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    25/03/2011

    Pourquoi « la guerre contre la drogue n'est plus un combat rationnel »

    Cocaïne, Héroïne, Cannabis: « Il faut légaliser toutes les drogues »

    Par Robin D'Angelo

    Dans l'excellent Tribulations d'un Gramme de Coke les journalistes Christine Renaudat et Vincent Taillefumier détaillent chaque étape du narcotrafic. CQFD: la légalisation est la seule politique anti-drogue efficace contre les charniers.

    L’étiquette de spécialiste du narcotrafic vous va-t-elle ?

    Christine: Non !
    Vincent: Haha !
    Christine: Ce n’est pas un bouquin d’experts en plus… Évidemment, ça fait 10 ans qu’on est en Colombie donc on a travaillé de façon très répétée sur le sujet. Mais ce qu’on veut montrer c’est que la question des drogues va au-delà du narcotrafic, que c’est une question éminemment humaine.

    Définir votre livre comme une « plaidoirie » pour la dépénalisation des drogues, ça vous va ?

    C: Oui bien sur ! Mais pas comme on l’imagine. Puisque souvent quand il y a plaidoirie, ceux qui plaident sont toujours du côté du consommateur. Les gens croient qu’on plaide pour le droit des gens à se shooter. Ce n’est pas ça.
    V: On est vraiment sur des questions de droits de l’homme

    Vous critiquez notamment ce que vous appelez une « guerre fondamentaliste »

    V: La guerre contre la drogue, ce n’est plus vraiment un combat rationnel si on regarde les résultats. C’est un combat qui a échoué.
    C: Moi j’ai toujours un problème avec la légalisation des drogues. On a tous un problème pour ce qui est de perdre pied, de perdre le contrôle. Mais on peut aussi travailler sur soi-même face à cette peur là. Et pour le faire quoi de mieux que de partir à des milliers de kilomètres voir ceux qui meurent directement à cause de nos peurs à nous. C’est une peur de la mort, mais une peur de vivre aussi car dans la vie on prend des risques . Et un de ces risques est de tomber accro à une drogue. Mais on ne peut pas à cause du sacro-saint principe de précaution faire une guerre sans résultats qui tue plein de gens.
    V: Quand on engage une discussion sur le sujet avec quelqu’un qui est favorable à la prohibition, les arguments s’épuisent les uns après les autres et à la fin il ne reste que le noyau: les drogues c’est mal. Ça devient une question aussi basique que de croire ou ne pas croire en Dieu. Ce n’est pas quelque chose de pensé.


    Le bouquin

    Les tribulations d’un gramme de coke est une enquête-réquisitoire contre la politique anti-drogue de prohibition menée entre autre par les États-Unis en Amérique Latine. Détaillant chaque étape du trafic – des producteurs, aux mules, aux intermédiaires – les journalistes s’attachent à démontrer l’inefficacité de la politique anti-cocaïne qui alimente les tueries en Colombie, au Mexique, en Amérique Centrale et en Afrique. Les auteurs vous ferons notamment assister à la confection de 400 gramme de coke dans un laboratoire dans la jungle colombienne et vous livreront la précieuse recette … A ne pas faire à la maison :)

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    Alors pourquoi faut-il dépénaliser la cocaïne à échelle planétaire ?

    V: Ça couperait le flot d’euros et de dollars qui alimente la violence dans les pays producteurs. On ne connait pas un négoce légal qui provoque une telle tuerie. Ce serait en soi quelque chose d’énorme de sauver des vies tous les ans. Du côté européen on dit: « Mais qu’est ce que vous faites ! Vous sacrifiez notre jeunesse !». Rien ne dit que si on dépénalise, la consommation de drogues va exploser. Les rares expériences qu’il y a eu dans ce sens montrent que ce n’a pas été le cas. Et puis la prohibition ne protège pas les consommateurs: leur nombre augmente et ils peuvent être tués par la qualité du produit. La prohibition tue énormément de personnes dans les pays de production et de transit et échoue à protéger les consommateurs: au contraire elle les met en danger.

    Vous parlez aussi dans le livre du « racisme » – conscient ou non – de la politique anti-drogue

    V: Il faut en effet mépriser les vies humaines des pays du Sud pour continuer à justifier la guerre contre la drogue malgré son échec. C’est un mépris parfois affiché, comme lorsque le directeur de l’agence anti-drogue de l’Onu parle de la guerre entre cartels au Mexique comme d’une “bénédiction” pour les États-Unis.
    C: Au Nord ils disent “Il faut protéger notre jeunesse”. Mais il est évident que la jeunesse de Lille ou Cleveland compte davantage que celle de Ciudad Juárez ou Cali. Est-ce de la discrimination consciente ? Non, et c’est bien pire, parce que ça signifie que nous avons complètement intégré que ces gens valaient moins. C’est basiquement humain: ils sont loins. Mais ce n’est pas responsable de la part de décideurs et fonctionnaires de très haut niveau.

    L’avis de la redac’

    Où le lire: Dans une cave à Saint-Ouen
    A qui l’offrir: David Guetta
    A écouter avec: Tigres del Norte – Contrabando y traicion
    Prix par pages: 0,07 euros
    La note: 6/5

    En privé il y a très peu de responsables colombiens qui écartent d’emblée l’option de la légalisation

    Et les risques sur la santé, d’addiction ou « d’effet baudruche », vous en faites quoi ?

    V: C’est pour ça qu’on parle d’une légalisation encadrée et de toutes les drogues. Pour éviter l’effet baudruche. Tout l’argent qui est engouffré dans un travail policier et militaire doit être mis dans un travail scientifique de suivi des substances pour prévenir et sensibiliser. Et venir en aide aux personnes qui sont dans la dépendance.
    C: La cigarette, c’est légal et tout le monde fume. Mais on peut quand même penser que culturellement, socialement, fumer ce n’est pas le même geste que de sniffer ou de se piquer. Ce sont des gestes extrêmes qui ne vont pas se répandre comme boire un whisky à l’apéritif. Ce n’est pas parce que c’est légal que ça devient une pratique répandue. Au Portugal (consommer des drogues dites « dures » n’est pas un crime, ndlr), il n’y a pas eu de raz-de-marée.
    V: Et puis si aujourd’hui si tu ne prends pas de cocaïne, ce n’est pas parce que c’est interdit mais parce que tu ne veux pas prendre de cocaïne.

    Dans le livre vous ne rencontrez pas de chef de cartel: avez-vous essayé d’en contacter ?

    C: On ne l’a pas fait délibérément.
    V: Il aurait été possible d’aller trouver ceux qui venaient de se faire arrêter. Mais on ne s’est pas mis dans le travail de chercher des grosses têtes. On voulait montrer le bas de l’échelle: le cultivateur, le petit consommateur, le petit passeur … Il est difficile de sensibiliser les gens à la légalisation en montrant un type avec une énorme chaîne en or qui envoie tuer des gens.
    C: Les pécheurs et les petits paysans c’est l’essentiel de ceux qui font le trafic, qui ont les mains dedans.
    V: Tout comme en France on s’inquiète du type dans la cage d’escalier, les bras troués, qui est un pauvre type dans la rue. En Colombie il y aussi des pauvres gens qui sont pris dans le trafic du début à la fin.

    Vous utilisez l’expression « excentricité de narcos ». Laquelle de ces excentricités vous a le plus marquée dans votre enquête ?

    C: On évoque l’excentricité sur leur façon de trafiquer. Une des dernières, mais qui est déjà vieille en fait, ce sont les sous-marins, des boites de conserves dans lequel ils mettent 4/5 types, sans GPS et à la boussole sous l’eau pendant 15 jours ! Quand on rentre dedans on sent la folie, l’enfermement. On voit jusqu’où peut aller un mec d’un village pauvre pour avoir la même bagnole que le mec qu’il voit à la TV ! (…) Un autre truc utilisé ce sont les gens en maladie terminale. Parce qu’il ne vont pas perdre leurs moyens face à un douanier, ils en ont plus rien à foutre. On en arrive à ça avec la prohibition.

    On ne peut pas à cause du sacro-saint principe de précaution faire une guerre sans résultats qui tue plein de gens


    L’armée mexicaine à la frontière avec les USA

    Si on veut vous soutenir dans le combat de la dépénalisation, comment fait-on ?

    C: Il y a des pétitions, notamment la déclaration de Vienne qui est au départ faite par les secteurs qui travaillent sur le virus Sida. Dans certains pays plus de 40% des contaminations sont liées à l’usage des seringues…
    V: A la clandestinité de la consommation de drogue !
    C: Ils ont sorti un manifeste pour la révision de la politique mondiale anti-drogue. Il y a plus de 20.000 signatures. Ce n’est pas énorme mais il y a des prix Nobel, des anciens chefs d’Interpol, d’anciens présidents … Des gens de pouvoir.

    Chez les hommes de pouvoir actuel, à part Evo Morales, qui milite pour la dépénalisation ?

    V: Le président colombien en exercice a déclaré qu’il était prêt à envisager une légalisation si ça permettait de faire diminuer les indices de violence dans son pays. En Colombie, les politiques marchent sur des oeufs parce qu’ils sont sous le regard des États-Unis. Mais en privé il y a très peu de responsables colombiens qui écartent d’emblée l’option de la légalisation. Il y a trois ex-présidents latino-américain (Vicente Fox, Ernesto Zendillo et Henrique Cardoso, ndlr) qui ont eux aussi lancé un mouvement pour une révision de la politique des drogues.
    C: Plus on se rapproche de l’endroit où sont produites les drogues, plus les gens réfléchissent sérieusement sur les conséquences de nos peurs et de cette guerre. On devrait écouter ceux qui y sont au plus près.

    Sinon à StreetPress on était super contents, vous avez cité une de nos interview !

    V: C’était Jean Rivelois, c’est ça ?
    C: Oui cette interview était géniale ! C’était très bien !

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