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    27/05/2013

    Jérôme Thorel, en mode Minority Report, était l'invité de StreetPress sur Radio Campus Paris

    « Être la cible d'une écoute, ça peut très vite arriver »

    Par Johan Weisz

    Militant contre les dérives de « la société de surveillance », le journaliste Jérôme Thorel explique pourquoi il ne partage jamais rien sous son vrai nom sur les réseaux sociaux. Son livre « Attentifs Ensemble ! » est sorti en février dernier.

    « Attentifs Ensemble ! » est sorti en librairies en février. Alors non, on n’a pas parlé de la RATP ni des colis suspects dans le métro. Car « Attentifs Ensemble ! » est un pamphlet écrit dans un style monographique (250 pages et 50 pages de notes) sur toutes les facettes de « l’ordre sécuritaire » actuel. Ça parle nouvelles technologies, mais aussi urbanisme, luddisme ou anti-terrorisme. Des sujets sérieux, somme toute. Tout comme les chapitres consacrés à la « novlangue » sécuritaire (vous êtes plutôt « vidéo-protection » ou « vidéo-tranquilité ?) ou à la sociologie des usages, qui travaille sur l’acceptation par les usagers de nouveaux rouages sécuritaires (et vous avez un bel exemple récent dans un article de StreetPress ici )

    Ancien responsable de Privacy International , longtemps engagé dans les Big Brother Awards , Thorel est de ces journalistes qui ont les premiers écrit sur la question du WWW. Aujourd’hui il contribue notamment pour Reflets.info. Et parce que son livre est un bouquin engagé, qui part du principe que la société de surveillance pose problème, on a aussi voulu poser la question du « pourquoi » : Pourquoi est-si grave de poster des photos de soi sur Facebook ? Pourquoi est-ce un problème que des grandes oreilles écoutent nos échanges en ligne ?

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    2 Les extraits de l’interview

    Salut Jérôme, bon on a un peu galéré pour préparer ta bio, on n’a pas réussi à mettre la main sur ton compte Facebook ou Twitter. T’en n’as pas ?

    Bah j’en avais un il y a quelques temps, qui n’était pas sous mon vrai nom, mais je n’en ai plus, non.

    En même temps, tout ça c’est assez cool parce que ça nous a forcé à bosser et on a redécouvert le webzine que tu avais lancé en 1995. On est retombé sur un papier de 1996, à l’époque où le ministre en charge de l’Internet était…

    …François Fillon !

    L’article c’était « Monsieur Internet va au web bar »

    Oui, c’était le premier cybercafé parisien à l’époque, rue de Picardie, à deux pas de Libé… Et François Fillon [qui était ministre délégué à la Poste, aux Télécommunications et à l’Espace, ndlr], c’était un petit jeune, qui faisait ses première armes et qui avait donc choisi ce secteur-là. À l’époque « télécoms », ça sous-entendait réseaux d’information et donc Internet.

    A l’époque, parmi les journalistes, vous étiez 3 à écrire sur Internet…

    Oui on n’était pas beaucoup, une dizaine. Mais c’est vrai qu’à l’époque c’était déjà difficile de parler intelligemment d’Internet. Un peu comme aujourd’hui, lorsqu’on parle des réseaux sociaux : c’était soit traité sous un angle très élogieux, ou bien des procès en sorcellerie. On avait du mal, dans les grands médias comme « Le Monde » ou « Libé », à inculquer une vraie culture du sujet sans être rébarbatifs ou sans faire peur aux gens. Même à « Libé », les collègues, comme Laurent Mauriac ou Florent Latrive, ramaient pour faire passer un peu de culture web. Il y avait aussi David Dufresne, je crois que lui a lancé son site en novembre 1995, La Rafale, un mois après moi.

    Et puis tu es un militant de la première heure des Big Brother Awards…

    Oui d’ailleurs, la prochaine cérémonie des « Big Brother Awards », c’est le mercredi 26 juin à Montreuil, à la Parole Errante, métro Croix-de-Chavaux !

    Les Big Brother Awards, c’est une cérémonie parodique, qui existe dans une quinzaine de pays. L’idée, c’est de faire du « name and shame » à l’anglaise, donc de désigner et de rendre publiques des personnalités qui, à nos yeux, ont marqué l’année par leur attrait de la surveillance, par leur haine de la vie privée ou par la promotion de tout ce qui se rapporte à la politique sécuritaire.

    La dernière fois qu’on a organisé les BBA, c’était en 2010. Mais notre équipe, au bout de 10 ans, devait se renouveler. Et donc il y a aujourd’hui une nouvelle équipe qui relance l’affaire, plus jeune, plus motivée.


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    C’est justement en disant « on n’a plus le choix » qu’on accepte tout cela et qu’on ne devient plus qu’un rouage

    Et du coup, t’a pas de téléphone portable, tu chiffres tous tes courriels, tu n’es pas sur les réseaux sociaux…

    … Sauf que je suis un être humain qui a des contradictions ! Il y a des fois où on peut faire des choix et puis il y a certains choix sur lesquels on revient, comme la carte vitale, le pass Navigo ou la carte bleue.

    Mais pour ça on n’a pas trop le choix, en même temps !

    Bien sûr que si, on a toujours le choix ! Le fait de ne pas avoir de téléphone portable, dans nos générations, entre 20 et 40 ans, c’est effectivement le point le plus marquant. C’est un moyen de communication qui te permet d’appeler d’où tu veux. Mais j’ai vécu l’époque des cabines téléphoniques, c’était un peu plus galère, mais elles marchaient très bien ! Là par exemple, on avait rendez-vous à 19 heures pour l’émission, au lieu de m’appeler pour savoir à quelle heure j’allais arriver, tu m’aurais attendu. Dans tous les cas, je ne serai pas arrivé plus vite.

    C’est justement en disant « on n’a plus le choix » qu’on accepte tout cela et qu’on ne devient plus qu’un rouage.

    Mais quel est le problème de tout ça ? Qui peut s’intéresser à nous pister avec notre portable. Ou encore, qui lit nos emails ?

    Souvent les gens se disent : « il y a tellement de messages qui circulent tous les jours, qui s’intéresse à ce que j’écris ? » Bien sûr, personne ne s’intéresse à ce qu’ils écrivent. Aujourd’hui. Sauf que, ce dont les gens doivent prendre conscience, c’est que mettre une espèce de logiciel éponge à un endroit du réseau pour capter tout ce qui arrive dans la boîte mail de monsieur Untel, ça peut intéresser plein de gens.

    Car être la cible d’une écoute, ça peut très vite arriver. On peut être en conflit avec son employeur ou être parent avec quelqu’un qui est lui-même sur écoute, par exemple.

    Ce que tu considères pour acquis dans ton livre, c’est que le fait que les personnes puissent échanger sans être écoutées, garder leurs données personnelles confidentielles, c’est quelques chose de super important. Mais pourquoi, est-ce si essentiel ?

    Parce que ça fait partie des principes fondamentaux d’un état de droit ! L’état de droit s’arrête lorsque deux personnes ne sont plus en capacité de pouvoir échanger des informations secrètes, dans le sens des informations qui n’intéressent que ces deux personnes-là, pour vivre des moments qui sont intimes. L’intimité c’est le gage de la particularité de l’individu. Si jamais on partage tout, on n’est plus particulier, donc on n’est plus un individu. Le secret des correspondances, c’est aussi pour que la vraie humanité rejaillisse dans nos relations, dans nos rapports humains.

    Donc l’idée du partage, que l’on entend un peu partout, « partagez vos contenus »…

    … C’est l’injonction numéro 1 ça !

    Mais c’est généralement considéré comme un progrès

    Tu peux très bien partager des choses sans dire que c’est toi qui les partage. Tu peux très bien utiliser des dizaines de pseudos et te noyer dans la masse. Pourquoi inciter les gens à constamment partager sous leur vrai nom ?

    bqhidden. Pourquoi inciter les gens à constamment partager sous leur vrai nom ?

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