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    31/05/2012

    Le Centre d'Hebergement d'Urgence doit fermer le 31 août

    Esclaves modernes, femmes battues : Les pensionnaires du CHU pour femmes d'Ivry ont peur de se retrouver à la rue

    Par Rozenn Le Carboulec

    Sur StreetPress, Charife raconte comment elle a fui les coups de son patron saoudien qui l'avait réduite en esclavage. Comme les autres pensionnaires elle craint de « se retrouver sur un banc » si les subventions du CHU ne sont pas prolongées.

    8h30, dans l’ancien hôpital Jean Rostand d’Ivry-sur-Seine. A l’étage, on peut entendre des rires de femmes qui s’apprêtent à prendre leur petit déjeuner. Dans les couloirs, ça sent le shampooing et le café. Les cheveux encore mouillés, Charife sort de sa douche tout sourire en saluant celles qui viennent également de se lever. Une matinée comme une autre dans un lieu comme un autre. Ou presque.

    Depuis plusieurs mois, le Samu Social se bat pour préserver cet endroit, qui abrite son seul Centre d’hébergement d’urgence (CHU) réservé aux femmes. En juillet 2011, elles ont été plusieurs dizaines à se retrouver à la rue après la fermeture du centre Yves Garel, dans le 11e arrondissement de Paris. Le Samu Social, qui s’est vu refuser son projet d’hôtel, faute de financements, a finalement obtenu une solution temporaire. Mi-décembre, 52 femmes ont trouvé refuge dans l’ancien hôpital d’Ivry. D’abord pour trois mois. Puis cinq. Jusqu’à cette date butoir du 31 mai, qui marque la fin de la trêve hivernale pour les hébergements d’urgence.

    Un délai jusqu’au 31 août Le centre devait initialement fermer aujourd’hui, 31 mai. Mais les femmes vont avoir encore un peu de répit. La DRIHL (Direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement), vient de prolonger ses financements jusqu’au 31 août. Cela, notamment, grâce à une pétition et un film choc mis en ligne par le Samu Social au mois de mars, où l’on peut voir une femme frapper aux portes (fermées) d’un CHU pour échapper à une agression. En vain. Les hommes la rattraperont.

    « On nous a accusé de miser sur la violence, commente Catherine Sellier, directrice du pôle hébergement de l’association. Mais on assume sans problème : la rue est violente. »


    Afficher CHU d’Ivry sur une carte plus grande

    Esclavage moderne Les femmes du CHU qui ont bien voulu témoigner ont effectivement toutes subi la violence de près. Des parcours de vie atypiques, pas vraiment roses et souvent mouvementés. Après une première approche timide, plusieurs se pressent pour raconter leurs expériences. Et essayer, à leur manière, de sauver le centre.

    « Avant de venir ici, il y a des personnes qui m’ont frappée dehors, raconte Charife. J’avais gagné un peu d’argent et ils ont volé mon sac avec tout dedans. » Cette femme de 47 ans est arrivée en France il y a quatre ans. Comme une bonne partie de ses amies du CHU, elle a demandé l’asile après avoir fui son pays, pour des raisons familiales ou politiques. Après avoir perdu son fils et son mari au Liban, cette diplômée d’architecture s’est réfugiée en Arabie Saoudite pensant y trouver un avenir plus réjouissant. A la place, elle est devenue « l’esclave moderne » d’un homme dont elle gardait les enfants :

    « J’étais réveillée à 5h, couchée à 1h et ils m’enfermaient à clé. Mon patron m’a insultée, frappée. Il voulait coucher avec moi mais j’ai refusé. En juin 2009, je les ai accompagnés pour les vacances à Paris et j’ai fui. »

    Charife – 47 ans -Au CHU d’Ivry by streetpress_


    [Le clip du Samu Social pour sauver le centre]

    En juin 2009, je les ai accompagnés pour les vacances à Paris et j’ai fui

    « Tu marches » Fatima, 36 ans, ne connaît que trop bien les galères de la rue. De sa voix frêle, elle confie : « Mon père m’a jetée hors de chez lui à 14 ans et demi et ma mère est décédée. J’ai dormi dehors et suis restée de nombreux jours sans manger. Depuis, j’ai travaillé. Mais là, ça recommence… » Pour éviter de se faire aborder la nuit, elle allait aux urgences, quitte à devoir rendre des comptes à la police. « Dans la rue, si tu te poses, des hommes viennent. Donc tu marches, tu ne peux pas rester. » Celle qui se fait appeler Mme Diallo, originaire de Guinée, avait trouvé une autre combine pour être en sécurité :

    « Je prenais le bus de nuit pour l’aéroport, puis l’autre bus jusqu’à Gare de l’Est, jusqu’à 5h30 pour le premier métro. Je préfère ça que de rester dans la rue. C’est trop dangereux pour une femme seule. »

    Mme Diallo – Au CHU d’Ivry by streetpress_

    Femmes battues Les histoires de ces femmes se succèdent et laissent un goût amer de déjà vu. Fatima a quitté le Maroc en 2001 pour venir travailler en France. Elle s’est retrouvée sans rien lorsqu’elle a porté plainte contre son mari, qui la tapait. Du haut de ses 69 ans, Sidonie est la doyenne du centre. En montrant la cicatrice qui couvre son œil, elle raconte comment elle aussi était violentée. Et comment elle a dû quitter le pays, le Congo, lorsque son mari est décédé.

    « Là-bas, si ton mari meurt, on te confisque tout, on te rase la tête et on prend ta parcelle de terrain. »

    Quant à la pétillante Carline, 28 ans, elle montre fièrement ses dessins affichés sur les murs du centre, où « on peut écouter de la musique, s’amuser et rigoler avec les gens ». Mais elle s’éteint et baisse les yeux lorsqu’elle se met à raconter, pudiquement :

    « Au pays, je recevais des coups. Je ne peux pas tout expliquer mais j’avais des problèmes. Tu sais, c’est Haïti… » D’autres évoquent des « problèmes politiques », comme Inès (elle a changé son prénom), qui a fui l’Algérie.

    Sans papiers Sur les six femmes rencontrées, toutes sont demandeuses d’asile et aucune n’a de papiers. Certaines ont réussi à dégoter quelques heures de ménage par semaine, mais Inès cherche toujours des enfants ou personnes âgées à garder. « C’est toujours la même galère. Je me retrouve sans boulot, car sans papiers », soupire-t-elle. Et même pour celles qui ont fini par trouver, qui dit non déclaré dit problèmes à la clé. Mme Diallo cumule les mauvaises expériences :


    Mme Diallo, Inès et Charife avec une autre femme du centre


    A défaut de montrer sa tête, Carline a bien voulu montrer ses dessins

    « Je travaille un peu mais on a souvent refusé de me payer quand je gardais des bébés. Chaque fois, la femme me disait qu’elle n’avait pas reçu sa paie. Finalement, j’ai laissé tomber… »

    Fermeture Cet après-midi du 30 mai, Mme Diallo a prévu d’aller se promener, tandis que d’autres, comme Sidonie, retournent à l’ambassade. « Comme tous les jours. » Faute de moyens suffisants pour embaucher du personnel l’après-midi, le CHU est fermé de 12h à 19h45. Alors chacune fait sa vie, sans avoir à se préoccuper de l’endroit où elles dormiront la nuit. Mais malgré leurs sourires, elles gardent en tête qu’elles devront partir. Où ça ? Elles n’en ont pas la moindre idée. « Si le centre ferme, tu me retrouveras peut-être sur le banc en bas », commente Charife en jetant un coup d’œil par la fenêtre.

    Du côté du personnel aussi, c’est l’angoisse. « Il faut changer d’équipe sans arrêt. Heureusement qu’on a deux assistantes sociales qui sont là depuis le début », décrit Catherine Sellier. Dans un communiqué, la DRIHL assurait le 5 avril que ces 52 femmes « bénéficieront d’une proposition adaptée à leur situation personnelle ». Ce à quoi la directrice du pôle hébergement du Samu Social répond : « La difficulté n’est pas tant la fermeture, c’est que les places au-delà n’existent pas. » La situation va-t-elle évoluer avec le nouveau gouvernement ? « Pour l’instant, Cécile Duflot a annoncé que les centres hivernaux n’allaient pas fermer, mais elle a prolongé leur ouverture uniquement jusqu’au 31 mai… Donc pour le reste, je demande à voir. » Contactée par téléphone, la DRIHL n’a pas souhaité communiquer sur le sujet, en raison de la période de réserve due aux législatives : « Le dossier est chez Mme Duflot en ce moment. On mettra en application la décision qu’elle prendra. »

    bqhidden. La DRIHL: « Le dossier est chez Mme Duflot en ce moment. On mettra en application la décision qu’elle prendra»

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