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    04/02/2014

    « Aujourd'hui le kebab est un produit mondialisé »

    Le kebab est-il Européen ?

    Par Mathieu Molard

    Il y a 4 mois, on vous annonçait la mort de l'inventeur du kebab, il y a 5 ans aussi. Il était allemand, ou turc. Mais est-il bien mort? Et « kebab », ça vient d'où? Qui en mange le plus? Tout, tout, tout, vous saurez tout sur le kebab.

    Le kebab est une réalité européenne, dans nos vies comme dans celles de nos voisins allemands ou italiens. Et si finalement ce sandwich auquel on colle une étiquette turque était le plat le plus européen de l’Union ? Inventeur, découvreur, consommateur ou champions du monde : StreetPress s’est demandé ce qui rattachait le kebab à l’Europe.

    L’inventeur du kebab est-il Européen ?

    Octobre dernier, la presse européenne dans une belle unanimité annonçait la mort de l’inventeur de ces sandwichs à la viande : Kadir Nurman. Si on en croit la BBC, à l’origine de l’info, le restaurateur d’origine turque, décédé à l’âge de 80 ans, est arrivé en Allemagne en 1960. Il aurait servi le premier Döner Kebab dans son échoppe de Berlin-Ouest en 1972.

    Mais il y a comme un bug dans la matrice : en 2009, la presse déjà unanime, annonçait la mort du « créateur du très vénéré Döner Kebab » ! A l’époque, c’était un certain Mehmet Aygun. Selon Libération (qui a annoncé les deux décès, ici et , sans y voir le moindre problème), ce «Turc immigré en Allemagne » a eu l’idée de placer des lamelles de viande dans du pain en… 1971. Pour la petite histoire, l’info est en plus erronée : il s’agissait d’un homonyme habitant le même quartier, nous apprend un an plus tard le blog spécialisé kebab-frites.

    En creusant un peu on trouve un troisième prétendant au titre très convoité de père du Döner Kebab : Nevzat Salim. Il affirme, photos à l’appui, au journal allemand Berlin.de, avoir commercialisé son sandwich dès 1969, dans la ville de Reutlingen (Bade-Wurtenberg)…

    Mais alors qui est le véritable inventeur du Döner Kebab ? « L’Association des fabricants turcs de Kebab » (basée en Allemagne), tranche en faveur de Kadir Nurman. Le profil de ce dernier a l’avantage d’être plus marketing : il n’a pas fait fortune grâce à son invention (contrairement à Mehmet Aygün, propriétaire de six restaurants à Berlin et cinq hôtels en Turquie). L’humble Kadir Nurman se déclarait même « heureux de voir des milliers de Turcs vivre de son invention et des millions de personnes la manger ». C’est beau, ça se mange sans faim…

    Ce qui est certain, c’est que le Döner Kebab, dans sa forme « moderne », est né de la rencontre entre les cultures allemande et turque. Pierre Raffard, est doctorant en géographie de l’alimentation à l’université Paris 4 :

    « Au Moyen-Âge déjà, on utilisait en Europe une tranche de pain en guise d’assiette. C’était plus propre, ça permettait d’éponger la sauce et d’ajouter des céréales à l’alimentation. C’est cette pratique qui a donné le sandwich et donc le Döner Kebab. »

    Le mode de cuisson du kebab est il européen ?

    Le mode de cuisson sur une broche rotative est issu du fond des âges, ou presque. Et pour cause, le terme « kebab » signifie tout simplement « viande grillée ». Pour Pierre Raffard, on trouve les prémices de cette pratique culinaire chez les Oghouzes. Ces tribus sont considérées comme les ancêtres des Turcs occidentaux modernes.

    « Ce sont des nomades, originaires des régions proches du lac Baïkal [ndlr, sud de la Sibérie]. Ils se nourrissaient principalement de viande et de laitages. Même si on n’a pas de traces précises, on peut supposer que le mode de cuisson était déjà là. »

    Au Moyen-Âge déjà, on utilisait une tranche de pain en guise d’assiette

    Mais vouloir à tout prix localiser et dater cette technique de préparation de la viande n’a pas vraiment de sens, explique le chercheur :

    « Il y a de fortes chances que ce principe de cuisson soit né à quelques temps d’intervalle, en plusieurs endroits. »

    D’autant qu’on retrouve des techniques de préparation similaires dans presque tout le monde méditerranéen sous des noms différents : le gyros en Grèce, le chawarma au Maghreb… Côté grec, par exemple, on s’attribue la paternité, notamment en s’appuyant sur… Homère. Puisque dans l’Iliade déjà, il est fait référence à une cuisson de ce type


    Vous l’aurez compris, trancher le vieux débat sur l’origine grecque ou turque du kebab n’a pas plus de sens, comme nous l’explique le géographe spécialiste de l’alimentation :

    « Ces deux pays appartiennent à la même aire culinaire. Ils adorent se prendre la tête sur la paternité des recettes de cuisine. Il y a le même débat autour du yaourt ou des baklavas… »

    Des débats sans fins qui nourrissent la rivalité entre les deux pays (notamment à propos de l’île de Chypre). De plus, être le pays inventeur d’une recette donne un avantage marketing et touristique.

    Le « découvreur » du kebab est il Européen ?

    Pour que la légende qui entoure un plat soit complète, il faut un « découvreur » : ainsi Marco Polo aurait rapporté de son voyage en Chine (1295) un classique de la cuisine italienne, les pâtes. Pourtant dans son ouvrage « Il Milione », il déclare à propos des lasagnes faites en Chine qu’elles sont « bonnes, autant que celles que j’ai mangées tant de fois en Italie », insinuant que les pâtes existaient déjà en Italie avant son voyage. Qu’importe, la légende est restée.


    « Tous les enfants aiment les döner »

    Le kebab a aussi son « découvreur » et il serait Français ! Au 15e siècle, le duc de Bourgogne Philippe le Bon envisage de se faire une petite croisade. Histoire de se rencarder, il envoie son « premier écuyer tranchant », Bertrandon de la Broquière. Un périple qui dure plus d’un an. Si l’aller se fait en bateau depuis l’Italie, il décide de rentrer par les terres (un périple jugé dangereux à l’époque, et donc très rare). Dans son récit, intitulé « Le voyage d’outre mer » (p 130), il raconte qu’au cours de son voyage « me firent les Turcs mengier char rostie, qui n’est trop point cuitte à moittié à beaucop, et la trenchions en rostissant en la broche. »

    S’il est loin d’être certain qu’il fut le « découvreur » du kebab, puisqu’il existe déjà à cette époque des échanges commerciaux avec la Turquie, on a au moins la certitude qu’un Français a goûté à ce met dès le 15e siècle. Et l’histoire est suffisamment pittoresque pour que Wikipedia décide de la retenir.

    D’où vient le mot « kebab » ? Pas d’Europe !

    Une autre façon de partir en quête des origines du « kebab », consiste à tenter de déterminer l’étymologie du mot. Selon le linguiste turc Sevan Nisanyan, le terme serait probablement tiré de l’arabe « kabab » qui signifie « grillé ». Il souligne toutefois qu’en akkadien (langue sémitique éteinte, parlée jusqu’au 8e siècle avant JC en Mésopotamie), on trouve le mot « kababu » qui porte le même sens.

    On trouve ensuite le mot « kababa », en araméen dans le Talmud de Babylone (15 siècle). On retrouve aujourd’hui ce mot ou des dérivés proches, en arabe et turc donc, mais aussi en persan ou en hébreu.

    Le champion du monde de kebab est-il Européen ? Non !

    Il n’existe pas, à proprement parler, de championnat du monde du kebab sur le mode Master Cher. Par contre, il y a un record du monde, validé par le Guinness Book. Le plus gros Kebab du monde, établi le 12 juin 2012 à Ankara en Turquie, pèse… 1198 kg ! La broche de 2,50m était suspendue à une grue. Pour la confectionner, pas moins de sept vaches ! Le précédent record était détenu par Dubaï, avec un Kebab de 468 kg.


    Vidéo – Un kebab d’1,2 tonne, ça donne ça !

    Quel pays compte le plus de vendeurs de kebab ?

    Sans grande surprise, c’est l’Allemagne qui truste la première place de ce classement, avec près de 15.000 établissement en 2011, selon l’agence Gira Conseil, spécialisée dans la restauration rapide. En seconde place on trouve… la France (il n’existe pas de données fiables sur la Turquie). 10.118 restaurants sont recensés dans l’Hexagone, pour un total de plus de 1,2 milliards d’euros de chiffre d’affaire. Les Français sont donc de très gros consommateurs de kebab : au total, 280 millions pour cette même année. Comme l’explique Lorène Avedikian, du cabinet Gira Conseil :

    crn. « Le marché est surtout dominé par des acteurs indépendants [plus de 90%], mais depuis quelques années on voit apparaître des réseaux de chaînes, notamment Nabab Kebab et O’Kebab. L’exemple de Nabab Kebab montre bien comment il est possible d’adapter ce produit aux goûts des Français, aussi bien au niveau du goût que des décors… »

    Finalement ne devrait-on pas plutôt parler de Globab ou Global-Kebab ?

    « Aujourd’hui le kebab est un produit mondialisé », explique le géographe Pierre Raffard. « Il s’est implanté en suivant les migrations de la diaspora turque, mais pas seulement. On trouve des restaurants aux États-Unis où il n’y a pas une très grande communauté, en tout cas, pas issue des couches populaires. »

    Si la mode du Döner Kebab s’exporte si bien c’est aussi parce que « la recette du Döner Kebab s’adapte aux goûts culinaires des différents pays. Comme le burger ou la pizza. Il n’y a pas vraiment d’uniformisation de la culture culinaire, comme certains voudraient nous le faire croire, ajoute le spécialiste. Ainsi en Chine on trouve des Döner Kebab au porc ».

    Peut-être en raison de la distance, la recette peut parfois prendre des formes bien éloignées de la recette qu’on connaît aux coins de nos rues. Duncan, jeune ricain de 25 ans, se souvient que dans sa jeunesse sa mère lui confectionnait des kebabs maisons… à base de cubes d’ananas ! Une recette qui semble plus proche donc du tacos al pastor, un des plates les plus populaires au Mexique. Lui aussi est un descendant du saint kebab, importé par la diaspora libanaise.

    Pour l’anecdote, même la recette du kebab vendu en Turquie s’est adaptée : progressivement depuis les années 1980, les Turcs ont adopté dans leur alimentation le pain au levain venu d’Europe. Si à l’origine le Kebab était servi dans des galettes (dürüm), aujourd’hui on le trouve de plus en plus présenté à la mode européenne dans du pain. D’autant plus que cela permet de « mettre moins de viande et de faire des économies », précise Pierre Raffard.


    font color=grey>Un taco al pastor, por favor

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