28/07/2010

Olivier Ihl, politologue, répond à StreetPress

Pourquoi MAM est-elle passée par un décret pour punir l'outrage au drapeau ?

Par Lisa Serero

Olivier Ihl revient sur le décret de Michèle Alliot-Marie qui condamne à 1.500€ l'outrage au drapeau français. Le décret intervient la même semaine que le procès des incendiaires du drapeau de Villeneuve Saint-George.

Pourquoi le texte sur l’outrage au drapeau français est-il passé sous forme de décret et pas sous forme d’une loi votée par l’Assemblée Nationale ?

Le décret est un acte du pouvoir réglementaire. Il traduit la volonté du pouvoir exécutif de fournir un nouveau cadre aux atteintes que peut subir le drapeau tricolore dans certaines catégories sociales, tout en évitant les turpitudes d’un débat législatif. Une loi aurait supposé discussions, amendements, tractations. La voie “administrative” permet une révision plus circonscrite. Par ailleurs, c’est le moyen approprié pour créer “une contravention de cinquième classe, punie de 1 500 euros d’amende” puisque telle est la sanction désormais encourue.

Voyez-vous un lien avec le procès qui s’ouvre aujourd’hui sur le drapeau brûlé à la mairie de Villeneuve Saint-Georges?

Oui, le décret se veut une réponse directe à une série récente d’usages dégradants ou provocateurs du drapeau tricolore. Ces gestes – drapeaux brûlés ou tournés en dérision – sont perçus comme attentatoires à l’idée que se fait le gouvernement de la dignité des emblèmes d’État. Reste à savoir si une sacralisation par le droit peut tenir lieu de sentiment public. On peut lire le décret de deux façons: comme une obligation nouvelle imposée à certains groupes des classes populaires et comme une juridicisation d’un comportement jusque là régulé par la seule force morale du symbole. Mais le respect n’est pas qu’affaire de droit.

Y avait-il un vide juridique sur l’outrage au drapeau pour qu’il faille compléter la loi existante par un décret?

Le décret organise un régime de sanctions concrètes et matérielles. L’atteinte au drapeau devient ainsi une contravention susceptible d’être dressée à tout moment. L’important, c’est le déplacement du sens du sacré attaché au drapeau : de question morale, le culte du drapeau devient un problème juridique. Signe supplémentaire que dans les sociétés multiculturelles, la valeur des obligations civiques change de statut. Le sentiment d’appartenance à la nation y est moins le fruit d’une éducation commune ou de rites politiques que celui d’une observance d’un règlement de police.

L’outrage au drapeau

La ministre de la Justice Michèle Alliot-Marie a fait passer un décret dans le Journal Officiel du 23 juillet condamnant le fait de « détruire, détériorer ou utiliser de manière dégradante » le drapeau français à 1.500€ d’amende. Le texte précise qu’est également puni « pour l’auteur de tels faits, même commis dans un lieu privé, le fait de diffuser ou faire diffuser l’enregistrement d’images relatives » à ces faits.

Il existait déjà un décret de 2003 qui condamnait à une amende de 7.500€ « le fait au cours d’une manifestation organisée ou réglementaire par les autorités publiques d’outrager publiquement l’hymne national ou le drapeau tricolore » .

“Olivier Ihl”:http://www.olivierihl.fr/ est un politologue français spécialiste de la sociologie historique du politique. Il est professeur agrégé des universités et directeur de l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble.

Source: Lisa Serero | StreetPress