques de la région. Le premier terrain de foot des deux frères est de l’autre côté de la rue. « On y allait déjà équipé, sans passer par les vestiaires », remet Cyril alors que l’on emprunte un petit passage à côté du poste de police surnommé « le bunker ». Au milieu d’une place désertée, des tables de ping-pong en dur et de grands arbres brisent la monotonie des immeubles couleur blanc cassé. « C’était la débrouille, comme dans toutes les cités, se souvient Birame, l’aîné. L’ambiance foot et quartier de Foot Korner, elle vient d’ici. »

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    Bienvenue chez les Ch’tis, sans postier ni maroilles / Crédits : Thomas Dévényi

    Les deux frères s’arrêtent devant le centre pour jeunes où ils ont rédigé leur premier CV. C’était l’époque des emplois jeunes de Lionel Jospin. Ni Birame, ni Cyril n’ont le bac. Devant le local fermé, on commence à sérieusement prendre l’eau. Alassan, le colosse qui fera la sécu pour la venue de Niska, tombe à pic avec sa Chevrolet blanche. Un morceau de Jul tourne en fond. Un peu plus âgé que les deux frères, il se souvient de leur début :

    « Ils ont commencé à faire du commerce ici. Ils avaient un garage où ils vendaient des maillots et des chaussettes. Quand ils ouvraient, tous les petits du quartier venaient les voir. »

    A l’époque, les deux frères ont trouvé un plan pour récupérer des produits Nike à Saint-Ouen-l’Aumône, en banlieue nord de Paris. « On vendait que du M et du 42 », rembobine Cyril. En 2007, ils passent à l’étape supérieure et cherchent à ouvrir une franchise. Les frères tombent sur Foot Corner, avec un « C », une enseigne sur le déclin. Ils inaugurent leur premier magasin à Roubaix un an plus tard. Une opération qui leur coûte 100.000 euros. « On a fait comme on a pu, dit l’aîné sans s’étendre. On avait vendu nos voitures. » A l’époque, aucune banque ne leur accorde de prêt.

    « Quand j’ai présenté le projet au banquier, il me dit : “Pourquoi reprendre un magasin ? Il vaudrait mieux que vous alliez travailler à Décathlon.” »

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    Started from the bottom / Crédits : Thomas Dévényi

    D’un magasin franchisé à une chaîne de 19 boutiques

    A 20 minutes de là, Roubaix et sa Grand’ Rue, l’artère commerciale du centre-ville. « C’est un peu le bordel, on prépare les soldes », prévient Birame en entrant dans le magasin. Dans les rayons, les cartons s’empilent au sol sous les maillots accrochés à des portants. Les vendeurs en survêt’ s’affairent. Une mère de famille insiste pour se faire rembourser un maillot. Pas la bonne taille pour son fils en prison. Un jeune demande si son maillot préféré est en rayon. Les affaires roulent dans le premier magasin des frères N’Diaye. En 2012, ce shop roubaisien et celui de Lille sont les derniers Foot Corner ancienne génération. Et ces deux boutiques appartiennent à Cyril et Birame. Ils rachètent l’enseigne à l’agonie, changent l’identité visuelle, remplacent le « C » par un « K » « pour avoir plus d’impact ».

    Assis derrière la caisse, le gérant, Wally, cousin des deux frangins. Dans son survêt bleu nuit de Chelsea, il se marre :

    « Au début, c’était juste un shop à Roubaix. Après c’est parti en couille. »

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    Foot Locker du ter-ter / Crédits : Thomas Dévényi

    Le premier gros coup de ce Foot Korner remanié : l’ouverture d’un magasin à Châtelet, un secteur inévitable pour qui veut s’imposer dans le textile à destination de la banlieue. C’est Yacoub, un parisien de 32 ans qui a ouvert le shop. C’était en 2014 :

    « J’avais déjà un shop, j’ai changé l’enseigne pour Foot Korner. C’est dire si je croyais au projet. On vient d’en bas et aujourd’hui on a trouvé notre cible. »

    17 ouvertures en deux ans, de Nice à Toulouse, d’Aulnay-sous-Bois à Metz.

    Sexion d’Assaut et footballeur pros

    Dans le magasin lillois, à 30 minutes en métro du QG roubaisien, le DJ prépare ses platines. Check de l’épaule avec Birame. Ils portent tous les deux le même ensemble gris de la collection Foot Korner. Niska ne devrait plus tarder alors les vendeurs font un peu d’ordre dans le magasin.

    Chez Foot Korner, le rap et le foot ne sont pas que des slogans marketing. Deux membres de la Sexion d’Assaut, Barack Adama et Maska, ont ouvert des magasins au Havre et à Epinay-sur-Seine dans le 93. Et des sportifs se verraient bien lancer un magasin franchisé à leur tour. Birame a justement rendez-vous avec un pro du Stade Rennais. Déjà plusieurs semaines qu’il le fait mariner. « C’est pour voir si le mec est sérieux », assure-t-il derrière ses lunettes de soleil pendant que l’on s’installe en terrasse.

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    Birame, devant sa boutique lilloise / Crédits : Thomas Dévényi

    La réunion a lieu dans une brasserie qui sert des paninis un peu trop secs à 50 mètres du Foot Korner lillois. Le footeux commande un Perrier. Il est venu avec un pote. Casquette New York noir vissée sur la tête, il est vendeur pour Foot Locker. Sa femme, manucurée à la perfection, est là aussi. Elle a noté une batterie de questions sur un carnet et dégainé son stylo. Birame met les choses au point avec le joueur avare en paroles en face de lui :

    « Il faut que tu saches que ce n’est pas de l’immobilier. On fait du commerce, il faut s’investir à fond, sinon tu auras des pertes. »

    S’il se permet d’être aussi direct, c’est qu’il ne court plus après les ouvertures. Il reçoit jusqu’à 5 demandes par mois. « Même les mairies nous contactent », jure-t-il en montrant un mail sur son portable. Droit d’entrée pour ouvrir une franchise ? « Entre 20 et 30 milles euros. » Les deux frangins touchent des royalties sur le chiffre d’affaire de chaque boutique. Mais pas question pour eux de dévoiler un chiffre d’affaire global, ni les bénéfices qui tombent dans leurs poches.

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    Gradur, Booba et Niska sont fans du Double K / Crédits : DR

    Deux frères modestes

    Avec leur look soigné et leur carnet d’adresses, on imagine facilement les frères N’Diaye en flambeurs. On aurait tort. « Jusqu’à très peu de temps, on ne se mettait pas en avant, assure même Birame avec sa voix caverneuse. On n’est pas des m’as-tu vu ! C’est le nord ici. »

    Leur mère, française, était fonctionnaire. Le père, sénégalais, travaillait dans une usine de pots d’échappement à Beauvais. De quoi garder les pieds sur terre :

    « On n’a pas inventé un vaccin, on vend juste du coton. »

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    From Roubaix to the world / Crédits : Thomas Dévényi

    Ils pensent déjà à créer une association pour envoyer des jeunes de quartiers populaires en vacances. « Ce sont des modèles ici, assure Alassan. Quand les petits du quartier vont dans leurs magasins, ils offrent toujours quelque chose en plus. » Cyril interrompt en rigolant : « Note pas ça, ils vont tous nous réclamer quelque chose après. » L’année dernière, les deux frangins ont participé à une action en faveur des sans-abris dans leur QG de Roubaix :

    « Tous les jeudis, on faisait dormir des SDF dans le magasin. Il y avait 5-6 personnes toutes les semaines. »

    Sans doute l’héritage de leur papa syndicaliste, encarté à la CDFT. Ils votent tous les deux à chaque élection. A gauche. Birame ne croit pas trop dans le mouvement Nuit Debout, « pas assez concret ». Il est d’accord avec Macron quand il dit que les jeunes veulent « des thunes ». « Mais ne va pas écrire que je suis de droite », tempère-t-il aussitôt comme si c’était une insulte.

    Communication agressive et plainte de concurrents

    Même s’ils la jouent modeste dans les paroles, ils ne se privent pas pour tacler la concurrence sur les réseaux sociaux. Florilège d’egotrip en hashtag sur Instagram : #ilsSeVoyaientTropBeau #seulecontreeux #LaConcuDansLeRetro #CaCritiqueMaisSaSuceEnChetca. Avec cette com’ agressive, la fratrie ne passe pas inaperçue dans le milieu. « On nous a déjà dit en rendez-vous : “ce n’est pas du rap.” » Mais Cyril a du répondant :

    « Les marques n’aiment pas qu’on s’adresse à la banlieue. Lacoste par exemple. On négocie avec eux mais ils ont peur. Ils visent des tennismen mais qui fait leur chiffre ? Gucci c’est pareil. Qui achète leurs casquettes ? »

    Leurs piques régulières sur Instagram leur ont déjà valu quelques soucis. Il y a quelques semaines, un concurrent s’installe à Lille. Ils postent une photo d’un pied qui lève le troisième doigt. Un huissier débarque dans leur magasin pour leur notifier une plainte :

    « Il nous dit : “Veuillez enlever votre photo.” On n’a même pas répondu pour l’instant. »

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    Le petit oiseau va sortir / Crédits : Thomas Dévényi

    Pour distancer la concurrence, Foot Korner mise sur des gros coups. Comme la venue de Booba dans le magasin lillois pour une séance de dédicace en janvier dernier. « Il y avait mille personnes, toute la rue était bloquée », rembobine Birame. Alassan faisait partie de la sécu ce jour-là :

    « On était une dizaine, il y avait des maîtres-chiens. Tout s’est bien passé. Sinon quelle image on aurait donné ? »

    En septembre 2015, la dédicace de Niska au Havre ne s’était pas aussi bien déroulée. Parmi les centaines de fans réunis devant le shop du quartier de Mont-Gaillard, quelques-uns avaient voulu griller la priorité. La pression était montée et Niska avait dû couper court. Les médias locaux titrent sur une « émeute » après que des jeunes se sont attaqués aux tramways tout proches.

    Ambiance quartier

    Cette après-midi, à Lille, on est loin du nuage de gaz lacrymogènes du Havre. Niska enchaîne les photos et les signatures. Ses potes qui font office d’agents de sécu n’ont pas grand-chose à surveiller. Ils en profitent pour reluquer un survêt du Portugal. Sur le dos de quelques ados présents, le hit du magasin : les maillots de la Thaïlande.

    Sofiane vient de recevoir la griffe de Niska sur son modèle jaune fluo. Evidemment, il l’a acheté chez Foot Korner. A 14 ans, il passe régulièrement. « Ils font des promos pas mal. Et ils sont gentils », dit-il candide. A côté de lui, son pote Florian a aussi signature dans le dos. Il préfère Foot Korner aux autres magasins du centre-ville :

    « C’est comme si on était au quartier. On n’entre pas en disant : “bonjour, pardon”. En plus on peut tutoyer les vendeurs. »

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    Signé Niska / Crédits : Thomas Dévényi

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    « C’est comme si on était au quartier. On n’entre pas en disant : “bonjour, pardon”. En plus on peut tutoyer les vendeurs. » / Crédits : Thomas Dévényi

    Assis sur la caisse au fond du magasin, Aziz, 25 ans, discute avec le reste de l’équipe alors que des clips de Niska passent sur une télé. « Quand j’ai quitté l’école, j’ai cassé les couilles à Birame et Cyril », rigole-t-il, claquettes Nike aux pieds et casquette à l’envers. Il traînait dans les cartons en quête d’une embauche. Aujourd’hui, c’est lui qui gère le magasin :

    « Avec ma tête, je n’aurais jamais eu un poste ailleurs. »

    La galère revient dans toutes les bouches des gars du nord. Sur le pas de la porte, face aux derniers fans qui n’ont pas encore rencontré Niska, Alassan s’interroge :

    « Les vendeurs ici, qui leur aurait donné une chance ? C’est plus qu’un magasin, c’est de la force pour nous tous. »

    Les deux frères ont bien conscience de ce nouvel horizon qu’ils offrent autour d’eux. Grâce à leur boîte, ils se sont constitués un solide réseau avec d’autres entrepreneurs de cités. Le message est clair : fini de se cacher. « Avant, on ne devait pas montrer qu’on se connaissait en banlieue, maintenant on assume notre identité », explique Birame. Jusqu’à en tirer profit :

    « On sait que les grands frères, même avec un Bac +5, ils n’y arrivent pas. Alors on se replie sur nous. »

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    Ici, c'est le Nord / Crédits : Thomas Dévényi

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