20/06/2011

« On est dans l'ère de la justification, on devrait être dans l'ère de l'organisation »

Axiom, le rappeur qui a écrit une « lettre au président »

Par Samba Doucouré

La « lettre au président » du rappeur Axiom a fait 4 millions de vues sur le net. Aujourd'hui il sort son 2e album Axiom aka Hicham où se mêlent « bled kick » et « électro-orientale » sur fond de «chaabi » et de «charki».

Quel était ton parcours dans la musique avant que le grand public te découvre à la télé pour parler de la banlieue?

L’album qui vient de sortir est le 14e. C’est mon deuxième solo c’est vrai mais il y a eu mon groupe Mental Kombat avant, il y a eu les fameux M.A.P (Ministère des Affaires Populaires) dont j’ai produit les 2 premiers albums. Aujourd’hui je produis plusieurs artistes dont Jewels, prochainement ce sera Razik.

Comment tu t’es retrouvé sur les plateaux de télé en tant que représentant des banlieues?

Tout a démarré sur Internet, je tenais un blog, il y avait à peine 3/4 lapins abonnés. J’écrivais des nouvelles assez marrantes et au fur à mesure on s’est vite retrouvés à 500 lapins. Puis un jour j’ai écrit la fameuse Lettre au Président, on est début novembre 2005. Les gens ont kiffé, me faisaient des suggestions. Moi dès que j’en trouvais une intéressante je retouchais le texte en direct. Il y alors eu les émeutes, j’ai donc décidé de l’envoyer à Chirac. J’étais en studio, j’ai rejoué La Marseillaise dessus et l’ai balancé sur le net. Le clip c’était un truc maison: le drapeau bleu blanc rouge que vous voyez dedans il est coupé. En fait c’est un t-shirt blanc et un t-shirt rouge sur un fond bleu. Boom on est vite montés à 4 millions de clics. De plus le clip était hébergé sur le site, il n’était pas sur Youtube. Les médias du monde entier m’ont appelé et voilà l’aventure a débuté.

Il paraît que Jacques Chirac t’as répondu, est-ce vrai?

Oui, la réponse était assez creuse et consensuelle. « Je vous invite à rester un artiste de paix… à éviter tous les raccourcis etc… ». C’était navrant quoi sans plus de commentaires. On gardera la démarche qui était quelque chose d’inédit voilà. D’ailleurs on me réclame aujourd’hui encore d’en faire une nouvelle pour Sarkozy mais le résultat serait le même.

Ce serait exactement la même lettre ?

Non, aujourd’hui je pense que je serai plus dur. Puis franchement j’ai un album qui est sorti dans les bacs le 14 février et qui s’appelle Axiom aka Hicham. J’ai évité de tomber dans certaines thématiques récurrentes de ce type là. J’aime bien en discuter mais j’aime pas spécialement écouter ça comme musique. J’y ai été très vigilant.

Toute cette médiatisation t’as permis de vendre beaucoup d’albums?

Non, ça m’a desservi. On te reconnaît dans la rue mais tu ne vends pas forcément plus. Les gens sont dans une hypocrisie. Ils aiment les artistes engagés, ils les citent à tout bout de chant, Coluche, Balavoine etc… mais la vérité c’est qu’ils oublient après d’aller acheter leurs albums derrière.

Comment tu expliques que l’on t’ait invité si souvent?

Je ne veux pas me lancer des fleurs mais je suis bon lorsqu’il s’agit des thématiques politiques. Je ne me fais pas plier. Il y a des gens que j’écoute parce que j’ai beaucoup de choses à apprendre d’eux mais 90% des gens avec qui j’ai débattu avaient un niveau de savoir au ras des pâquerettes. Tu as des imposteurs dans les médias. Les gens se leurrent parce qu’ils ne comprennent pas leur langage à la télé ils se disent « eux ils ont des diplômes, ils sont intelligents! » Ce sont en fait des gens reconnus par un système, ce n’est pas ça l’intelligence. Ils n’incarnent aucune alternative, ils relayent la pensée du pouvoir.

Et Zemmour dans tout ça?

A l’époque il n’y avait pas eu les propos racistes, je lui ai même fait la bise. Je lui ai dit « vous voyez, on peut discuter, ne pas être en accord et se faire la bise ». Ce n’était pas le petit raton que l’on connaît aujourd’hui. Comment peut-il encore s’exprimer à la télé? C’est aussi de notre faute, c’est nous qui ne réagissons pas, qui nous laissons faire. Il faut arrêter le délire, ces gens là s’estiment plus français que nous. Et bien qu’ils me le prouvent. Souvent ils n’aiment même pas leur pays. Moi j’ai une association, je travaille auprès des jeunes. On est plus dans l’ère de la justification, on devrait être dans l’ère de l’organisation. Là tu vois au lieu de te parler de mon album je te parle de ça.

Oui, revenons-en à la musique, dans ton premier album tu développais des messages citoyens, dans le second tu as l’air de t’être rapproché de tes origines, de ta culture orientale.

Oui c’est vrai aussi mais d’abord parce qu’il y a eu l’histoire du concept d’identité nationale. C’est intéressant d’observer que comme il est présenté, il est proposé comme une identité monolithique. Or quel est le rapport entre un Chti et un Breton? En gros on blablate sur de l’inexistant et on occupe les espaces télés, radios et conversations. Tout ça ne repose sur rien: est français celui qui a ses papiers, point. « Ouais t’es pas français parce que tu fais-ci parce que tu fait pas ça… ». Ce sont eux les antifrançais, ce sont eux les communautaristes. Nous après on doit passer notre temps à nous défendre, à mener une vie de résistant. Il est temps que ça s’arrête.

Tu n’as pas eu envie d’aborder le thème de la laïcité?

Dans 1+1 j’en parle indirectement. Je parle d’une histoire d’amour entre un couple mixte, lui est croyant et elle est athée. Le mec est bronzé, la nana blanche, ça parle d’avortement. Lui veut qu’elle garde l’enfant et elle de son côté avorte facilement. J’arrive pas en disant « Yo la laïcité elle est double, attention bellek! ». Dans Bagdad je parle de cette manière de travailler entre musulmans sunnites, chiites et catholiques.

D’ailleurs d’où t’es venue l’idée de parler de Bagdad? Tu y as déjà été?

Jamais et vu le contexte actuel c’est compliqué. J’avais l’intention depuis longtemps d’écrire sur Bagdad et l’Irak en général. Puis quand j’ai fait mes recherches, je me suis rendu compte que cette ville a une histoire de ouf. Je suis passionné d’histoire, de l’époque de l’Alhambra, de l’Espagne musulmane etc… J’y ai retrouvé les mêmes ressorts, c’est une ville magique. Bagdad signifierait « don de Dieu » et aurai été construite en 4 jours par 100 000 hommes. Dans la chanson elle est incarnée par une femme qui vieillit et nous qui l’écoutons à son chevet. J’ai invité Tina Arena sur ce titre.

Ces dernières années on a eu droit à beaucoup de morceaux et compilations qui mêlaient rap, r’n‘b et raï. En quoi ton album est différent de ceux-là?

C’est pas du raï déjà, le raï c’est un genre dans la musique algérienne. C’est toute une génération avec ses expressions etc… Dans mon album c’est vraiment de la musique arabe classique, tu vas retrouver du «chaabi », du «charki» . Il y a différents genres, de différents pays arabes et je mélange ça avec un beat hip hop. Cet album c’est aussi la preuve qu’on peut apporter pleins de choses nouvelles.

Tu t’es référé directement à la culture arabo-musulmane alors que en général les artistes d’origine maghrébine se cantonnent au Maghreb.

En général les mecs lorsqu’il y a de la musique arabe, ils parlent du bled. Moi c’est pas ce que j’ai voulu faire. Je raconte ce que j’ai à raconter sauf que c’est sur de la musique du bled. C’est-ce que j’appelle du bled-kick. Je connais un bled-kickeur manouche, il rappe sur des instrus manouches.

Il y a un morceau qui s’appelle Hami, qu’est-ce que cela signifie?

Cela veut dire « c’est chaud! ». Dans le Nord on utilise cette expression pour tout: « putain j’ai eu trop d’amendes c’est hami! Il fait trop bon dehors c’est hami! C’est un peu fourre-tout. J’en ai fait un électro-orientale qui défonce, de la vraie vitamine C.

Axiom – Ma lettre au président