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    02/03/2017

    « Les regards de travers, les "sales grosses" dans la rue, tout ça s'est normalisé »

    Le Yogras, du yoga pour lutter contre la grossophobie

    Par Inès Belgacem , Lily Manapany

    Chaque semaine, depuis septembre 2016, une poignée de femmes en surpoids se réunit pour des cours de yoga. Un espace où elles peuvent échapper aux discriminations.

    Le Shakirail, Paris 18e – « Bien sûr que j’ai déjà fait du yoga : 5 fois devant Youtube dans ma chambre. Et j’ai trouvé que ça allait très vite… » À 23 ans, Claire s’est longtemps tâtée à aller demander de l’aide à un prof’ et prendre des cours. Mais l’idée d’intégrer un groupe de sport l’angoissait. Une appréhension que partage Anne, 40 ans :

    « Je n’ai aucune envie de rejoindre un groupe où l’on va me demander de faire des choses que mon corps ne peut pas faire. »

    Comme la plupart des femmes présentes ce soir au Shakirail, la petite brune au carré parfaitement cuté entend depuis toujours des remarques sur son poids. Il est 19h et dans le squat historique du 18e arrondissement de Paris, le Yogras va commencer. Du yogas pour les gros ! « Le cours est ouvert aux femmes et aux minorités de genre, quelle que soit leur morphologie », explique Eva, initiatrice du cours avec Daria Marx. Une initiative qui a permis à Claire de sauter le pas :

    « J’aime qu’on soit entre meufs. C’est doux et adapté à mon rythme et ma morphologie. Je me sens à l’aise. »

    Un espace « safe »

    Assises en rond dans une des salles de l’ancien bâtiment de la RATP, les 8 sportives du jour écoutent attentivement Gaëlle-Anne, la prof‘ :

    « On va fermer les yeux et rentrer dans nos bulles. On va commencer par chanter. »

    La jeune femme brune aux lunettes rondes est arrivée dès le début du projet, en septembre 2016 :

    « Le yoga est body shamant [normé, ndlr] parfois. J’ai déjà entendu une collègue prof me dire “le yoga n’est pas fait pour les gens en surpoids, c’est trop physique”. »

    Elle n’y croit pas, au contraire. « C’est un engagement physique pour tout le monde. » Gaëlle-Anne assure ne pas faire énormément d’adaptation à son cours. Elle donne simplement la possibilité d’aller à son rythme. « Je sais qu’on ne va pas me demander de mettre mes jambes au-dessus de ma tête ici », explique Claire. Pour Eva V, une autre participante, il n’y a pas de pression de groupe :

    « Dans les cours mainstream, on doit savoir faire ce que font les autres à côté. Sinon on nous regarde de travers. Et je me sentirais moins à l’aise s’il n’y avait que des gens fins. Ici c’est un endroit safe. »

    Anne voit dans le Yogras une initiative qui pourrait faire bouger les lignes :

    « Les regards de travers, les réflexions, les “sales grosses” dans la rue, tout ça s’est normalisé. Ce type d’initiative est positive et peut faire changer le regard des gens. »

    Gras politique

    Il y avait un vide à combler, pour Eva et Daria. Raison pour laquelle elles ont fondé à l’été Gras Politique, un collectif pour politiser et sensibiliser à la grossophobie, soit les discriminations faites aux personnes grosses. Un sujet qui se limite souvent aux problèmes de taille de vêtements :

    « Quand on parle de gros, on parle de fringues. Mais une fois que tu es habillé, tu n’as pas réglé tes problèmes. »

    À Eva de citer pêle-mêle la précarité des personnes en surpoids, les discriminations à l’embauche ou à l’accès à la santé :

    « Certaines femmes nous ont raconté avoir été à la pharmacie demander une pilule du lendemain. On leur a rétorqué qu’elles n’en avaient pas besoin puisqu’elles n’avaient pas de vie sexuelle. »

    Les deux femmes sont connues comme des militantes de longue date : Daria lutte contre la grossophobie depuis 15 ans, Eva dans des collectifs LGBT. Avec Gras Politique, elles organisent le Yogras, mais comptent également publier des brochures de sensibilisation et préparent des conférences autour de la grossophobie. Elles espèrent mettre en place, dans quelques temps, des groupes de parole.

    « C’est une super initiative. Gras Politique touche un public large qui a besoin d’espace pour se retrouver et travailler sur soi », explique Lily, 18 ans, la petite dernière du groupe. Après avoir chanté, médité et fait quelques abdos avec le reste du groupe, elle s’apprête à remballer ses affaires et à prendre le RER. Avec le Yogras, elle explique avoir pris conscience de discriminations qu’elle n’avait même pas imaginées :

    « J’avais normalisé certains comportements discriminants, je ne savais pas qu’il existait des endroits où l’on se sentait libre et bien dans son corps, comme ici. Des collectifs comme Gras Politique aident à ouvrir les yeux sur les discriminations dont personne ne parle. »

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