« Dites shalom à la DCRI présente dans la salle ! Je sais qu’il y a des agents qui se cachent parmi vous », balance Kémi Séba aux 300 personnes venues l’écouter, en introduction de sa conférence samedi après-midi au Théâtre de la Main d’Or. Boubou sombre orné d’une carte de l’Afrique et devant un poster le représentant avec un lion, Kémi Séba venait présenter à Paris son dernier essai paru le 11 septembre, Black Nihilism.
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Pas de bol pour Séba : quelques heures après sa conférence, il se faisait cueillir par la police à sa sortie de la Main d’Or (Paris 11e) en vertu d’une vieille condamnation. Assujetti en 2009 à 2 mois de prison avec sursis pour violences en réunion, il n’avait pas respecté ses obligations de mise à l’épreuve en quittant le pays pour s’installer au Sénégal.
De la Tribu Ka aux talk-shows sénégalais
Depuis plus de 10 ans, Kémi Séba est l’animateur d’un petit mouvement se revendiquant du panafricanisme autour d’une succession de groupuscules comme « Le mouvement des damnés du Sionisme », « Les Jeunesses Kémi Séba » ou le « New Black Panther Party Europe ». L’éphémère « Tribu Ka » avait connu sa petite heure de gloire en 2006 quand elle avait été dissoute par un décret du ministère de l’Intérieur suite à une descente dans le quartier du Marais pour se bastonner avec la Ligue de défense juive . Kemi Seba a aussi été condamné pour incitation à la haine raciale pour propos antisémites.
Mais depuis 2013, ce proche d’Alain Soral et de Dieudonné a enfilé la tunique de l’essayiste. Séba est l’auteur de Supra Négritude, paru en 2013 aux éditions Fiat Lux. Celui qui aime se présenter comme « un penseur » vit depuis sa condamnation de 2009 à Dakar où il officie comme chroniqueur dans un talk-show sur une des plus grandes chaînes du pays. Là-bas, il a pu fréquenter des ambassadeurs dissidents de tout poil , comme celui du Venezuela, et tisser des liens jusqu’en Iran où il a été invité. Sur les réseaux sociaux, il s’affiche aussi avec « ses petits frères » les footballeurs Demba Ba, Moussa Sow, Jacques et Ricardo Faty.
Voyage en Iran / Crédits : FB public de KS
Auréolé de son nouveau statut, sa conférence faisait office de véritable come-back pour ses disciples. La dernière fois qu’il tenait meeting à Paris, c’était il y a près d’un an et demi. L’événement était annoncé en grande pompe sur Facebook où sa page principale compte 60.000 fans. Un jeune homme explique être venu dès 11 heures du matin pour être sûr d’avoir une place. Une famille, elle, a fait le déplacement depuis l’Yonne ce matin.
For us, by us
Le leitmotiv de Kémi Séba : unir les afro-descendants sous la bannière du « panafricanisme » pour lutter contre « le mondialisme ». Devant une Main d’Or pleine comme un oeuf, il explique :
« Le mondialisme, c’est oublier notre identité véritable pour adopter une identité qui n’est pas la nôtre. Vous n’avez pas besoin d’être des patriotes français, de crier “J’aime Alain Souchon”. Le projet du mondialisme, c’est de détruire toutes les civilisations, de créer des êtres sans sexe ! La théorie du genre, c’est ça. »
Kemi Seba exalte un retour à la tradition africaine : il veut faire « sauter les frontières imposées en Afrique par les Francs-Maçons », exhorte « ses frères » à consommer des produits « faits par nous et pour nous », se moque des Noirs qui mangent du camembert et attaque Vincent McDoom, Lilian Thuram et Harry Roselmack. Leur faute ? Dissoudre l’identité noire dans « le magma mondialiste ». A cause de « l’assimilation », les afro-descendants seraient devenus « le punching-ball » et « le crash-test de l’humanité tout entière ». De citer le virus Ebola, la guerre au Kivu ou la négrophobie au Maghreb :
« Si on se faisait respecter, pensez-vous qu’on se ferait humilier comme ça ? Est-ce que ce sont les autres qui ne nous aiment pas, ou nous qui ne nous aimons pas ? »
Il appelle les patriotes de tous poils à se donner la main et dresse des louanges à Jean-Marie Le Pen qui « n’a jamais été la prostituée de personne » :
« Le patriote blanc qui se bat pour les siens est mon frère. On n’a pas à se fondre chez les autres. »
Des rastas, des dissidents et le rappeur Médine
Le flyer du prochain speech de Séba
Dans la longue file d’attente devant le théâtre de la Main d’Or, un homme barbu vêtu d’un polo Lacoste et d’un short militaire attire les regards. C’est le rappeur Médine, venu comme simple spectateur. Un petit groupe se forme autour de lui et improvise un débat sur le succès du business model de Dieudonné qui a réussi « à faire de l’argent hors du système ». Plus tard, au beau milieu de sa conférence, Kémi himself demandera à son public de faire un tonnerre d’applaudissements pour « son ami » Médine. Le rappeur doit assurer un concert en première partie de la prochaine conférence à Bruxelles le 27 septembre. Une information qu’il a confirmé sur Facebook avec son compte officiel. Il filera quelques minutes avant la fin du show pour rejoindre la fête de l’Huma où il était programmé plus tard dans l’après-midi.
Dans le public, on exhibe ses bagdes « black panther » et on dénonce les médias et les livres d’Histoire qui ne parlent jamais des héros panafricains Marcus Garvey, Cheikh Anta Diop ou du premier maire noir de Paris au 19e siècle. Gilles, 22 ans, regarde « quotidiennement » des vidéos de Kémi Séba sur YouTube. Il est aussi dans une autobiographie de Patrice Lumumba. Le jeune homme qui vit en Belgique avait manqué le Congrès de la dissidence à Bruxelles, auquel devaient intervenir Soral, Dieudonné ou Séba. Alors il s’offre une séance de rattrapage. C’est la première fois qu’il le voit en vrai et il espère bien faire dédicacer ses deux bouquins. Il justifie le radicalisme du polémiste :
« C’est un retour des choses. Les noirs vivent des choses difficiles. »
Nakeeva est venue avec sa fille Joshua, 30 ans et professeur d’anglais à domicile. Toutes les deux sont membres du mouvement rastafari. Elles estiment qu’il est temps de « rentrer chez soi » devant la montée du Front National :
« Si demain Marine Le Pen prend le pouvoir, ils vont se sentir pousser des ailes et tous nous expulser. »
Le discours de Séba, qui appelle à ce que les afro-descendants se tournent vers le Continent, leur parle tout particulièrement. Il a d’ailleurs tenté de créer « une pépinière de ré-enracinement pour la diaspora » dans la savane sénégalaise. Un projet qui a capoté puisque son village « Dalaal Diam » a été transformé depuis … en hôtel de charme avec des chambres allant de 25 à 40 euros la nuit.
Les juifs, la shoah et « l’oligarchie circoncise »
Sur scène, le speech du tribun est beaucoup plus violent que celui de ses ouailles. Devant un public chauffé à blanc par une heure et demi de retard, il multiplie les provocations antisémites: la shoah est qualifiée de « pet de l’Histoire » comparé au génocide rwandais, le journal Libération est rebaptisé « Libé-rat-Sion », il mime un nez crochu quand il évoque Eric Zemmour, s’en prend « aux juifs, solidaires au détriment du reste l’Humanité » et déclare la guerre à « l’oligarchie mundele (ndlr : l’homme blanc en lingala) circoncise »
Pour Séba, c’est en fait « la vision talmudique du monde accepté par tous » qui « dégrade volontairement la tradition » pour imposer « une pyramide raciale » où les Noirs seraient en position inférieure. Dans le public, ses punchlines antisémites sont parfois accueillies par des « bim » ou des « graaaave ». A la fin du show, Gilles, malgré son ton mesuré, ira prendre sa photo avec « le frère Séba » avant de se faire dédicacer le dernier ouvrage. Joshua la rasta, elle, nous envoie un mail pour dénoncer l’arrestation de la vedette du jour. A 19h, quelques heures après la fin du spectacle, il était interpellé pour purger sa condamnation de 2009. De quoi gonfler encore un peu plus son CV de militant anti-système.
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