27/09/2016

Ce deux roues qu’il a popularisé sera même surnommé « Chiraclette »

Jacques Chirac et la politique de la motocrotte

Par Alexis Denous

En 1977, pour se faire élire à la mairie de Paris, Jacques Chirac axe sa campagne sur la propreté. Arrivé aux manettes, il fait repeindre les camions-poubelles en « vert-bambou » et dégaine son arme ultime… la motocrotte !

Pantin (93) – A la vue de deux énormes crottes posées devant son établissement, un restaurateur compose le numéro des services de propreté de la Mairie. Pour une personne née dans les années 90, le spectacle est risible : à quoi bon déranger les autorités, pour un acte aussi banal qu’un lâcher d’étron ?

Moins de quinze minutes plus tard, un agent de la ville débarque sur les lieux du crime au guidon d’un deux-roues. Ni une, ni deux, il dégaine un aspirateur rattaché à son engin et fait disparaître l’immondice qui gênait le commerçant. Bouches bées, les passants assistent aux bonnes œuvres d’une motocrotte, relique de l’ère Chirac.

Un petit morceau d'histoire de Paris / Crédits : CC

Chirac fait campagne sur le caca

Mise en service en 1982, la motocrotte ou « chiraclette », voit le jour dans un contexte particulier. À la fin des années 70, le traitement des déjections canines est un sujet sensible et essentiel pour la Ville de Paris. La crotte est même au cœur des élections municipales de 1977, les premières de l’histoire de la ville. Déjà, la Préfecture de la Seine (puis de Paris), en charge des questions municipales, en avait fait l’une de ses priorités. D’autant que l’entretien de la ville connaissait des dysfonctionnements sous les Trente glorieuses. L’élection du maire de Paris au suffrage universel n’a fait que renforcer l’attention que l’on portait à la propreté des rues et nombre de politiques y ont vu un terrain propice à leurs ambitions politiques. Canisettes, sacs plastiques, campagnes de sensibilisations… les idées fusent.

Au milieu de la mêlée, un jeune loup sort son épingle du jeu : Jacques Chirac. Le futur président lance sa campagne à la mairie de Paris en faisant de la propreté la pierre angulaire de son programme. À la manière d’une Margaret Thatcher avec son « There is no alternative », Chirac se pose en ultime recours et promet une capitale débarrassée des crottes de chiens. Une solution miracle que les guignols ne manqueront pas d’épingler dans un de leur sketch.

Le pari sera gagnant. Élu à 49.5% face à Henri Fiszbin (Protection pour Paris) et Michel d’Ornano (Union de Gauche), Jacques Chirac (RPR) réforme la gestion des déchets parisiens et entame une « bataille de la propreté », censée concrétiser ses promesses électorales. « Le terme fait écho au bilan d’une réforme lancée en 1979. Elle a pour objectif d’améliorer la propreté de la capitale par plusieurs décisions importantes comme la création d’une direction de la Propreté de Paris ou encore la revalorisation des éboueurs » explique Barbara Prost, docteure en histoire au Centre d’histoire sociale du XXème siècle à l’Université Paris 1. Comme l’historienne l’explique, la mairie souhaite « satisfaire les usagers-électeurs, dont l’avis est de plus en plus pris en compte ; à partir des années 1980, elle organise des sondages, systématisés sous le nom de “baromètre de la propreté.” »

Coup de projecteur sur la propreté

Avant d’être promue par Jacques Chirac, la gestion des déchets était couplée à un impératif de discrétion. Locaux en sous-sols, horaires, très, matinales, manipulation opaque des déchets… Cachez-moi cette crotte que je ne saurais voir et l’agent qui la ramasse. Le nouveau maire multiplie les opérations de nettoyage des rues, volontairement ostentatoires, avec de nombreux engins déployés en même temps. Un procédé encore utilisé aujourd’hui. La Mairie veut montrer qu’elle agit, explique l’historienne :

« Cela passe notamment par l’utilisation d’une couleur, le vert dit “bambou”, dans lequel sont repeints tous les outils, les engins ainsi que les uniformes des éboueurs. »

Un coup de projecteur d’autant plus nécessaire que la réputation du métier d’éboueur complique les recrutements en cette période de quasi plein-emploi (la barre symbolique des 5% de chômeurs est dépassée en 1979). L’État français est obligé de recourir à une main d’œuvre étrangère, qui ne peut alors bénéficier du statut de fonctionnaire : ils sont « saisonniers », gagne un « salaire de misère » et forment entre 70 et 75% des éboueurs dans les années 70. Une situation sociale explosive, qui entraînera de nombreuses manifestations, laissant Paris crouler sous les déchets. À partir des années 1980, le métier se professionnalise. La mairie n’emploie plus que des titulaires français ; ces derniers sont reconnus comme des ambassadeurs de la ville et les grèves se font plus rares.

La motocrotte, une création signée JC Decaux et Yamaha / Crédits : CC

La communication autour de l’action municipale est telle qu’elle donnera lieu à des interviews, très sérieuses, de Jacques Chirac, expliquant la manière dont il entend gérer les problématiques étrons. Enfoncé dans les somptueux canapés de la Mairie de Paris, ce dernier se positionne en faveur de la « tolérance » vis-à-vis de nos amis les bêtes et de leurs propriétaires. Pas de verbalisation mais la mise en place de dispositifs visant à « discipliner » les Parisiens. Il reconnaît par la suite le sérieux du problème de la « pollution canine » à Paris. Puis Jacques Chirac finit, comme à son habitude, par illustrer ses propos avec une mise en situation, ici de lui-même avec deux chiens.

On notera d’ailleurs cette phrase bien sentie qui résume bien l’importance de la crotte à l’époque.

« Les déjections canines sont de petits problèmes, extrêmement irritant pour une grande partie de la population. »

Mais le nouveau maire, non-content d’avoir fait des déjections canines un débat national, tient à mettre en œuvre l’une de ses plus brillantes idées : équiper, en partenariat avec l’entreprise J.C Decaux, les agents de nettoiement d’une moto, elle-même armée d’un aspirateur à caca. Visible et bruyante, la rutillante motocrotte était née.

Comment Delanoë a tué la « Chiraclette »

Cependant, tout n’est pas encore rose dans le monde de la crotte et avec le temps la hype des bécannes retombe. « Les passants nous assignent à notre fonction, on reste des “messieurs cacas” », détaille Alexandre, conducteur de motocrotte depuis 15 ans à Perpignan :

« J’ai fini par arrêter de dire que j’étais conducteur de motocrottes. Quand je parle de mon métier, j’explique que je suis fonctionnaire au service de propreté de la ville, tout simplement. Je le cache au maximum, bien que tous mes proches soient au courant. »

Mais si la motocrotte ne parcourt plus les rues de Paris, c’est pour une toute autre raison. Bien que le sac dans lequel sont stockés les excréments soit biodégradable, le scooter n’est pas un cadeau pour l’environnement. Et les coûts représentent un véritable gouffre financier : 4,5 millions d’euros par an pour ramasser à peine 20% des 16 tonnes d’excréments déversés quotidiennement sur la capitale. En 2003, l’arrivée de Bertrand Delanoë à la tête de la ville signe l’arrêt de mort de la motocrotte. Bilan en demi-teinte pour un objet entré dans la légende, figure de proue d’une gestion des déchets canins théâtralisés et fer de lance de la valorisation des métiers de la propreté.