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    22/07/2016

    A presque 80 ans, elle pose des chats sur les murs de Paris

    Missekat, la mamie du Street-Art

    Par François Rieux

    Certains soirs Missekat enfourche son vélo, glisse ses bombes de peintures et ses pochoirs dans son panier et part péter les murs du 3ème arrondissement. Ses petits-enfants kiffent : « ils disent "Cool ! Mamie c'est une délinquante !" »

    Rue Debelleyme, Paris 3e – Missekat colle le pochoir en forme de chat sur le mur. La presque octogénaire se saisit ensuite d’une bombe de peinture noire et teste le spray à même le trottoir. En 10 minutes à peine, elle enchaîne les trois pochoirs qui composent son œuvre. 22h50, la mamie rock’n’roll, cheveux ébouriffés, bagouses aux doigts et blouson en cuir remballe ses affaires et enfourche son vélo noir.

    « Je vais avoir 80 ans en novembre et quand les gens me voient, ils ne pensent pas que je peux graffer dans la rue », jubile-t-elle avec un large sourire. Sa spécialité, des chats en tout genre :

    « Missekat, ça veut dire ‘‘petit chat’‘ en Danois [son pays d’origine, ndlr]. J’ai toujours aimé cet animal pour ses qualités comme pour ses défauts. »

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    Missekat, en plein rodéo vandale / Crédits : François Rieux

    L’amour du risque

    Les risques ? Tout comme son âge, elle n’y pense pas vraiment une fois sur le ter-ter :

    « J’aime le frisson que ça procure. Je n’ai jamais croisé la police mais je stresse quand même. C’est un mélange d’interdit et de liberté… »

    Ses balades au clair de lune lui ont pourtant causé quelques frayeurs. Un soir, vers 23h alors qu’elle tague non loin de chez elle, un homme la filme avant de la prendre à parti de façon virulente :

    « Au départ, je pensais qu’il filmait parce qu’il aimait bien ce que je faisais. Non, en fait il voulait me dénoncer. Dans le voisinage, beaucoup n’aiment pas ce que je fais… Ils n’y connaissent rien en art, ce sont des vieux cons ! »

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    Maooooow / Crédits : François Rieux

    Super Mamie

    Depuis, la street-mamie évite de partir en escapade toute seule :

    « De temps en temps, des amis viennent aussi. Juste pour voir… Ça me rassure car mes dessins suscitent pas que des réactions positives. »

    Parfois, ce sont aussi ses petits enfants qui l’accompagnent dans ses virées nocturnes :

    « Ils ont entre 13 et 14 ans et ils disent “Cool ! Mamie c’est une délinquante !”, ça me fait beaucoup rire… »

    Tirade interrompue par la sonnerie de son téléphone. C’est son compagnon :

    « Oui j’ai mis les haricots rouges au frigo. Non pas encore. Mais si je te l’aies dit. Je fais un tag dans la rue. À tout à l’heure… Bisous. »

    Il semble s’inquiéter de l’heure. Elle décide de le rejoindre. A peine partie, un noctambule photographie déjà le chat fraîchement dessiné sur le mur.

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    L'arbre à chats / Crédits : François Rieux

    Vie de chat sauvage

    Malgré ses 79 printemps, Missekat a l’énergie d’une ado grunge. Accoudée sur une table de bistrot, elle raconte sa passion pour l’art et son initiation récente au street art :

    « J’ai fait du dessin pendant plusieurs années à l’Académie de la Grande Chaumière [une école d’art privée, ndlr]. J’ai toujours dessiné, peint ou sculpté en fait. Toute petite déjà, je fabriquais mes propres poupées. Il y a un an, j’ai acheté un livre tutoriel pour fabriquer des pochoirs… Et voilà ! »

    Avant de se mettre au graff, l’artiste à pas mal bourlingué : 15 ans d’enseignement d’anglais, quelques photos de mode, des voyages et même un petit rôle de « pute » dans un film avec Anémone. Elle confesse :

    « J’ai toujours aimé tout ce qui touchait à l’alternatif, à la sous-culture. Plus jeune, j’ai rencontré des bikers, traîné avec des gangsters, suivi les itinéraires de travestis qui se prostituaient… Je me sens bien dans la marginalité. »

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    Mamie fait de la résistance / Crédits : François Rieux

    L’icône du quartier

    Aujourd’hui, ce sont ses virées bombes à la main qui lui fournissent ses shots d’adrénaline. Dans le quartier cette grand-mère a la cote. Avant ses virées vandales, Missekat a l’habitude d’aller dans un petit rade qu’elle « affectionne beaucoup ». On y sert des pizzas copieuses. Les enceintes crachent des tubes des années 80. Ici, elle connaît tout le monde, claque des bises à qui mieux-mieux et détaille la bio de chacun :

    « Celui-ci est balayeur. Là-bas, vous avez un prof de philo. Lui, il est peintre. Le couple en face ce sont des musiciens un peu underground. »

    Elle commande un Monaco et balance à la serveuse « On fait un reportage sur moi ce soir ! ». « C’est la gloire », lance la jeune femme à la peau mate et aux longs cheveux bruns :

    « Même si c’est illégal, on aime ce que vous faîtes ici. Et on vous encourage dans l’illégalité ! »

    Cette petite notoriété de quartier semble suffire à Missekat. Même si la galerie The Wall, spécialisée dans l’art urbain, vend quelques une de ses œuvres, l’artiste ne semble pas vraiment vouloir faire carrière :

    « J’ai fait un Facebook mais je ne communique pas vraiment dessus. Je ne suis pas ambitieuse en réalité. Il me faudrait un agent, un directeur artistique… Je pense qu’une businesswoman ne peut pas être une artiste. Et vice-versa. »

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