En ce moment

    12/02/2019

    Marche à Champs-sur-Marne pour réclamer « vérité et justice »

    La famille de Gaye Camara, tué par un policier, dénonce les lenteurs de la justice

    Par Jeanne Seignol

    Ce samedi, la famille Camara défilait à Champs-sur-Marne pour réclamer justice et vérité pour Gaye, décédé sous les tirs de la police. L’enquête patine, comme celles de nombreuses familles victimes de violences policières.

    Champs-sur-Marne (93) – Mahamadou Camara est debout à l’arrière d’une camionnette, micro en main. L’homme porte un t-shirt blanc barré d’un message : « Gaye, une justice pour reposer en paix ». Ce samedi après-midi, lui et ses proches marchent en mémoire de son frère, Gaye Camara, un peu plus d’un an après son décès. Ils accusent la police de l’avoir assassiné. Devant une foule de plusieurs centaines de personnes, Mahamadou énonce les noms des morts de violences policières : Adama Traoré, Shaoyo Liu, Babacar Gueye, Angelo Garand, Cyrille Faussadier… Lorsque vient le nom de Gaye, la voix de son aîné se brise. Après quelques secondes, soutenu par son entourage, il reprend difficilement :

    « Gaye c’était le frère de tout le monde. Marcher aujourd’hui pour lui, c’est marcher pour toutes les victimes. »

    Le jeune homme de 26 ans est mort d’une balle dans la tête. Depuis, la famille attend l’issue de la procédure judiciaire. S’ils organisent une marche pour demander justice, c’est pour faire entendre leur voix dans une affaire qui n’avance pas.

    « La police assassine »

    La foule scande « Urgence, urgence, la police assassine ». C’est au tour d’un ami de la famille de prendre la parole sur le camion, alors que le cortège est en marche. L’homme porte une barbe rouge et parle d’un ton assuré. Il raconte ce qui est arrivé à Gaye, le soir du 16 janvier 2018. Il est à Épinay-sur-Seine (93), en voiture avec deux amis. Au même moment, la police est en planque dans une impasse. Les agents surveillent une Mercedes signalée comme volée. Gaye Camara est au volant. Un de ses passagers qui descend pour monter dans la fameuse Mercedes se fait interpeller dans la foulée. Les policiers foncent ensuite sur la voiture de Gaye, qui est en train de repartir. Alors que le véhicule est en marche, face à eux, les agents ouvrent le feu à huit reprises. Fort, révolté, l’ami crie au micro :

    « Gaye a pris une balle dans la tête. »

    Il est transporté à l’hôpital, mais décède le lendemain des suites de ses blessures.

    Les trois policiers ont la même version des faits : Gaye leur aurait foncé dessus. Le témoin, qui se trouvait du côté passager, affirme pourtant que les agents n’étaient pas sur la trajectoire du véhicule. Pour Mahamadou, le frère, la loi du 28 février 2017 qui redéfinit la légitime défense de la police est en cause. Elle leur permet d’utiliser leur arme plus aisément quand ils se sentent menacés. Il conclut, indigné :

    « L’État a donné le droit à la police de tuer. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/img_6698.jpg

    / Crédits : Jeanne Seignol

    Où en est l’enquête ?

    En aparté, Mahamadou Camara fait le bilan des procédures en cours. Une enquête a été confiée à l’IGPN, la police des polices. Les premières conclusions dédouanent les policiers : il s’agirait bien de légitime défense. La famille a également déposé une plainte avec constitution de partie civile pour « homicide volontaire ». « L’affaire traîne, le procureur a pris quatre mois pour désigner un juge d’instruction, ce n’est pas normal », gronde Mahamadou :

    « Le policier qui a tué mon frère n’était pas en situation de légitime défense. Il a reconnu avoir tiré trois fois, alors que le véhicule l’avait déjà dépassé. Le procureur a qualifié les faits de violences volontaires, car Gaye a reçu une balle dans une zone létale. »

    Pourtant, à l’heure actuelle, « seuls les deux témoins ont été entendus par le juge d’instruction. Pas la famille, ni les policiers », précise-t-il. Par ailleurs, Gaye n’avait aucune arme sur lui lors de son interpellation. « Il ne présentait aucune menace ! » Soutenu par la foule, le frère de Gaye le jure :

    « Je ne m’arrêterai pas ! Je ne me tairai pas ! C’est le combat d’une vie. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/img_6775.jpg

    / Crédits : Jeanne Seignol

    Des affaires qui traînent

    Dans le cortège, certains brandissent des pancartes. « Justice pour Gaye », bien sûr. Mais aussi des messages en mémoire d’autres victimes de bavures policières. Plusieurs autres familles en deuil portent l’énorme banderole de début de cortège : Assa Traoré et Awa Gueye, les sœurs d’Adama et de Babacar, ou encore des proche de Lamine Dieng ou d’Ali Ziri. Toutes ces familles empêtrées dans des procédures judiciaires interminables continuent de réclamer justice.

    « On se doit d’être solidaires. Sans justice, on n’aura pas de deuil », souffle Awa Gueye, la sœur de Babacar, un jeune Sénégalais de 27 ans mort le 3 décembre 2015 à Rennes. Il a reçu cinq balles lors d’une intervention. La jeune femme à frange, pull noir « Vérité et justice pour Babacar » sous son manteau bleu et vert au motif écossais, a changé d’avocat récemment. Elle regrette toutefois que l’affaire n’avance pas assez vite :

    « C’est trop long d’attendre. Je ne dors plus depuis la mort de mon frère. »

    Pour Youcef Brakni, membre du comité Vérité pour Adama, « il faut lutter contre l’isolement en rassemblant les familles qui vivent la même chose ». Il accompagne depuis deux ans la famille Traoré dans son combat. En septembre dernier, un quatrième rapport d’expertise médicale dédouanait les gendarmes.

    « N’attendez pas que ça touche quelqu’un que vous connaissez, car en réalité, la police tue tout le monde », assure Mahamadou sur la fin de la marche. Aujourd’hui, lui et sa famille gardent espoir. « On se bat parce qu’on n’a pas le choix. La justice, j’y crois ! Mais avec les affaires qui se multiplient, je commence à douter. » Il n’espère qu’une chose :

    « Que la justice française montre qu’un policier est à la même hauteur qu’un citoyen lambda et non armé. »

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
    Soutenez StreetPress, faites un don à partir de 1 euro 💪🙏

    Je soutiens StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER