11/01/2010

Pourquoi les narcos sont les vaches à lait des banquiers et des politiques

La vraie-fausse puissance des cartels de la drogue mexicains

Par Robin D'Angelo

Jean Rivelois est le spécialiste français des cartels mexicains. Et quand on lui demande si les narcos ont pris le pouvoir au Mexique : il nous envoie bouler. «Ça c'est bon pour Hollywood».

Novembre 2009 : Forbes publie son classement annuel des 100 personnes les plus puissantes dans le monde. Stupeur dans l’opinion publique, le chef de cartel mexicain, Joaquin Guzman dit « El Chapo » (Le Petit), arrive en 41ème position. Devant Nicolas Sarkozy et le président du Mexique, Felipe Calderon. Foutaises pour Jean Rivelois: « Il faut lire un bon roman policier plutôt que les classements de Forbes ».

D’après l’auteur de Drogue et Pouvoir: du Mexique au Paradis, les narco-trafiquants sont des « victimes du système » qui se trouvent en bas de la pyramide. Derrière les banquiers et les politiques. Jean Rivelois est professeur à l’Institut des Hautes Études d’Amérique Latine (IHEAL). Il revient sur l’exemple mexicain et les mythes qui entourent ses narco-trafiquants.

Vidéo Jean Rivelois sur la vraie-fausse puissance des cartels mexicains

1 Les cartels pèsent moins de 2 de l’économie mexicaine%

Premier mythe : la puissance économique des narco-trafiquants. Au Mexique, la drogue serait en chiffre d’affaire le deuxième secteur économique, après le pétrole. C’est la revue Challenges qui le dit dans un article daté de mars 2009. « Il ne faut jamais dire des choses pareilles ! Vous stigmatisez, tout un pays, toute une économie, ce qui n’est pas du tout le cas », répond Jean Rivelois.

Le magazine économique reprend aussi un chercheur de l’Université Autonome de Mexico (UAM), qui affirme que « le narco est partout», depuis le BTP jusqu’aux « pharmacies ». On parle de 80% des secteurs de l’économie mexicaine infiltrés par l’argent sale.

Le spécialiste français commence à s’énerver, « Mais non ! Au Mexique la majorité des secteurs économiques ne dépendent pas de l’économie de la drogue ! On considère souvent que la drogue représente entre 10% et 2% de l’économie mondiale. C’est beaucoup plus proche des 2% que des 10%. Et c’est sans doute inférieur à 2%, même dans le cas du Mexique ! »

« On laisse au narco de quoi payer ses prostituées mais ça ne représente rien à coté de l’argent total qu’il génère »

2 Les cartels ont un pouvoir local

Alors il n’y a presque pas de drogue au Mexique ? Et les narco-trafiquants ne sont en fait que de vulgaires petits dealers ? Évidement non, mais parler de « narco-état » est complétement hors-sujet. « Une étude globale ne sert à rien. Il faut voir comment cela se passe à niveau local. Et là au niveau local, vous avez des villages qui peuvent être totalement dépendants de l’économie de la drogue.»

Parmi ces villages, il faut distinguer les régions productrices des régions de transit. « Les régions productrices, ce sont les villages ruraux indigènes où la culture de la Marijuana s’est substituée à toute autre production de richesse ». Pour les régions de transit, « ce sont les espaces frontaliers des USA, et les ports des côtes pacifique et caraïbe ».

Mais Jean Rivelois insiste : «cette activité liée à la drogue est une activité marginale. C’est de l’argent en plus de l’économie traditionnelle. Cela bénéficie à des territoires marginaux qui ne sont pas intégrés à la Nation ».

MAP La géographie des Cartels

3 Les narcos vassalisés par les banquiers

Cet argent bénéficie aussi aux banquiers et aux grands entrepreneurs : « un narco est obligé de s’en remettre à des alliés : Des banquiers qui vont lui prendre des commissions sur ses bénéfices. Ou des entrepreneurs qui vont mêler son argent sale à leur projet. On lui laisse de quoi payer ses prostituées mais ça ne représente rien à coté de l’argent total qu’il génère. »

Mises en cause : les capacités intellectuelles et techniques des barons de la drogue pour blanchir l’argent: « Quand l’armée descend dans un village l’économie s’arrête du jour au lendemain. Parce que les narcos n’investissent pas dans le productif. Ils n’essaient pas de construire des usines mais ils dépensent en biens ostentatoires type grosses voitures ou maisons avec des colonnes grecques! ».

Jean Rivelois va encore plus loin, pour lui « Le narco est souvent une victime du système. On l’extorque et on lui prend une partie de son bénéfice. On le laisse exercer jusqu’au prochain renversement d’alliance. Alors on ira l’exécuter ou l’emprisonner. C’est toujours lui qui va prendre.» Comme Beltran Leyva, chef du cartel del Golfo, tué par la police mexicaine en décembre dernier .

Joaquin « El Chapo » Guzman: Chef du Cartel de Sinaloa (cote pacifique). Le 41ème homme plus puissant du monde selon le magazine Forbes
Arturo Beltran Leyva: Ancien chef du Cartel de Sinaloa. Rival de Joaquin Guzman. Tué par la marine mexicaine en décembre dernier.
Vicente Carillo Fuentes: Chef du Cartel de Tijuana.
Osiel Cardenas Guillen: Chef du Cartel del Golfo. Rival du Cartel de Sinaloa. Dirige le cartel depuis sa prison.
Heriberto Lazcano Lazcano: Chef du groupe paramilitaire Los Zetas, groupe armé du Cartel du Golfe.

4 “Auparavant c’était les politiques qui contrôlaient le système”

Extorquer le narco : ce n’est pas nouveau au Mexique. « Auparavant c’était les politiques qui contrôlaient le système, ceux qu’on appelle les grands caciques. Maintenant les grand caciques ce sont les grands entrepreneurs et les banquiers ».

Le point de basculement, c’est l’année 2000, quand le pays se démocratise. Le PRI, parti au pouvoir depuis 70 ans, perd les présidentielles. « Le PRI était un parti autoritaire qui contrôlait les différentes composantes de la société, donc le crime. Quand il était au pouvoir, tous les narco-trafiquants devaient se soumettre à une extorsion de la part de l’État. On parlait de blanchiment institutionnel. L’argent de la drogue bénéficiait aux hauts-fonctionnaires et servait à financer les politiques sociales ».

Les grandes affaires de blanchiment d’argent au Mexique


  • Juillet 2001: Raul de Gortari, frêre du président mexicain Carlos de Gortari (PRI), est inculpé par la justice Suisse pour blanchiment d’argent
  • Mai 2001 : Arrestation du Mario Villanueva (PRI), gouverneur de l’Etat de Quintana Roo (Cancun) de 1993 à 1999. Il est convaincu de blanchiment d’argent et purge une peine de 7 ans de prison
  • 1999: Roberto Hernandez, président de la banque Banamex (Citigroup) est accusé par le journaliste spécialiste de narco-trafic Al Giordano, de blanchir de l’argent et d’acheminer de la drogue vers les USA
  • 1998: L’opération Casablanca, menée par les douanes américaines, accuse American Express de participer au blanchiment de l’argent des cartels mexicains

Le PAN, au pouvoir depuis 2000, a rompu avec cette politique en refusant de négocier avec les cartels. Au détriment de la paix sociale. Les cartels se sont autonomisés : Les grands entrepreneurs et les banquiers ont pris la relève des politiques, pour blanchir l’argent de la drogue. «Dans le système PRI, les narcos ne pouvaient pas échapper à son contrôle. Maintenant nous sommes dans une période libérale. L’argent remonte vers le sommet de la pyramide. Et quand il arrive au sommet, il va dans les banques. La démocratisation libérale a permis la privatisation des institutions qui étaient en charge du contrôle du crime organisé»

Jean Rivelois préconise une solution radicale : interdire les paradis fiscaux « Il faut s’attaquer au nerf de la guerre, l’argent : donc les paradis fiscaux et les banquiers. C’est pour ça que la répression militaire d’aujourd’hui est inefficace ». En somme, s’attaquer au haut de la pyramide, pour détruire la base.

Jean Rivelois est professeur à l’Institut de Hautes Etudes de l’Amerique Latine. Il a publié en 1999 Drogue et Pouvoir: du Mexique au Paradis, chez l’Harmattan. Il participe régulièrement à des colloques sur le narcotrafic.