14/11/2012

Les auteurs de « Nous… La Cité » invités de la « Matinale Politique »

« Même nous, quand on regarde les reportages sur l'Islam, on a peur ! »

Par Johan Weisz

Ils ont écrit un bouquin pour raconter leur quotidien, entre les aller-retours devant le juge, la BAC « à gerber », le trafic de drogue « parce qu'il n'y a pas de boulot » et l'islamophobie à cause « de la télé. »

Sylvain Erambert (21 ans) et Joseph Pontus (35 ans) co-signent ce qui est à notre avis l’essai de la rentrée. Ils débarquent bien en avance avec Fayçal, un pote de Sylvain, dans le studio de radio où on s’apprête à enregistrer l’émission hebdomadaire de StreetPress et Radio Campus. On leur dit qu’on a trouvé le bouquin super : une vraie densité d’écriture, un ton authentique et un sens de la story qui fait que l’essai se lit comme un roman.

Dans Nous… La Cité, qu’ils cosignent avec 3 autres co-auteurs, ils racontent leur quotidien de jeunes d’une cité de banlieue, du bureau du juge au commissariat, le deal, l’école, la religion, les joies et les tragédies du quotidien en bas des tours. Avec toujours dans les parages leur éducateur, Joseph Pontus, qui les a accompagnés pendant 5 ans dans la vraie vie et au tournant de chaque page dans le bouquin.


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Les meilleurs moments en vidéo

Sur le livre

Joseph Pontus : Il faut comprendre que le projet du bouquin, c’est avant tout un support à l’insertion. Ce bouquin permet d’avoir un contrat, qui va permettre aux mecs qui sont le plus en galère du quartier – en l’occurrence Sylvain était bien en galère parce qu’il avait pas mal de peines à aménager – d’avoir un contrat, de présenter auprès des juges des justificatifs [de travaux] qui servent de support à l’insertion. C’est [ce qu’on appelle] un chantier éducatif, le truc est payé et les gars montrent qu’ils sont dans un processus d’insertion.

Sur le boulot d’éducateur

Joseph, c’est quoi votre job d’éducateur au quotidien ?

Joseph Pontus : C’est de bosser avec ceux qui sont le plus en difficulté, avec les gars qui traînent dehors à longueur de journée pour les inscrire dans les structures de droit commun : tout ce qui est Pôle emploi, mission locale, les structures d’insertion et de probation en matière judiciaire – structures vers lesquelles il n’iraient pas spontanément.

On est amenés à bosser avec des gens qui peuvent à un moment donné commettre des actes délinquants, à bosser [aussi] avec des flics, car il y a énormément de provocations policières au quotidien. On essaie d’éviter que les jeunes se prennent de manière gratuite des procédures pour outrages et rebellions, par exemple.

On a l’impression en lisant le bouquin qu’à pas mal d’instants, Joseph ne serait pas là, tout exploserait…

Sylvain Erambert : Franchement oui ! Joseph, je le connais depuis longtemps. Au début, on allait dans son local, on voulait juste s’amuser. Quand j’étais petit, je lui ai dit, il ne me servait à rien. Mais on voit qu’il ne nous lâche pas, quoi qu’il arrive. Dès qu’il y a un problème, il est toujours là pour nous. Il est venu à presque tous mes jugements, il a dû en rater un ou deux, parce qu’il avait d’autres rendez-vous…

Pour acheter le bouquin


Nous…. La cité : On est partis de rien et on a fait un livre

Quand j’étais petit, je lui ai dit, il ne me servait à rien.

Sur la justice

Sylvain, dans le livre, on suit vos rendez-vous au tribunal, à Nanterre ou à Versailles, devant le juge d’application des peines, le service de probation… Combien de fois vous êtes passé devant le juge ?

Sylvain Erambert : Haha ! Plus d’une dizaine de fois, peut-être une vingtaine de fois.

C’est normal ?

Sylvain Erambert : Non c’est pas normal, pas du tout.

Joseph Pontus, vous êtes en permanence à faxer des attestations à tous les juges du 9-2. On a l’impression que la justice est omniprésente…

Joseph Pontus : Oui. Je ne connais quasiment aucune famille du quartier qui n’ait pas quelqu’un qui soit suivi soit par un service de probation, soit par un juge d’application des peines.
Il y a un vrai matraquage policier qui entraîne ensuite un matraquage judiciaire. La justice fait vachement bien son boulot (…) Par contre, avec les flics, il y a un vrai problème.

Sur les contrôles au faciès

Est-ce qu’un récépissé de contrôle au faciès, ça serait une solution ?

Sylvain Erambert : Ça serait une très bonne idée, mais les policiers le savent, qu’on a déjà été contrôlés ! Ça m’est déjà arrivé de me faire contrôler deux fois d’affilé, je leur ai dit « je viens de me faire contrôler », ils ont vérifié et je pense qu’ils le savent déjà.

Un récépissé, ça pourrait être utile ?

Sylvain Erambert : Personnellement, je ne pense pas ! C’est pas ça qui mettra un terme aux provocations des policiers…

Qu’est-ce qui pourrait améliorer les choses ?

Joseph Pontus : Dans le bouquin, Rachid [Ben Bella] dit que s’il y avait une solution, ça serait de remplacer les flics par les gendarmes (…) De fait, on se rend compte que les gendarmes vouvoient, sont respectueux, ne menottent pas ton père ou ta mère, ils n’insultent pas tout le monde. Il y a un vrai problème de formation dans la police. Il faudrait dissoudre la BAC qui se permet des choses qui sont à gerber.

Je ne connais quasiment aucune famille du quartier qui n’ait pas quelqu’un qui soit suivi soit par un service de probation, soit par un juge d’application des peines

Il faudrait dissoudre la BAC qui se permet des choses qui sont à gerber.

Sur le deal et la légalisation du cannabis

Sylvain Erambert : Si demain l’État [légalisait], les gens arrêteront de vendre du cannabis et vendront de la drogue dure. Je pense que c’est une chose à éviter.

Joseph Pontus : C’est bien ça le problème principal : les mecs vendent du shit parce qu’il n’y a pas de boulot. Ils vendent ça faute de mieux. Qu’est-ce qu’ils feront après ? Donc soit tu donnes du boulot à tout le monde, c’est le plein emploi [qu’il faut], mais faut arrêter de prendre les gens pour des cons!

C’est un problème, le deal dans le quartier ?

Joseph Pontus : Un problème pour qui ?

Je ne sais pas… pour les habitants…

Sylvain Erambert : Ah bah bien sûr, pour les habitants, c’est sûr et certain.

Joseph Pontus : Sylvain, t’es un habitant aussi toi !

Sylvain Erambert : Je les comprends, les personnes qui se plaignent. Ils rentrent chez eux, dans le porche ça sent la drogue, il y a beaucoup de monde, c’est sale, je les comprends totalement. C’est un problème pour eux. Et pour nous aussi.

Sur l’islamophobie

Sylvain Erambert : Même nous, quand on regarde les reportages [sur l’Islam] on a peur ! Hier, il y avait un reportage sur Mohamed Merah, c’est du n’importe quoi. Ils montrent une image de la religion qui n’est pas celle-là. (…)

[Cette image des musulmans dans les médias], c’est pour nous salir, en fait. Personnellement, je ne prends pas souvent les transports en commun. Je suis venu ici en métro, avec mon ami Fayçal, qui a une barbe. Et franchement, les gens, comment ils l’ont regardé, j’avais mal au cœur ! Je ne voulais que m’énerver sur eux ! Ils ont peur, mais ça n’est pas de leur faute non plus : c’est ce qu’ils regardent à la télé.
Nous on est là pour faire passer un message, en disant qu’il porte une barbe et qu’il n’est pas terroriste, et qu’il n’a pas le projet de faire sauter une tour !

Les mecs vendent du shit parce qu’il n’y a pas de boulot.

bqhidden. Il porte une barbe et il n’est pas terroriste, il n’a pas le projet de faire sauter une tour !