09/05/2010

David Todd, docteur en histoire de l'université de Cambridge répond à StreetPress

Le résultat des législatives britanniques décrypté

Par Manuella Anckaert

Sur StreetPress David Todd décrypte le résultat des législatives. Il ne croit pas à une coalition et pense que de nouvelles élections doivent se tenir «au moment où le pays a le plus besoin d'un gouvernement solide». 

Le gouvernement britannique est en situation de hung parliament, qu’est-ce que cela signifie?

Le hung parliament ça veut dire qu’aucun parti n’a de majorité absolue. Le système législatif anglais est soumis au “First past the post” c’est à dire qu’un parti n’a pas besoin de la majorité pour être élu, il doit juste obtenir plus que les autres. C’est un système parfait quand on a un échiquier politique bipolaire, mais ce n’est plus le cas en Angleterre aujourd’hui avec une polarisation autour de petits partis comme le parti nationaliste anglais, les partis gallois ou irlandais, et bien sur les Lib-Dem. Le système politique anglais est complètement explosé. Le hung parliament est le symptôme d’une crise politique plus qu’autre chose.

Comment devrait se débloquer la situation?

Le secrétariat du gouvernement a publié un guide avec des instructions sur que faire en cas de hung parliement. Il explique clairement que le premier ministre reste premier ministre, et que c’est à lui que revient l’initiative de gouverner en passant un accord avec d’autres partis. Normalement, le premier ministre Brown a l’initiative. Mais le problème, c’est que Nick Clegg s’est lié les mains pendant la campagne, en disant que si les conservateurs obtenaient le plus de voix, ce serait à eux de former le gouvernement. Maintenant il est obligé de se tenir à ce qu’il a dit et Brown ne peut pas négocier. S’il ne trouve pas de solution, il peut former un gouvernement minoritaire.

David Todd en diplômes

1999: Major de promo à Science-Po en section Service Publique
2000: Diplômé en économie et histoire sociale à Cambridge
2005: Docteur en Histoire à l’université de Cambridge
2007-2009: research fellow de la Fondation Andrew Mellon au Centre for History and Economics au collège Trinity Hall à Cambridge
Depuis 2010: Conférencier au King’s Collège de Londres

Et une alliance entre les conservateurs et les libéraux démocrates, c’est probable ?

Les libéraux démocrates, c’est un peu les François Bayrou de la politique anglaise: on nous parle que de ça, mais à la fin ça retombe comme un soufflet. La grande question c’est celle de la réforme électorale. Le parti LibDem depuis les années 70 réclame une réforme électorale pour se débarrasser du First past the post, or les Conservateurs sont les plus opposés à la réforme.

Le gouvernement peut-il se passer d’une coalition?

L’Angleterre a déjà connu ça: un gouvernement minoritaire qui négocie au cas par cas. La France aussi d’ailleurs sous la quatrième République. Il y avait eu un parlement un peu comme ça en 1974, qui avait été élu en février et dissout en novembre. Mais là, ce qui rend les choses dramatiques c’est la situation budgétaire du pays. Des nouvelles élections seraient la solution: c’est le gouvernement le plus indécis possible au moment où le pays a le plus besoin d’un gouvernement solide.

Le médiatique David Cameron du Parti Conservateur a-il séduit?

Les conservateurs ont séduit assez peu: ils ont fait 37% des voix. Ils ont raté leur campagne. La presse anglaise dit même que les trois partis ont perdu. Cameron il cache un peu une face du Parti Conservateur, qui reste très europhobe, immigrationnophobe, mais ça n’a pas suffit pour séduire.

Qu’est ce qui explique que le Labour fasse un score plutôt élevé alors que sa popularité est au plus bas ?

Le Labour a fait un bon score en sièges car les circonscriptions du Nord et d’Ecosse sont plus petites et donc surreprésentées par le système électoral. Aussi la Grande Bretagne est toujours un pays de classe et le Labour a encore le vote des classes populaires. C’est pour ça qu’ils ne peuvent pas tomber en dessous des 25%. En regardant la carte des résultats, les bons scores sont dans les zones ouvrières. Le vieux cœur industriel de l’Angleterre voue aux conservateurs une haine absolue. 29% c’est le plus bas qu’ils puissent faire, il y a une sorte de seuil infranchissable.

On a beaucoup parlé d’une envolée possible pour le British National Parti, ça ne s’est pas du tout passé comme ça…

Les résultats des petits partis n’ont pas tellement changé. De toutes façon, les partis populistes racistes ont une popularité très faible et sont marginaux. Le BNP ce n’est pas le FN, ils sont pires que le FN. Du coup ils n’ont pas d’écho dans la culture britannique.

A quoi faut-il s’attendre ?

On aura surement un gouvernement conservateur sous une forme ou une autre, peut-être en alliance avec le LibDem. Mais une coalition parait assez improbable. Dans tous les cas ce qui risque de se passer, c’est l’organisation d’une élection anticipée, peut être dans les 18 mois de l’année à venir. La situation actuelle n’est pas tenable.

« Le hung parliement est le symptôme d’une crise politique plus qu’autre chose »

« Nick Clegg s’est lié les mains pendant la campagne »

« Ce qui rend les choses dramatiques c’est la situation budgétaire du pays »

« Le BNP ce n’est pas le FN, ils sont pires que le FN »

Source: Manuella Anckaert | StreetPress