En ce moment

    18/01/2018

    Travaux d'intérêt général à la ferme

    Des délinquants condamnés à élever des vaches et des cochons

    Par Pauline Autin , Sébastien Pons

    La ferme de la butte Pinson, dans le 95, accueille des personnes condamnées à des Travaux d’Intérêts Général (TIG). Elever vaches, oies et cochons, une belle alternative à la prison.

    Ferme de la butte Pinson – « Allez Otief [le chien de la ferme], vas-y, encadre le troupeau du ghetto ». Trait d’eye liner sur les paupières, piercing à la lèvre et ongles vernis… De la panoplie du berger, Stacy n’a gardé que le bâton « pour se mettre dans la peau du personnage ». La jeune femme est ce que l’on appelle une tigiste, une personne sous la main de la justice condamnée à des travaux d’intérêt général (TIG).

    Depuis 2014, l’association Les Fermiers de la francilienne s’est installée entre les barres HLM du 95. A Montmagny, petite ville du Val d’Oise, la structure accueille dans sa ferme pédagogique des classes en sortie scolaire, des jeunes en service civique mais surtout des personnes condamnées : l’asso fondée par Julien Boucher est parmi les premiers “employeurs” de tigistes en France.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/csebastien_pons_22.jpg

    Coucou. / Crédits : Sébastien Pons

    Fermiers d’intérêt général

    Si Stacy passe deux heures de sa matinée à observer une douzaine d’ovidés brouter, c’est qu’elle a été condamnée à 105 heures de travaux d’intérêt général pour avoir « tabassé un type, un soir, bourrée ». Comme elle, ils sont deux à trois cents jeunes chaque année à exécuter leur peine alternative dans cette exploitation. En ce début de semaine, la ferme ouvre ses portes à quatre nouveaux arrivants. Autour d’un brasero de fortune, Cafer, tigiste de 57 ans, fait sécher ses gants. Il a une centaine d’heures de TIG à effectuer. À ses côtés, on aperçoit Loan, 14 ans. Le collégien, qui veut devenir soigneur pour animaux, effectue son stage de troisième à la ferme. Loan est à l’aise avec les animaux. De leur côté, les tigistes se méfient encore de Jaco, le jar de l’exploitation. Cela donne une idée à Gary. Capuche sur la tête, ce jeune de 24 ans, qui arrive bientôt à la fin de ses heures de TIG, s’empare de sa guitare et entreprend une sérénade. « Oh Jaco, tu es le plus beau », ni une, ni deux, la troupe reprend cette mélodie en chœur. La pause se termine.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/csebastien_pons_12.jpg

    Pause casse-croute. / Crédits : Sébastien Pons

    Objectif premier emploi

    L’éduc spé répartit les tâches de la seconde moitié de la matinée, tout en expliquant :

    « Avec les jeunes, on bosse sur des axes qui leurs serviront pour leur prochain emploi. Les tigistes sont très éloignés du monde du travail donc on les accompagne dans leur professionnalisation future. »

    Un premier groupe s’attèle à la construction d’une mangeoire avec Ricot, employé à la ferme. Sous ses instructions, le timide Kévin, un service civique arrivé il y a quelques semaines prend ses marques. Aux deux gaillards se joint Bachir, 21 ans. « Tu connais ça ? C’est drapeau noir de Booba », commente-t-il en lançant le morceau sur son portable. Après avoir fait six mois de prison, il effectue ses TIG pour un vol commis en 2015. « Ça me plait moyen d’être ici, je perds du temps alors que je pourrais faire du biff, mais j’ambiance la ferme », s’amuse-t-il en lançant un clin d’œil. Lors de l’atelier, on visse, on détache les planches, on scie. La structure prend forme. Bachir s’esclaffe :

    « Ça pourra peut-être me resservir à impressionner les filles. »

    La seconde activité se déroule auprès des vaches. Loan tente d’appâter Marguerite avec du foin. « Je crois que ce que tu as entre les mains, c’est de la paille », lui lance Marie, service civique chargée de l’encadrement. Fou rire collectif.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/csebastien_pons_7.jpg

    Un petit air ? / Crédits : Sébastien Pons

    Dans un enclos voisin, Geoffrey motive les troupes du « village des animaux ». La dernière activité n’est pas des plus enthousiasmantes pour les tigistes. Il s’agit de nettoyer les cages à poules. On se bouche le nez, on prend son courage à deux mains. Si les jeunes entrent dans l’enclos sur la pointe des pieds pour ne pas salir leurs baskets, ils se résignent rapidement à y aller franchement. Brouettes en mains, ils jonglent entre foin et fientes de poules. « Vroom vroom laissez place ! », balance Bruno, toujours le sourire aux lèvres.

    « Aujourd’hui on tente d’habituer ces jeunes aux règles imposées dans le milieu professionnel, comme le respect des horaires. De 9h30 à 16h30 ils sont à la ferme, c’est le minimum», insiste Svetlana, l’éduc’ spé à la longue chevelure blonde. Tout au long de l’exécution des TIG, les encadrants insistent sur la ponctualité, l’organisation et l’écoute. La structure propose également des services civiques aux tigistes, explique Svetlana :

    « En 35 heures, tu n’as pas le temps d’aller au bout des choses avec eux. Donc on propose cette alternative. Les profils qui poursuivent avec nous sont ceux qui se sont découvert un intérêt pour les animaux, sans parler pour autant de vocation. Ils se sont ouverts à autre chose. »

    Stacy en fait justement partie. Ses heures de TIG terminées, la petite brune de 20 ans continue d’aller et venir entre les enclos. « J’ai plus de responsabilité en tant que service civique. Cette expérience me permet de ne pas avoir un trou dans mon CV. Je bosse pour un projet qui m’a plu, avec des gens qui sont un peu comme la famille. Mon rêve, ça reste de devenir serveuse», confie cette habitante de Pierrefitte, tout sourire.

    La matinée se termine. Il est l’heure de manger. On met de l’eau à bouillir sur le bidon dans la cour. Jasmin le cochon ne tarde pas à montrer son groin. La bonne humeur règne. Marie improvise une imitation de Georges, le canard, un peu trop collant à son goût. Gary saute sur l’occasion pour mimer à son tour le lapin que Loan câline contre lui. « La ferme, c’est aussi l’occasion de rencontrer d’autres jeunes de mon âge », souffle Stacy, la jeune bavarde. La joyeuse bande se réunit finalement autour d’une table, le tout formant une agréable cacophonie avec les oies. Charline conclut :

    « Les structures ont vraiment été créées pour ça, pour rapprocher les publics. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/csebastien_pons_17.jpg

    L'équipe. / Crédits : Sébastien Pons

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
    Soutenez StreetPress, faites un don à partir de 1 euro 💪🙏

    Je soutiens StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER