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    03/07/2012

    2005-2012 : Il devait révolutionner le journalisme-citoyen, il est devenu la caisse de résonance des conspirationnistes

    Agoravox : Vie et mort d'un site de journalisme-citoyen à la française

    Par Robin D'Angelo

    Agoravox n'est pas encore mort mais s'est transformé en hub des théories conspirationnistes. Une dérive rouge-brun qui s'explique par un manque de sous mais aussi par une philosophie du web 2.0 très utopique. 

    « Moi j’ai créé ça en 2005, c’est trop loin. Allez merci beaucoup et au revoir. Biiiiiiiiip » Aie ! Joint par StreetPress, le biologiste et essayiste Joel De Rosnay nous raccroche littéralement à la figure lorsqu’on lui demande ce qu’il pense du site d’information Agoravox, son « bébé » qu’il a lancé en 2005. L’embarras pointe chez le co-fondateur d’Agoravox, « le premier site de journalisme-citoyen. » Valorisé à plus de 10 millions d’euros en 2007, Agoravox c’était pourtant la grosse hype du web-journalisme au milieu des années 2000 qui devait amorcer l’émergence d’un « 5e pouvoir » : celui des bloggeurs-citoyens. Mais en 2012, le site d’info participatif est devenu le principal hub hexagonal des théories conspirationnistes.

    Conspivox A la une d’Agoravox jeudi 21 juin, jour de la fête de la musique, cette tribune  qui prend la défense du négationniste feu Roger Garaudy et dans laquelle l’auteur qui signe sous le pseudo Teddy Bear qualifie de « tentative » le génocide des juifs pendant la seconde guerre mondiale :

    « On peut comprendre l’attachement que l’on peut accorder à cette sombre période en la sacralisant, quitte à gonfler quelques chiffres, au risque qu’ils soient contestés. »

    Jeudi 28 juin vous pouviez vous délecter d’un « reportage sur la conférence dissidente VIH/SIDA »  où le VIH est qualifié de « virus tout à fait hypothétique »:

    « Le sida est uniquement une construction médicale regroupant un certain nombre de maladies connues dans un “package” vendu au public et utilisé pour le contrôle par la peur. »

    Plus kawai, un article du 20 juin  intitulé « Les Ovnis : un phénomène mal traité » où l’auteur assure que « des psychiatres de renommée internationale » cautionnent les témoignages sur « les apparitions d’Etres à l’allure non-humaine, la paralysie des témoins, la télépathie (…) la téléportation, l’apparition d’hommes en noir. » 
     

    Revelli: « Est-ce qu’il faut que le journalisme soit encadré, un peu encadré, pas du tout encadré ? »


    Wanted !

    Libertarien « Une dérive conspirationniste ? Mais ça, c’est votre avis ! » Joint par StreetPress, Carlo Revelli, co-fondateur et toujours boss d’Agoravox, réagit au quart de tour à l’évocation des articles über-touchy publiés sur son site. Revelli répète à l’envie ce qui fait selon lui la philosophie d’Agoravox :

    « Est-ce qu’il faut que le journalisme soit encadré, un peu encadré, pas du tout encadré ? Le débat il est là. Moi personnellement je pense qu’il faut que ce soit le moins encadré possible. »

    Et d’expliquer pourquoi tous ces papiers ont leur place sur Agoravox :

    « Des articles – peut-être conspirationnistes pour vous – sont très bien documentés sur le 11 septembre. Le problème c’est que ce sont des sujets pas bien traités dans les médias traditionnels. »

    Agoravox VS Réseau Voltaire : Le match

    Utopie 2.0 Agoravox, c’est une philosophie – celle de son co-cofondateur Joel de Rosnay , 75 ans, auteur de l’essai la Révolte du pronétariat (Fayard, 17,39€, 2006). Avant Twitter, les #Indignados  ou Wikileaks, le chercheur spécialisé dans la prospective prophétisait une « e-révolution (…) entre les grands pouvoirs politiques et industriels et la société civile. » Son corolaire dans les médias :

    « Une lutte des classes entre les ‘‘infocapitalistes’‘ détenteurs des contenus et des réseaux de distribution et les ‘‘proNétaires’‘, nouveaux producteurs et acheteurs de biens produits par eux-mêmes en ligne sur les réseaux. »

    Agoravox devait devenir un de ces « media des masses » – « les seuls médias véritablement démocratiques » - grâce à sa politique éditoriale : sur le site tout le monde peut devenir rédacteur, et la modération des pages est laissée à la discrétion des contributeurs. Le tout garanti 100% sans journaliste.

    Fleuron Au milieu des années 2000, Agoravox est au top de la pop : le site tourne autour de 40.000 visiteurs uniques par jour. Tandis que son fondateur Carlo Revelli assure dans une interview à Ecrans  « qu’Agoravox a été valorisé, au moment de la présidentielle [ 2007 ] entre 10 et 15 millions d’euros. » Un fleuron qu’on vous dit.

    Médiatiquement la machine s’emballe: Ici  Canal Plus qui s’interroge sur « la fin des journalistes ».   Libération qui s’enthousiasme pour un « 5e pouvoir émergent ». Ou encore ci-dessous, une vidéo du journaliste d’investigation Denis Robert qui s’enflamme pour Agoravox.

    Joint par StreetPress, le journaliste, bloggeur et réalisateur de webdocs Tristan Mendès France se souvient de la « grosse période Agoravox » entre 2006 et 2008 :

    « Tous les bloggeurs qui avaient la cote étaient obligés d’y aller. Ça multipliait nos vues. On se servait du page rank d’Agoravox pour notre référencement. Généralement on repostait les articles de nos blogs. »

    Agoravox attrape dans ses filets Jean-Michel Apathie, Corinne Lepage ou encore Nicolas Dupont-Aignan.

    Mendès France: « Tous les bloggeurs qui avaient la cote étaient obligés d’y aller. Ça multipliait nos vues. »

    Fail 4 ans après, le constat est amer : « On est typiquement dans la bonne idée de départ qui tourne mal » convient Guy Birenbaum, 16 articles sur Agoravox et animateur du journal du Net sur Europe 1 qui regrette qu’il faille « se fader 3 papiers complotistes, un négationniste et des diffamations pour trouver une perle rare. » Que s’est-il passé ?

    1 La fondation Agoravox n’a pas marché

    En juin 2008, Carlo Revelli déclarait à Ecrans : « Notre voie est le mécénat de l’information, à l’image de ProPublica à New York. » Mais 4 ans après, « la fondation Agoravox » qui devait emmagasiner les dons pour financer le site n’est « alimentée que des petites sommes des lecteurs du site », concède le co-fondateur à StreetPress.

    En 4 ans, seulement 5 enquêtes participatives ont vu le jour (la dernière date de 2010). Le site est toujours financé « en grande majorité » par les revenus pub tandis que Cybion, la boite de consulting de Revelli, ne met plus d’argent dans Agoravox. Quant au nombre de salariés, le franco-italien se montre évasif, évoquant des « temps pleins », « très flexibles », sans donner de nombre précis. Pendant qu’en Asie le site sud-coréen de citizen journalisme OhMyNews  qui a inspiré Agoravox employait une cinquantaine de journalistes, le site français n’a jamais dépassé 5 salariés à temps plein tous métiers confondus (community managers, éditeurs, développeurs).

    Un manque de moyens qui a laissé les pleins-pouvoirs aux bloggeurs. Sur Agoravox, ce sont les rédacteurs qui ont posté au moins 4 articles qui décident par vote de la publication d’un article – il doit obtenir un certain nombre de voix pour être mis en ligne. La micro-équipe d’Agoravox se contente de vérifier que les papiers n’enfreignent pas la loi. Un système qui fait dire ici à Joël de Rosnay que « le site fonctionne tout seul. » D’autres diraient en roue-libre.

    2 Le modèle du semi-participatif s’est imposé

    Guy Birenbaum se souvient d’un tournant autour de l’année 2008 : « Les vrais sites puissants participatifs ont assassiné ce genre de site. Avec des bloggeurs qui se sentaient mieux sur ce type de plateformes. » Et de citer feu Le Post – stoppé en 2011 – pour qui il avait arrêté de poster sur Agoravox.

    Aujourd’hui, d’autres sites d’info semi-participatifs ont pris le relai du Post comme Le Plus  ou le Huffington Post qui reposent sur des contributions de bloggeurs, dont les textes sont sélectionnés et édités par des équipes de journalistes.
    D’autres comme Le Lab d’Europe 1 invitent les internautes à partager des sources qui seront vérifiés pour faire un article. Sans parler de Twitter.

    Un article révisionniste se cache sur cette page

    3 Un exode de bloggeurs

    Le bloggeur Tristan Mendès France se rappelle très bien pourquoi il a souhaité supprimer son compte sur Agoravox, vers 2008 :

    « Dans les commentaires ils avaient divulgué des infos personnelles, des photos de ma famille. Il y avait des menaces. »

    Toujours très remonté contre le site, il explique que « tous les bloggeurs se sont barrés parce qu’ils en avaient marre de se faire pourrir. » Un constat que partage Carlo Revelli qui fait son mea-culpa :

    « C’était peut-être une erreur de mettre tout le monde au même niveau. Il aura peut-être fallu mettre les bloggeurs stars dans un endroit séparé. »

    En 2012, plus aucun « bloggeur-star » n’est là pour faire la promo de site. Joint par StreetPress, Christophe Grébert  de MonPuteaux.com, pourtant invité vedette des « première rencontres du 5e pouvoir » , une conférence organisée par Agoravox en 2007, refuse de parler du site.

    François Asselineau: « J’ai dû publier une quarantaine d’articles et de mémoire, un seul a été refusé »

    4 Les conspis ont phagocyté le site

    Les bloggeurs les plus conspirationnistes s’incrustent sur le site. Grâce au système d’administration et de modération des articles, ils deviennent incontournables sur Agoravox et font publier tous leurs textes.

    « C’est un des rares medium qui nous donne la parole sans restriction. J’ai dû publier une quarantaine d’articles et de mémoire, un seul a été refusé. Et parce que je traitais d’un sujet qui avait déjà été traité la veille », s’enthousiasme, joint par StreetPress, François Asselineau, 54 articles publiés et 97 modérés. A la tête du groupuscule Union Populaire Républicain  qui voit la main de l’impérialisme yankee partout (à StreetPress, il explique que le FBI via l’institut Harris Interactive gonfle les scores de Marine Le Pen dans les sondages), il estime à « 15% ou 20% » le nombre des adhérents de son parti qui l’ont connu grâce à Agoravox.

    Le bloggeur-journaliste Tristan Mendès France – par ailleurs spécialiste de la complosphère – qualifie Agoravox « d’annexe des rouges-bruns » :

    « Il suffit d’aller sur les forums de ReOpen 911 pour voir qu’il y a des passerelles - ils se demandent les uns les autres de reprendre des papiers, de poster pour devenir modérateurs. Ces types sont psychos, ils se créent plusieurs comptes, et ils postent, postent et repostent. Je pense à un mec comme Allain Jules, proche de Kemi Séba et Dieudonné, qu’on soupçonne de commenter ses propres articles avec différents pseudos. »

    Number 1 Carlo Revelli estime que « l’âge d’or du site n’est pas passé. » Il livre son analyse des « attaques » qui visent Agoravox :

    « Pourquoi il y a eu des papiers négatifs sur Agoravox ? Parce que dans le passé il y a eu des rédacteurs qui critiquaient tel ou tel journaliste à tort ou a raison. »

    Le co-fondateur n’annonce pas de remise en question du modèle du site pensé d’après l’utopie de Joël de Rosnay. Il se satisfait du trafic qui continue selon lui « à augmenter » – environ 600.000 visiteurs par mois d’après l’index Alexa. Ce qui le place devant le Réseau Voltaire, l’organe de presse de Thierry Meyssan.

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