En ce moment

    01/02/2010

    Avec les Fils et filles des déportés juifs de France, pour les 65 ans de la libération d’Auschwitz

    Un après-midi à Birkenau

    Par StreetPress

    A Auschwitz, mercredi 27 janvier, 15 enfants de déportés, entre 70 et 80 ans, n'ont pas reçu le badge pour accéder aux cérémonies officielles. En marge des discours des ministres et présidents, 3 heures dans la neige par -15 degrés.

    Maurice, Régine, Sarah, Georges, Alex ou Annette sont des fils et filles de déportés. Autour de Beate et Serge Klarsfeld, ce groupe de quelques dizaines de personnes se sont définis eux-mêmes comme des « militants de la mémoire » : le coup de poing contre les anciens nazis en Allemagne, les pressions pour que Papon, Touvier, Barbie ou Lichka soient jugés ou les cérémonies du souvenir, presque à chaque fois seuls contre tous.

    Ils ont entre 70 et 80 ans et continuent aujourd’hui de militer. Régine et Maurice Lippe écument les registres d’état civil des mairies pour établir avec plus de précision la liste des 77.000 Juifs déportés de France. Alexandre Halaubrenner, qui avait 10 ans en 1942, va raconter dans les écoles l’histoire de sa famille, envoyée dans les camps et les caves de la Gestapo par Klaus Barbie.

    Auschwitz, le 27 janvier

    Nous sommes mercredi 27 janvier 2010 et il y a 65 ans, l’armée rouge entrait à Auschwitz. 200 Français viennent participer aux commémorations de la libération du camp. La matinée au musée d’Auschwitz qui tombe en ruines, avec notre guide polonaise Edwige. Le déjeuner à 50 mètres en face d’Auschwitz, où une pizzeria « Art Déco », un « fast food / kébab » et une cafétéria d’aire d’autoroute se disputent les touristes.

    Et l’après-midi à Birkenau, pour les cérémonies officielles.

    Pour entrer dans le camp de Birkenau, il faut se faire fouiller. Une vingtaine d’employés d’une société de sécurité polonaise filtrent le passage, vérifient les sacs et passent chacun des enfants de déportés au détecteur à métaux. Ca ne passe pas pour Claude : « on ne va pas se faire fouiller pour entrer à Birkenau ».

    13h45. Le groupe traverse le premier secteur du camp. Le camp des femmes d’Auschwitz II. Sur notre gauche, les baraquements ont été restaurés. De l’autre côté, seuls certains montants dépassent de la neige. C’est grand Birkenau. La traversée dure quinze minutes.

    14h00. Arrivés au niveau des ruines de la chambre à gaz et du crématoire II, les fils et filles de déportés constatent qu’ils sont les seuls français. Tous les autres – hormis quelques lycéens – ont été invités à suivre le secrétaire d’Etat aux anciens combattants vers la tente officielle, avec les présidents, les ministres du monde entier et Enrico Macias. Mais les Fils et filles des déportés juifs de France assisteront aux cérémonies à l’air libre. Petite précision : il fait –15 degrés. Annette: « Ils ont fait une file de gauche et une file de droite ».

    14h20. Edwige, notre guide polonaise s’effondre en pleurs. Le groupe a décidé de passer les barrières installées pour maintenir à bon écart le public, et rejoindre la tente officielle : « je vais perdre mon travail si vous faites ça ».

    14h35. Mais le groupe se met en marche. Alex, le porte-drapeau de l’association, 77 ans, s’avance. Derrière l’étendard frappé de l’étoile de David et du sigle « Fils et filles des déportés juifs de France », la quinzaine d’enfants de déportés commencent à marcher déterminés vers les barrières. Victor, un journaliste de la radio juive, la trentaine et lui aussi sans accréditation pour la tente officielle, s’approche : « Je suis de Radio J, je peux venir avec vous ? ».

    14h40. Jacquot, casquette grise, gants de ski bleus et parka beige : « cette barrière, c’est plus facile de l’enlever. Il n’y a pas d’attache ». Jacquot soulève la barrière bleue et tombe avec elle lorsqu’il la repose un peu plus loin. La voie est libre. Le vigile polonais qui vient aider à se relever le vieux monsieur ne peut rien faire pour retenir les quinze septuagénaires derrière leur drapeau à l’étoile de David. « Dépêchez-vous », appellent Claude et Annette, « venez par là ».

    14h45. 800 mètres séparent la zone réservée au public de la tente officielle. La poudreuse est profonde de 20 centimètres et les membres du groupe ont du mal à marcher. Pour arriver à la tente, il faut contourner les barbelés et remonter une petite côte. Plusieurs personnes tombent régulièrement. On s’entraide pour se relever.

    14h50. « C’est Bibi ! » : Benjamin Netanyahou, le premier ministre israélien entouré de jeunes fonctionnaires bronzés et de ses gardes du corps sort de la forêt et passe à 10 mètres. « Israël Haï ! » (Israël est vivant), commencent à crier à son intention le petit groupe. Benjamin Netanyahou s’approche tout sourire et vient serrer les mains des enfants de déportés. Les caméras de la télévision israélienne qui suivent le premier ministre immortalisent cette rencontre impromptue au milieu de Pitchipoï.

    15h00. Notre guide polonaise pleure à nouveau : En laissant avancer le groupe, elle n’a pas respecté les consignes: « Ca y’est j’ai perdu mon travail à cause de vous ! Maintenant, il faut revenir en arrière ». Edwige, aidée par deux vigiles pousse de ses mains les récalcitrants dans l’autre sens. Porté par l’euphorie de la rencontre avec Bibi, le groupe se laisse faire et repart. Décision est prise de retourner au chaud, à l’autocar.

    Enfermés dans Birkenau

    15h15. Par mesure de sécurité, le camp de Birkenau est bouclé pendant la cérémonie. « C’est pas croyable, on est enfermés dans Birkenau », s’énerve Claude. Charles : « T’es un naïf toi, ils t’envoient une invitation pour Auschwitz, tu viens, et tu crois qu’ils avaient prévu de te laisser sortir comme ça !».

    15h50. Beaucoup de coups de téléphone plus tard et après intervention de l’ambassade de France, le groupe peut quitter le camp pour gagner le chaud de l’autocar. A l’extérieur, le soleil commence à baisser. La température s’apprête à descendre à -20 degrés.

    17h. Maurice, Alex, et quelques autres décident de rester dans l’autocar, épuisés. Sarah, Georges, Régine et Claude repartent pour la fin de la cérémonie. Nouvelle fouille pour rentrer dans Birkenau. Nouvelle marche à travers le camp.

    17h20. La cérémonie est terminée. Claude et les autres se fraient à nouveau un passage à travers les barrières : « On est venu pour réciter le kaddish (la prière des morts) et allumer une bougie », explique-t-il en français au vigile polonais qui les laisse passer.

    Alors que tous les invités officiels commencent à partir, le petit groupe se rassemble devant la plaque en français du mémorial. On récite la prière en hébreu et allume des bougies. Devant la plaque en yiddish, on récite à nouveau un kaddish. Chacun allume à son tour une bougie et la dépose sur le sol, à côté de la plaque à la mémoire des 6 millions de Juifs exterminés.

    17h40. Sur le chemin du retour, qui longe la voie ferrée de Birkenau, Sarah : « Mon père n’a jamais voulu parler de la guerre. Jusqu’à la montée des négationnistes et de le Pen, quand il a fini par décider d’en parler. Mais quelques jours plus tard, il avait un accident et perdait l’usage de la parole ». Jacqueline : « Mon père aussi n’a jamais voulu en parler. Un jour, je lui ai posé une question sur des noms de parents à lui qui ont été tués pendant la Shoah. Comme c’était une question précise, il ne pouvait pas ne pas me répondre. Une semaine après, il tombait gravement malade, et je n’ai jamais pu en reparler avec lui à nouveau ».

    18h. C’est la nuit noire. Les cars repartent un par un. Un dernier photographe s’attarde devant l’entrée de Birkenau pour prendre des clichés du camp illuminé, au travers des barbelés.


    Les ruines du crématoire II de Birkenau, dynamités par les SS le 20 janvier 1945

    Auschwitz, créé en 1940 sur ordre de Himmler

    Avril 1940 Heinrich Himmler donne l’ordre de créer ce qui sera d’abord un camp d’internement à Oswiecim, à 80 km de Cracovie.

    Mars 1941 Himmler visite Auschwitz et ordonne l’agrandissement du camp. Auschwitz II sera construit à Birkenau.

    Mars 1942 Les premiers convois emmenant des Juifs à Auschwitz arrivent des ghettos environnants, de Slovaquie et de France. La chambre à gaz du Bunker I est mise en service et peut tuer par le gaz jusqu’à 400 personnes en même temps.

    Juillet 1942 Les SS systématisent la sélection des déportés sur la Judenramp de Birkenau.

    Août 1942 Un plan d’agrandissement de Birkenau est adopté. Il prévoit la construction de 4 chambres à gaz couplées à des crématoires.

    Mai à Juillet 1944 437.000 Juifs hongrois sont envoyés à Birkenau. A l’été 1944, le complexe d’Auschwitz atteint son expansion maximale, avec plus de 130.000 détenus recensés.

    Octobre 1944 Les déportés du Sonderkommando (dont le travail consistait entre autres à retirer les corps des chambres à gaz) se révoltent. Ils détruisent partiellement le crématoire IV.

    Janvier 1945 A l’approche des troupes soviétiques, les SS évacuent 58.000 détenus, qui devront marcher vers les autres camps d’extermination par un froid glacial. A l’entrée des Russes, 7.000 détenus, incapables de marcher, avaient été abandonnés dans le camp.

    Les nazis auront détruit les installations de gazage et d’incinération ainsi que certains baraquements.

    1,3 millions de personnes auront été déportées à Auschwitz et 1,1 millions y ont été assassinés : 960.000 Juifs, 70.000 à 75.000 Polonais, 21.000 Tziganes, 15.000 prisonniers de guerre soviétiques et 10.000 à 15.000 détenus d’autres nationalités.


    14h35: Annette et Alex, le porte-drapeau, ouvre la marche.


    17h30: Serge Klarsfeld, Claude, Benjamin et Régine récitent le kaddish, une bougie à la main.

    Sources: Johan Weisz | StreetPress | Fondation pour la mémoire de la Shoah et CDJC pour l’encadré

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
    Soutenez StreetPress, faites un don à partir de 1 euro 💪🙏

    Je soutiens StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER