En ce moment

    28/11/2017

    Air France fait de la résistance

    L’Etat privatise une partie des expulsions de sans-papiers

    Par Tomas Statius

    La police délègue certaines reconduites d’étrangers en situation irrégulière à des sociétés privées. Des escortes payées par les compagnies aériennes qui, par ailleurs, si elles refusent d’embarquer un sans-papiers doivent s’acquitter d’une lourde amende.

    La France est en train de privatiser, pour partie, l’expulsion de sans-papiers. Selon des informations de StreetPress, la police demande désormais aux compagnies aériennes de faire appel à des sociétés de sécurité privées pour encadrer certaines reconduites à la frontière.

    « Un nouveau texte de loi indique que les compagnies aériennes doivent prendre “tous les moyens” pour réacheminer les INAD [étrangers non-admis sur le territoire français et interpellés à leur descente de l’avion]. La police interprète ce texte par l’embauche d’escortes privées en cas de besoin », explique la direction centrale de la sécurité aérienne d’Air France, dans une note interne de juin 2017 que StreetPress a pu se procurer.

    Les expulsions privées : mode d’emploi

    Jusqu’au début de l’année 2017, l’histoire était simple. Les expulsions dites « sensibles », c’est-à-dire contestées par le sans-papiers, étaient encadrées par des fonctionnaires de police. Ces derniers faisaient embarquer le sans-pap’ dans l’avion, puis l’accompagnaient jusqu’à sa destination finale.

    Ça, c’était jusqu’à la loi immigration du 7 mars 2016. Dans ce texte, voté lors de la précédente mandature, il est précisé qu’il revient désormais aux compagnies aériennes d’utiliser « tous les moyens » nécessaires pour expulser des sans-papiers dans un cas très précis : celui où ces derniers sont arrêtés dès leur descente de l’avion. En termes juridiques, on appelle ça un « réacheminement ».

    « Dans ce cas là, il n’y a plus d’escortes de police », explique un fonctionnaire de la PAF. À la place, la police demande désormais aux compagnies aériennes d’investir dans un dispositif de sécurité privée. Avec un cahier des charges plutôt précis. « Une passerelle à l’arrière de l’appareil pour faire monter les sans-papiers », détaille ce même fonctionnaire :

    « Et deux escorteurs »

    Contacté, le service presse de la direction générale de la police nationale nie être à l’origine de la mise en place de ces escortes privées . « Le procédé a été demandé à Air France », confirme pourtant le service presse de l’entreprise qui pour l’instant refuse de le mettre en application. Certains transporteurs se montrent moins récalcitrants complète Frédéric Pillot de l’UNSA. « Des compagnies de l’Est ou Turkish Airlines » (1) ont accepté de jouer le jeu, précise le syndicaliste qui voit ce nouveau dispositif d’un bon oeil. Ce que confirment à StreetPress deux fonctionnaires de la police aux frontières.

    Air France ne s’en laisse pas compter

    Au sein d’Air France, la demande a fait l’effet d’une petite bombe. « La violence légitime est le monopole de l’Etat. Seul un service de l’Etat peut contraindre un passager à rester dans l’avion », tonne la direction de la sûreté de la compagnie dans ce même mémo de juin 2017. « Air France est une société de transport, ce n’est pas une société de sécurité. La coercition est une mesure régalienne », renchérit le service presse de la compagnie aérienne.

    Preuve de la tension entre le transporteur et l’Etat : des places réservées pour le renvoi de sans-papiers sur des avions de ligne ont finalement été revendues à des passagers par la compagnie aérienne, indique une source policière à StreetPress. « Air France est assez frileux sur ce dispositif », regrette Frédéric Pillot du syndicat Unsa Police.

    30.000 euros d’amende

    Pour faire pression sur les compagnies aériennes, la police dispose d’un argument de poids. La loi du 7 mars 2016 prévoit une amende pouvant aller jusqu’à 30.000 euros pour les transporteurs qui refusent d’embarquer un sans-papiers. La plupart du temps, ce sont des raisons de sécurité qui sont invoquées par les commandants de bord. De nombreux expulsés contestent leur renvoi de manière virulente. Et en l’absence de policiers, impossible de faire revenir le calme dans l’appareil. « Avec une telle amende, un vol régulier n’est plus rentable », explique un commandant de bord. Seule solution pour les compagnies aériennes : embaucher des agents de sécurité privés.

    Depuis la publication, le 17 janvier 2017, d’une circulaire d’application, les amendes pleuvent. « On en remplit plusieurs par jours », confirme une source policière. De quoi remplir les caisses de l’administration fiscale qui a déjà encaissé entre 7 et 8 millions d’euros, selon la direction générale des étrangers en France (DGEF) contactée par StreetPress.

    « L’Etat fait peser le coût de ces expulsions sur les compagnies aériennes », peste un fonctionnaire de la police aux frontière qui préfère garder l’anonymat. Hasard du calendrier ? Le projet de loi de finances 2018 dévoilé le 16 novembre 2017 prévoit une baisse de 9% des crédits alloués à l’expulsion des sans-papiers. Alors même que le Ministère de l’intérieur a indiqué vouloir accélérer le rythme de ces reconduites à la frontière.

    Air France conteste

    Selon des informations de StreetPress, Air France a décidé d’attaquer la légalité de ces amendes devant le tribunal administratif. Selon la première compagnie française, celles-ci iraient à l’encontre du code de l’aviation civile, qui prévoit que seul le commandant de bord est à même de décider s’il doit embarquer (ou non) un passager. Plusieurs procédures sont en cours, indique le service presse de la compagnie :

    « On a posé un recours à chaque fois qu’on a reçu cette amende. »

    (1) – Contacté par StreetPress, le service communication de la compagnie turque n’a pas donné suite à nos demandes d’interview.

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
    Soutenez StreetPress, faites un don à partir de 1 euro 💪🙏

    Je soutiens StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER