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    27/10/2016

    Depuis 25 ans, Lucile Girard-Monneron les aide dans leur transition

    L’orthophoniste qui apprend aux trans à féminiser leur voix

    Par Robin D'Angelo

    Dans son cabinet parisien Lucile Girard-Monneron accueille des femmes trans qui veulent féminiser leurs voix. Au programme, exercices de diction et lectures de Florence Foresti.

    Assise à une table de son cabinet, l’orthophoniste Lucile Girard-Monneron clique sur le bouton play de son enregistreur. La voix de Patricia*, une de ses patientes transgenres, sort des enceintes. « J’ai 33 ans et je suis téléopératrice », se présente-t-elle, d’un timbre grave et enroué. L’orthophoniste passe un second enregistrement de Patricia mais cette fois 4 ans après le début de sa thérapie. Le ton est désormais léger et aigu. « J’ai enfin pu atteindre mon but de me fondre dans la masse. Et maintenant je suis assistante de direction », dit-elle, aujourd’hui âgée de 37 ans. Lucile Girard-Monneron se fend d’un grand sourire :

    « Quand on entend ça, c’est un petit bonheur. »

    Glissando et sketches de Florence Foresti

    Depuis 25 ans, cette orthophoniste apprend aux femmes trans à féminiser leur voix. Pour les plus chanceuses, la thérapie dure quelques mois. Mais la plupart doivent fournir plus d’efforts et parfois consulter pendant 4 ans. Un travail fastidieux, à base d’exercices de diction répétitifs et abrutissants. « C‘est comme s’exercer aux barres au sol avant de pouvoir se mettre à danser », compare la doctoresse.

    Dans son cabinet, les femmes trans s’entrainent à utiliser toute l’amplitude de leurs cordes vocales. Parmi les exercices, le glissando – c’est-à-dire passer du grave à l’aigu lors d’une même intonation. Elles doivent aussi trouver la bonne gestuelle avec leur bouche pour que les sons émis ne sonnent pas comme une voix de fausset. Mais le plus important pour Lucile est que ses patientes découvrent la voix qui correspond à la femme qu’elles veulent être. Pour ce faire, elle leur fait lire des extraits de pièces de théâtre – « plutôt Florence Foresti que Andromaque ! » – en laissant libre court à leur interprétation. Objectif : trouver leur timbre pour tout un éventail de situations de la vie quotidienne. « Car on n’a pas la même voix quand on veut séduire ou quand on parle à ses parents. Cela s’apprend », précise-t-elle.

    Désapprendre les codes sociaux

    Pour les trans hommes – c’est-à-dire nés femmes – le travail est plus facile : les injections de testostérone rendent déjà leur voix plus grave. A l’inverse, les femmes trans doivent apprendre à la force de la volonté. Ou plutôt désapprendre. Nées hommes, leurs cordes vocales se sont allongées lors de la mue leur permettant de descendre dans les graves. « Et par pression sociale, le garçon utilise sa voix grave une fois qu’il a mué », explique l’orthophoniste. Avec ses patientes, elle doit défaire ces habitudes. Mais parfois, les codes sociaux sont trop forts :

    « J’ai une patiente qui reprend sa voix grave dès qu’elle parle de son boulot qui est très technique. Car souvent, on associe la voix grave à la voix du savoir. »

    Certaines femmes trans couplent l’orthophonie avec une intervention chirurgicale. Soit par cricothyropexie, ce qui revient à raccourcir les cordes vocales. Soit par glotoplastie qui consiste à les joindre. Mais dans les deux cas, ce n’est pas suffisant. Elles doivent suivre en plus des cours d’élocution chez un orthophoniste pour apprendre manœuvrer leur nouvel outil.

    Orthophonie transfriendly

    Lucile Girard-Monneron reçoit une soixantaine de patients par semaine. 40% d’entre eux sont des trans. Sur les forums internet de la communauté, son adresse se refile avec souvent des commentaires élogieux. L’orthophoniste est une sommité. Depuis 25 ans, elle travaille sur la voix et le genre. Elle a publié une thèse consacrée à l’éthique médicale et les transidentitaires. Elle a également monté le réseau Respectrans qui regroupe les professionnels amenés à travailler avec ce public. La doc organise aussi des journées de formations sur le sujet pour ses collègues orthophonistes.

    Energique et pétillante, la petite femme de 56 ans aux cheveux grisonnants s’est spécialisée sur le sujet de façon fortuite après que sa directrice de recherche lui a proposé de s’y intéresser. La première fois qu’elle rencontre une femme trans, c’est dans son cabinet, au milieu des années 1980. « On me disait de me méfier, que les trans étaient des malades mentaux, des menteurs… J’ai tout de suite vu que c’était les mêmes gens que partout ailleurs. Avec quand même un sentiment de culpabilité vis-à-vis d’eux-mêmes plus prononcé », se souvient-elle. L’orthophoniste ne distingue pas ces patientes des autres :

    « Je fais les mêmes exercices qu’avec les femmes non-trans qui veulent féminiser leur voix. Pour qu’elles disent, ma voix, c’est moi. »

    Les temps changent

    En 25 ans de métier, la patientèle trans de Lucile Girard-Monneron a évolué. A ses débuts, elle était exclusivement composée de quadragénaires. Aujourd’hui, elle reçoit beaucoup de jeunes, parfois même des mineures accompagnées de leurs parents. Un signe d’une meilleure acceptation des transgenres dans la société, selon elle. « Il y a 15 ans des collègues me demandaient encore : “mais tu les appelles monsieur ou madame ?” Le regard a changé. Les docteurs ne sont plus là pour juger mais pour accompagner. Les références scientifiques ne sont plus franco-françaises », énumère-t-elle. Elle aussi a changé d’opinion sur certains sujets, la chirurgie des cordes vocales en tête, à laquelle elle s’opposait farouchement. « C’est le coup de pouce qui peut permettre de ne plus avoir à être dans le contrôle permanent de sa voix », juge-t-elle aujourd’hui.

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