07/12/2015

Histoires de baise sans capote

Erik Rémès : amour, littérature et fist fucking

Par Matthieu Bidan

Erik Rémès publie 21e SEX, un roman qui mêle cul et idées. L’écrivain est un habitué des controverses pour ses récits de sexe sans capote. Lui jure faire de la prévention… à sa manière.

Emission Paris Dernière, 1999 – Dans la chaleur sèche d’un sauna gay, on distingue des dizaines de paires de fesses recouvertes de mousse. Puis un homme seul sous la douche, complètement nu. La vie en rose fait office de bande son. « J’aime bien les saunas, tout le monde est à poil, c’est convivial », lance Erik Rémès tout en se rinçant.

StreetPress le retrouve dans un café de Daumesnil. L’ancien journaliste, remarqué pour ses livres trash sur le sexe et la communauté gay se souvient de la séquence :

« Mon pari c’était de montrer mon cul pour ma première télé. J’ai réussi. »

Un léger sourire traverse son visage rond et barbu. A la rentrée, il a sorti 21e SEX, une autofiction trash. « Les trucs gentillets à la 50 shades of grey, ça ne m’intéresse pas », tranche t-il.

Journal d’un barebacker

Clip Erik Rémès dans l’émission Paris Dernière

Au début des années 2000, Erik Rémès a fait plusieurs apparitions télés dans les shows de Taddeï et Ardisson. Chacun de ses passages provoque invectives violentes et mines ébahies des autres invités. Il faut dire que les bouquins du grand bonhomme en doudoune bleue North Face ne font pas dans la dentelle. Dans son livre « Serial Fucker, journal d’un barebacker », il évoque le bareback : la baise sans capote, même pour les séropositifs, et ce quitte à transmettre le VIH au partenaire. Extrait :

« Pour plomber [=contaminer] quelqu’un, c’est également très simple. Il suffit d’un peu de doigté (…). On retire discrètement la capote pendant la baise. On fait semblant de la mettre. Des plombeurs crèvent préalablement les capotes avec une aiguille, etc. »

10 ans plus tard, Rémès ne regrette rien. Cavalier, il se définit même comme un « lanceur d’alerte », comme si ses conseils pour plomber un partenaire faisaient office de prévention :

« C’est clair qu’avec mes prises de position, je suis tricard. Pour moi, l’éthique du respect de l’autre est foutue. Donc forcément on fait peur aux gens. Ca remet en cause toute la morale établie. »

De quoi mettre en colère les assoc’ de lutte contre le Sida. Face à Erik Rémès, sur le plateau d’Ardisson, le journaliste et militant Didier Lestrade dénonce un double discours dangereux.

De Montpellier aux backrooms du Marais

Le romancier de 51 ans a passé son enfance sur le départ. Fils d’un commissaire des Renseignements Généraux, il est baladé de la Guadeloupe au Tchad en passant par le Niger. C’est à Montpellier, dans des lieux de drague gays, qu’il fait ses premières expériences sexuelles. Très jeune, à 13 ans, il se dit attiré par des adultes. Eux sont surpris de voir un ado trainé dans ces coins sombres. « Ça leur passait vite » se rappelle Rémès qui décrit des expériences « un peu dans la douleur, dans la souffrance ».

A cet âge, il est aussi sorti avec des filles « pour être normal ». En faisant de longues pauses entre ses phrases, il rembobine la bande de cette époque, les réactions violentes de sa mère :

« Ça ne se passait pas très bien avec elle. Il y avait des insultes, des crises, des gifles. Moi je m’enfermais dans ma chambre. Je prenais un rôle de rebelle. »

Une maîtrise de philo et de psycho plus tard, Erik Rémès débarque à Paris à 25 piges. Il veut « vivre sa sexualité au grand jour ».

Tatouage, piercing et sidas

L’émission Paris Dernière continue. Erik Rémès est passé à l’étage fitness. Une serviette bleue entoure sa taille. Taddei balance : « J’ai l’impression que la trajectoire du gay dans les années 90, c’est tatouage, piercing … et sida pour les plus malchanceux ». Un brin caricatural ? « Ce n’est pas moi qui suis caricatural, c’est la vie », rétorque Erik Rèmès sans broncher. L’écrivain est séropositif depuis 28 ans. Il dit que ça ne le touche pas vraiment dans son quotidien. Il prend un cachet par jour : une trithérapie. Il doit aussi se soumettre à 2 contrôles médicaux par an. A l’écouter, c’est presque une fatalité :

« La sexualité est lié aux maladies vénériennes. La sexualité c’est la mort. Tu ne vas pas dire à une jeune de 20 ans “tu es irresponsable parce que tu ne mets pas de capote”. On ne peut pas faire l’amour correctement avec une capote, c’est une supercherie ! »

Love story

Dans son dernier roman, 21e SEX, l’auteur raconte une histoire d’amour hyper sexuelle, entrecoupée de passages qui se rapprochent plus de l’essai que de la fiction. Un bouquin qu’il classe lui-même dans la littérature « fist fucking » :

« C’est un peu comme un fil Facebook, il y a tous les registres. C’est ce qui plaît aux gens aujourd’hui »

« Avec Internet, tu peux avoir 10 grammes pour 10 euros. » / Crédits : Matthieu Bidan

Le fist, les backrooms, la drogue, tout y passe dans un flot soutenu de baise hardcore et d’interrogation sur le couple. Parmi les sujets égrenés, une scène avec un slameur, ces gays qui s’injectent en intraveineuse des produits destinés à booster leur performance sexuelle. Il écrit :

« Les slameurs sont parfois enfermés dans leur tête (…) les voir faire n’est pas toujours des plus excitant : ils tentent tant bien que mal de trouver une veine pour se piquer, s’y reprennent à plusieurs reprises, ont les bras défoncés. Parfois ça pisse le sang, les aiguilles se tordent… Glamour. »

Dans son style, Rémès décrit la contamination de la sphère sexuelle par la drogue.

« Dans les années 90, c’était l’ecstasy pour le clubbing. Aujourd’hui, il y a un rapport entre la sexualité extrême comme le fist et la prise de drogue, ça devient plus facile. Et avec Internet, tu peux avoir 10 grammes pour 10 euros. »

« Il faut assumer ses paradoxes »

Sur certains termes, l’écrivain qui doit frôler le mètre 90, a tendance à baisser la voix, sans doute conscient qu’ils pourraient choquer nos voisins de terrasse. Rémès évoque aussi le mariage pour tous dans son bouquin. Lui s’est marié il y a deux ans, dès que la loi est passée. Pourtant, il n’était pas favorable à cette réforme.

« Au niveau politique, j’étais contre à cause de l’embourgeoisement des PD. »

Il répète souvent « PD » pour parler des homosexuels. « Je reprend l’insulte à mon compte pour en faire une force », éclaire t-il. A tel point qu’il se présente souvent en hétérophobe convaincu dans ses interviews. Cette fois, surprise, il tombe le masque.

« C’est une posture que je prends. L’hétérophobie, c’est une bêtise. »

Pas à un paradoxe près. Mais il n’en à pas grand-chose à faire. « Il faut tous qu’on assume nos paradoxes », dit-il pour se dédouaner. S’il est une chose sur laquelle il ne tergiverse pas, c’est le sexe. « Ca occupe une place phénoménale dans ma vie », admet-il. A tel point que la psy qui le suit a instauré un petit jeu avec lui :

« Pendant une séance, elle m’a dit : ‘on va faire un ni oui ni non, mais avec le sexe’. Je n’ai plus le droit d’évoquer la question avec elle. Il faut croire que j’en parlais beaucoup. »