12/01/2017

Voilà pourquoi il faut autoriser les statistiques ethniques

Par Marie-France Malonga ,
Par Inès Belgacem

En France il existe un quasi-consensus contre la reconnaissance des statistiques ethniques. Pourtant, pour Marie-France Malonga, elles permettent de lutter contre les discriminations. Il faut donc les autoriser.

La France ne reconnaît pas l’identité ethnique ou raciale. Nous sommes dans une république une et indivisible dans laquelle il est interdit de marquer une différence entre les individus. Ceci contraste, par exemple, avec la vision anglo-saxonne qui reconnaît l’existence de populations ethno-raciales.

Dans cette culture, les individus sont comptabilisés dans les statistiques publiques, reconnus dans l’espace public, au même titre que les femmes, les jeunes, les CSP, etc. L’ethnicité est une catégorie supplémentaire pour reconnaître socialement les individus. Les statistiques ethniques sont un outil merveilleux pour cerner, quantifier et mesurer nos politiques contre les discriminations. Il faudrait donc les autoriser en France.

Refuser les statistiques ethniques c’est nier les discriminations

Dans notre pays, il existe un consensus contre la reconnaissance des catégories raciales. C’est une idée qui dérange aussi bien les quidams que les politiques ou les chercheurs. Mine de rien, les reconnaître écorcherait la belle image universaliste de la société française. Nous avons effectivement une vision fantasmée de nos politiques et de notre pays, qui accueillerait les réfugiés, qui serait une terre d’immigration, d’égalité et de respect. Il est vrai que la France est une terre d’immigration et de mixité incontestable, mais il y existe aussi de l’exclusion et de fortes discriminations.

Le problème n’est pas oublié, puisque des rapports sur la question sont régulièrement publiés. – Le dernier en date étant celui du ministère du travail, commandé par Myriam El Khomri, qui rappelle les discriminations à l’emploi lorsqu’on a un nom qui ne sonne pas bien « gaulois-français ». – Mais les statistiques ethniques permettraient de cerner avec précision les identités raciales discriminées, pour mettre en place des mesures de corrections plus efficaces. On n’imagine pas corriger le sexisme sans prendre en compte la catégorie “femme” et sans en connaître sa proportion démographique. Il en va de même pour les minorités raciales. A mon sens, on avancerait plus rapidement, en France, dans la lutte contre les discriminations et les inégalités ethno-raciales, grâce à cet outil.

« On avancerait plus rapidement dans la lutte contre les discriminations. »
Marie-France Malonga, sociologue

Les populations concernées y sont majoritairement favorables

La question est de savoir si les populations concernées par cette nouvelle catégorisation seraient d’accord avec l’idée ou si elles se sentiraient discriminées ? Ce sont effectivement de vraies questions. Mais le CRAN a démontré indirectement le contraire en 2007, avec le 1er sondage [TNS-SOFRES], cherchant à quantifier le nombre de Noirs en France, avec un état des lieux de leur discrimination. Les populations sondées – soit 13.500 personnes – ont été interrogées en tant que Noires et les enquêteurs ne semblent pas avoir rencontré de réticence particulière.

Par ailleurs, dans le cadre de mes recherches, j’ai pu constater qu’en grande majorité, les populations minoritaires n’étaient pas rétives au fait d’être catégorisées, surtout si cela pouvait constituer un moyen d’améliorer leur représentation. Et ce, pour la simple et bonne raison que la catégorisation, sans être officielle, existe déjà. Elle se crée dans les rapports sociaux, s’immisce dans notre quotidien. Prenons l’exemple d’un propriétaire d’appartement; lorsqu’il fait ses visites pour le louer, je peux vous assurer qu’il n’a aucun mal à catégoriser les candidats potentiels à la location. Il saura vous dire qui est Noir, Arabe, Marseillais avec accent, etc. Les catégories existent alors pourquoi les nier ?

Notre identité est multiple

La principale critique faite aux statistiques éthiques est qu’elles réduiraient les gens à leur identité raciale, à une essence. Mais l’outil ne réduit en rien un individu, puisque notre identité est multiple, quoi qu’il en soit. Si l’on prend le cas de n’importe qu’elle femme, elle n’est pas seulement définie par son sexe ou son genre, elle est aussi, par exemple, femme noire, institutrice, fille de ou mère de telle personne, etc.

Au final, l’appartenance raciale est seulement l’une de nos identités. Un individu peut être défini comme tel à des fins politiques ou sociologiques, mais aucunement réduit à cette catégorie dans sa vie propre comme dans sa psychologie. N’oublions pas non plus que cela peut être aussi positif d’affirmer son identité culturelle pour se sentir exister socialement; ce qui n’est pas du tout incompatible d’ailleurs avec le sentiment d’appartenance à une nation, à une communauté nationale. Ceci pourrait être une forme de reconnaissance pour la minorité et non juste un motif de discrimination.

Ce n’est pas un système de fichage

L’idée des statistiques ethniques est toutefois péjorative dans notre culture universaliste républicaine. On agite constamment le chiffon rouge du « communautarisme » dès lors qu’il est question de mettre en avant les identités culturelles. Ce sont les mêmes qui s’empressent de crier « attention » face aux statistiques ethniques. Les contempteurs du débat n’oublient jamais de citer les sombres pages de notre histoire, comme le temps du régime de Vichy qui catégorisait certaines populations en vue de les exterminer. C’est une argumentation qui prend pour ressort la peur.

Lorsqu’on regarde les pays qui utilisent les statistiques ethniques, on remarque qu’il n’est pas obligatoire pour les citoyens d’y répondre. Il s’agit d’un sondage, personne n’a un couteau sous la gorge pour devoir cocher la bonne case. La personne se « range » simplement dans la catégorie qu’elle estime le mieux la représenter; à défaut, elle peut toujours cocher « autres ». Les résultats sont publics certes, mais le recensement est anonyme. Nous sommes donc bien loin d’un contexte de régime totalitaire, dans lequel les individus seraient fichés nominativement.

« Il s’agit d’un sondage, personne n’a un couteau sous la gorge pour devoir cocher la bonne case. »
Marie-France Malonga, sociologue

Actuellement nous sommes dans une situation dans laquelle se trouvent mélangés plusieurs niveaux d’analyses. Comme on reste dans l’affect et dans le symbole, on perd en pertinence dans les débats. Si l’on sort du terrain émotionnel et que l’on rentre dans celui du politique, on n’arrive à une conclusion simple : nous avons besoin de mettre en place un outil de lutte efficace contre les discriminations. Pourquoi s’y opposer ?