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    10/09/2012

    « Les gens cherchent à payer moins : ils ne vont pas se payer, en plus de leur paquet, un cache en carton »

    Paquets de clopes neutres : Le jackpot pour les vendeurs de cache-paquets ?

    Par Jacques Torrance

    Sur StreetPress les frabriquants d'étuis à cigarettes regardent avec circonspection le projet de loi sur les paquets de clopes neutres. Car si les premières photos de dents vérolées avaient boosté les ventes, la bulle a rapidemment fait pschitt.

    Roger Sante est ZE grossiste : sur son site TheFaceBox.com, il fournit d’autres sites qui se sont lancés dans le business du tabac. Le vieux briscard du business vend depuis nonante-trois (avec l’accent belge, s’il vous plaît) des étuis pour entourer vos chers paquets de clopes.

    « Mes étuis ne cachent rien du tout, à la base. En 1993, y’avait aucune photo sur les paquets, c’était donc pas des “cache-paquets”. »

    Mais le business du tabac, et surtout du paquet de tabac, a beaucoup évolué en 20 ans. Et la dernière tendance, c’est de ne plus avoir sur les paquets que les dents de Jacquouille la Fripouille en (très) gros côté pile, un slogan moralisateur côté face, pour bien vous dégoûter. Et c’est tout bénef pour Roger Sante qui a vu ses ventes croître ces dernières années – + 20 % depuis avril 2011. Et le Belge imagine ses recettes augmenter d’encore 30% après l’arrivée sur le marché des paquets de clopes neutres.

    Tout est trash, la télé est violente, les jeux vidéo genre Call of duty, c’est gore et super réaliste. Alors une photo sur un paquet de clopes…

    Une filière d’avenir ? Autre société qui pourrait profiter d’éventuels futurs paquets « vierges » : Slyp, lancée début 2011, qui vend des caches en carton utilisables « jusqu’à 15 fois » – selon Nicolas Brébion, co-fondateur de Slyp. Un des associés a d’ailleurs eu l’idée en revenant de Belgique (tiens, tiens) où les paquets sentaient déjà fortement le cancer de la gorge :

    « Les photos trash venaient d’arriver en Belgique et on se doutait que ça viendrait ensuite en France. Notre produit est sorti dans les bureaux de tabac le 1er mars 2011, à 50 centimes le cache-paquet réutilisable plusieurs fois. Et les photos sont apparues… le 20 avril. Grâce à ça, le business à bien démarré. »

    Les politiques anti-tabac, poule aux œufs d’or des designers de paquets ? Pas franchement, en réalité. Pour Benoit (dont le prénom a été modifié), directeur commercial de MisterSmoke.com, un site qui vend des étuis à cigarettes rigides depuis 2008, l’évolution des paquets de clopes n’a pas boosté son business. « Nous on en s’en fiche un peu, on vend des étuis durs, pour le côté pratique pas pour cacher une image. » Selon lui, la véritable augmentation, c’est celle des fournisseurs, justement, qui peut-être sentent le (plus ou moins) bon filon.

    « Il y a plus de sociétés qui proposent des caches en cartons, des petits caches pour les photos sur le paquet, des étuis etc… Avec des designs plus jeunes. Mais rien de spécial au niveau de nos ventes »


    Pour fumer sur ton matelas peneumatique au milieu de l’océan, un modèle aquatique, vendu sur mistersmoke.com pour 3,90€

    Le prix plus dissuasif Sur ce marché grossissant des sociétés vivant en parallèle de l’évolution des politiques anti-tabac, la différence se fait sur la stratégie. Il y a ceux qui se concentrent sur les besoins des particuliers et ceux qui ne vendent qu’en gros, préfèrant le business des entreprises. Et, clairement, ce sont les deuxièmes qui voient leurs marges augmenter. Pourquoi ? Parce que les fumeurs, déjà atomisés par l’augmentation continue du prix du paquet, n’ont pas franchement le cœur à dépenser encore plus. C’est en tout cas l’analyse de Benoit :

    « Aujourd’hui, on est habitué à la violence. Tout est trash, la télé est violente, les jeux vidéo genre Call of duty, c’est gore et super réaliste. Alors une photo sur un paquet de clopes qu’on met dans sa poche… Les jeunes sont habitués, le seul truc qui décourage c’est le prix. J’ai lu récemment un rapport de la Fevad sur le e-commerce. Les gens cherchent surtout à payer moins donc ils vont pas se payer, en plus de leur paquet de cigarettes, un cache en carton. »

    Roger Sante, le grossiste belge, se concentre donc sur les boîtes de nuit. « On fait très peu de particuliers, on fait surtout des séries pour les libraires, genre une série Che Guevara, ou pour des entreprises qui se font de la pub. » Les boîtes de nuit, point de vente également des produits Slyp. Si le buzz avait pris les premiers mois, avec 2,5 millions de caches vendus en quelques semaines, les ventes ont depuis fait « pschitt ». Difficile aujourd’hui de trouver leurs caches-paquets chez les buralistes. « Maintenant, on tourne à 10 à 20.000 slyp par mois, calcule Nicolas Brébion. On a arrêté la distribution dans les bureaux de tabac. »


    Idéal pour passer la douane quand tu vas aux States

    Economies vs gadget Le business model de la crise:
    Attendre qu’il y est plus de tubeurs, ces fumeurs qui confectionnent eux-mêmes leurs clopes, le tabac d’un côté, les cigarettes pré-fabriquées de l’autre. Pour le directeur commercial de MisterSmoke.com, qui vend des étuis en dur (voir photo ci-contre), ils sont un marché intéressant puisqu’ils n’achètent plus de paquet de clopes « mou ». Benoit parie donc sur une augmentation du prix du tabac pour donner un nouvel élan à son entreprise :

    « Si les gens confectionnent de plus en plus leurs cigarettes pour économiser, à cause de l’augmentation des prix, là ça sera bon pour nos ventes. C’est une histoire de prix, pas de photos. »

    Parier sur l’avenir plutôt que rester bloqué sur un effet de mode, type les housses de téléphones kitchous, un marché qui semble déjà bouché. Pour Benoit, « les sociétés récentes, créées pour l’occasion, faut pas rêver. Ils se disent qu’ils vont faire de la thune, ce qui est peut-être le cas sur le moment car c’est nouveau, les médias en parlent etc… mais ça va pas révolutionner quoi que ce soit. Les gens vont s’habituer et ça va retomber aussi sec. »

    Et les immenses multinationales du tabac, ont-elles anticipé la vente de produits autour d‘éventuels paquets neutres ? Contacté par StreetPress, Philip Moris International n’a pas souhaité nous dire s’ils allaient vendre (ou donner) des caches paquets car « il n’existe encore aucune proposition législative [sur le sujet] ». Mais ils insistent tout de même sur « l’inutilité » des paquets neutres, se basant sur une enquête Eurobaromètre datant de mai 2012. Pire, cela accentuerait, selon eux, « le commerce parallèle, déjà estimé à 20% en France. »

    En attendant, le business de Roger le Belge cartonne. Et si le business augmente encore davantage, « je vais peut-être chercher quelqu’un pour travailler plus sur le marché français, maintenant que vous m’en parlez. Si je trouve quelqu’un intéressé pour développer le business en France. » Un chômeur en moins ?


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