10/04/2019

Une des pires rumeurs antisémites du Moyen-Âge dans le quotidien gratuit de Bolloré

L’histoire antisémite que le quotidien Cnews raconte presque chaque année

Par Johan Weisz

C’est une rumeur issue de l’antisémitisme chrétien du Moyen-Âge : l’accusation de profanation d’hosties par des juifs « usuriers ». StreetPress l’a retrouvée, à 4 reprises depuis 2012, dans les colonnes de Cnews, le quotidien gratuit du groupe Bolloré.

Mais quelle mouche a piqué Cnews (ex-Direct Matin) ? Le 2 avril dernier, en page 15 du quotidien gratuit tiré à plus de 880.000 exemplaires, une chronique relaie une rumeur issue de l’antisémitisme chrétien du Moyen-Âge. Les lecteurs qui feuilletaient le canard apprenaient donc qu’un « usurier » du nom de « Jonathas Ben Haym » a procédé en 1290 à une profanation d’hosties. Voici ce que rapporte le journal gratuit du groupe Bolloré, sans conditionnel ni mise en contexte : « En 1290 (…) Jonathas Ben Haym exigea d’une femme (…) qu’elle lui fournisse une hostie consacrée (…) Cet usurier planta son couteau dans l’hostie. Il en sortit du sang. Effrayé, il cloua l’hostie au mur. Le sang ne fit qu’abonder. Il la jeta alors dans un chaudron d’eau bouillante. L’eau devint rouge et l’hostie s’éleva dans les airs. (…) Jonathas fut condamné à mort pour ce sacrilège. »

Rubrique « détente » ! / Crédits : CNews Matin

Un récit matriciel de l’antisémitisme du Moyen-Âge

La profanation d’hosties constitue avec les meurtres rituels et les empoisonnements de puits un des thèmes majeurs de la propagande antisémite du Moyen-Âge, explique l’historien Philippe Boukara joint par StreetPress. Au XIIIème siècle, l’Église catholique proclame que l’hostie est le corps réel du Christ. « Du coup, en profanant l’hostie, les juifs réitéreraient le déicide », décrypte le spécialiste. Cela s’inscrit dans ce que les anthropologues appellent les légendes du sang, qui démarrent au milieu du XIIe siècle avec d’abord les accusations de crime rituel. « Puis au début du XIVe siècle arrivent les accusations de profanations d’hosties, et à partir de 1348, les accusations d’empoisonnements de puits portées contre les juifs », indique Philippe Boukara :

« Tout ça se conclut par l’expulsion des juifs du Royaume de France en 1394. »

Désormais, depuis le concile Vatican II de 1965, « l’Église a abandonné les accusations de crimes rituels et s’efforce de masquer ou de retirer les tapisseries ou les vitraux » qui évoquent la légende de la profanation d’hosties, explique Philippe Boukara. « À défaut, les œuvres sont accompagnées d’une notice critique ». Seule une petite minorité intégriste, qui n’a pas accepté les orientations du concile, n’a pas fait son aggiornamento.

Cnews pris en flag de récidive

En plus de publier une fable antisémite qui aura eu des répercussions tragiques jusqu’au début du XXe siècle pour les communautés juives d’Europe, le quotidien gratuit ne peut plaider l’ignorance. En effet, dès la première publication de l’éphéméride en 2012, un post de blog publié dans le club de Mediapart dénonçait « la diffusion d’une fable antisémite par le groupe de presse Bolloré ». La rumeur dite du miracle des Billettes a pourtant été republiée en 2014, 2015 puis donc en 2019. Le texte est également en ligne sur le site de Cnews.

Pourquoi Cnews persiste-t-il à publier et republier cette chronique ? Selon nos sources, l’éphéméride n’est pas rédigée en interne par la rédaction. D’après les journalistes Jean-Pierre Canet et Nicolas Vescovacci, co-auteurs de l’enquête Vincent tout puissant, consacrée à l’empire Bolloré, la chronique signée d’un pseudonyme serait en réalité écrite à quatre mains par un journaliste et par un prêtre très proche de Vincent Bolloré. Coïncidence, sur Amazon, la fiche de cet abbé renvoie vers un ouvrage dont l’auteur est le même que le pseudonyme de l’article…

Est-ce par crainte de fâcher le big boss que la direction du journal persiste à diffuser ce texte antisémite ? StreetPress aimerait bien en savoir plus. Sollicité depuis lundi 8 avril par téléphone, mail et sur Twitter, le directeur de la publication de Cnews, n’a pas jugé bon de répondre à nos questions.