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    01/09/2015

    Chaque mois, StreetPress recueille le témoignage d’un ex-détenu

    Raneem, 24 ans, emprisonnée pendant 4 mois en Syrie

    Par Raneem Matouq

    Un matin, la police vient toquer à la porte de Raneem. Embarquée manu-militari, cette opposante au régime de Bachar al-Assad sera brinquebalée pendant 4 mois dans plusieurs prisons du pays. Pour StreetPress, elle raconte sa détention.

    Un matin, on tambourine à la porte de la maison familiale des Matouq à Damas. Instantanément, Raneem, la seule fille de la famille, étudiante aux Beaux-Arts, sait ce qui se trame. Ce jour là, elle ne peut s’empêcher de penser à la disparition de son père en 2012.

    Devant sa porte, Raneem trouve une trentaine de militaires, prêts à s’engouffrer dans la baraque où elle habite avec sa mère et ses frères. Au passage, les képis dérobent ordinateur, effets personnels, preuves de son implication dans différentes associations de défense des droits de l’homme et objets de valeurs. Raneem est embarquée dans la foulée, puis incarcérée pour avoir milité contre le régime. Elle passe 4 mois à l’ombre. D’abord, dans une geôle du régime réservée aux prisonniers politiques. Puis dans une prison de droit commun. Elle témoigne.

    « Mon premier jour en prison a commencé par des coups. La police du régime fait ça pour intimider les détenus. Ils ne m’ont posé aucune question. Puis ils m’ont fouillée avant de me dérober tout ce que j’avais sur moi. Entre nous, on appelle cette phase “la réception” !

    Trois mètres carrés en sous-sol

    On devait être une dizaine de détenus. Ce sont des prisons secrètes réservées aux prisonniers politiques. Elles sont installées en sous-sol. La cellule, minuscule et dégoûtante, devait faire 3 mètres carrés. Je dormais à même le sol. L’atmosphère était humide. Il n’y avait pas de lumière. On ne pouvait sortir que pour aller aux toilettes. Niveau nourriture, c’était pas le top. La plupart du temps, on avait le droit à du riz accompagné de pain pourri. Dans le riz, il y avait des petits cailloux. Un jour je me suis cassé une dent en croquant dedans.

    Après quelques jours, les militaires ont commencé à m’interroger. Ils voulaient savoir ce que je faisais à l’extérieur. Pour les garçons, la torture était systématique : suspension par les mains, couteaux enfoncés dans la gorge, chocs électriques… Pour les femmes, ça dépendait de l’humeur du garde. Et pour ma part, j’ai eu plutôt de la chance.

    Orange is the new black

    Après 2 mois, j’ai été transférée à Adra, une prison de femmes en banlieue de Damas. Après ce que j’ai vécu, cela avait tout d’un hôtel 5 étoiles. Dès mon arrivée, j’ai pu contacter ma mère. Elle a été autorisée à me rendre visite une fois par semaine.

    Pour la première fois depuis 2 mois, j’ai eu droit à un vrai lit, à des couvertures propres. Je dormais dans un dortoir avec 30 autres prisonnières. Un petit espace pour manger était installé dans le coin de cette grande pièce. On nous servait un repas par jour. Le reste, on pouvait l’acheter dans la prison. On avait aussi le droit à 6h de promenade. Je n’aimais pas ça. Cela me rappelait trop ma vie à l’extérieur.

    En prison, il y avait de tout : meurtrières, trafiquantes de drogue, voleuses, prostituées. Quand tu es une prisonnière politique, tu es tout en bas de l’échelle. Une fois je me suis battue avec une détenue qui martyrisait une de mes amies. Les autres filles nous ont séparées. Et puis la prison est pleine d’espions qui nous surveillent. On ne pouvait pas parler du régime.

    En général, j’essayais de dormir toute la journée. On avait rien à faire, même pas le droit d’avoir du papier et des stylos. Je comptais les jours. Avec la fermeture éclair de mon sweat, je gravais sur le mur de chambre des petits bâtonnets. Un par jour. »

    Après 4 mois de détention, Raneem est libérée le 5 juin 2014. À sa sortie, elle demande l’asile politique en Allemagne. Elle vit dans la région de Berlin depuis février 2015 et espère pouvoir reprendre les études dès que son niveau en allemand le permettra. Amnesty International a consacré sa dernière campagne aux disparus de Syrie. Une pétition est disponible en ligne.

    Propos recueillis par Tomas Statius

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