03/01/2017

« Je me suis fait 1.000 euros le mois dernier. »

Ervé, le SDF qui trouve du boulot grâce à Twitter

Par Inès Belgacem

Sur Twitter, il s’appelle @croisepattes. Ervé est sans domicile fixe et trouve du boulot en passant des petites annonces sur le réseau social. Avec l’aide de ses 3.000 followers, il se fait presque un Smic par mois.

Rue la Fayette, 10e arrondissement – « Hier je faisais des ménages chez un très gentil monsieur. Il m’a appelé, m’a laissé ses clés et est parti. C’est fou quand même », raconte Ervé en saisissant sa barbe poivre et sel. Il ajoute, hilare, un petit tas de tabac entre les doigts :

« J’aurais pu appeler tous les copains ! Bien sûr je ne l’ai pas fait. »

Son employeur, Ervé ne le connaissait pas avant de le rencontrer sur Twitter. Depuis septembre, il a décidé de faire jouer les RT pour trouver du travail. « J’en avais marre de faire la manche » lâche ce quinqua, dont 20 ans passés dans la rue, qui se cache derrière le pseudo @croisepattes. Et ça marche fort ! « Les gens ont été très réceptifs. On dit toujours qu’il n’y a pas de solidarité, mais ça n’est pas vrai », juge le bonhomme assis sur un banc du 10e.

« Je gagne plus du double du RSA »

Bricolage, ménages, coup de main en tout genre, Ervé enchaîne les petits boulots, tous payés au black. Le mois dernier, il a empoché un peu plus de 1.000 euros. Il demande 15 euros de l’heure. « Je gagne plus du double du RSA. » Plus qu’une journée dans la rue aussi :

« Une bonne journée de manche c’est 20 ou 30 euros. J’ai vite fait le calcul. »

« Bon bricoleur » d’après les twittos, soutenu par le web, il a gagné la confiance de ses employeurs qui le recommandent volontiers. Trois mois de bouche à oreille et des dizaines de RT plus tard, il remplit presque ses semaines :

« Si on m’appelle et que je n’ai rien, je viens tout de suite ! »

Ervé fait même croquer les copains à l’occas’. « Quand j’ai besoin d’un coup de main, je vois avec les employeurs et je les appelle ensuite », lance-t-il en pointant du doigt Chris et Jean-Yves, les deux acolytes qui l’accompagnent. L’un a un bandana rouge sur la tête et un des verres de ses lunettes cassé, l’autre les cheveux tirés en arrière en un bun grisonnant. Tous les trois attablés à un des cafés du quartier, ils rigolent de leurs dernières expériences. Une fois ils ont du repaver une cave. Une autre, accrocher un cadre de deux mètres sur deux :

« Jean-Yves a pensé à un système de poulies pour monter le cadre. On aurait jamais pu le soulever sinon, il pesait une tonne ! »

« Je vais voir mes filles tous les week-ends »

Rien de tout ça n’était pourtant leur métier. Une vingtaine d’années plus tôt, Ervé était éducateur et travaillait avec des jeunes. C’est en débarquant à Paris en 1999, « après avoir bourlingué à droite à gauche », qu’il se retrouve à dormir dehors. « C’est ce qu’on appelle communément les accidents de la vie », explique-t-il sur un ton mi sarcastique mi morose. Et puis il n’est pas sûr d’être fait pour « vivre en appart’ ». Il a essayé pendant un temps, durant lequel il a eu deux petites filles. Elles ont aujourd’hui deux et cinq ans et vivent chez leur mère :

« Je vais les voir tous les week-ends, sinon je deviens fou. Et leur maman le sait, on s’entend très bien. Elle sait aussi que la rue me manque, que j’étouffe entre quatre murs. Pour mes filles, leur papa travaille dans Paris la semaine. Et le week-end il dort sur le canapé. »

« Lâche ton téléphone ! »

« Mais lâche ton téléphone Chris ! » Ervé perd patience. Le copain Chris est scotché à son écran de smartphone depuis ce matin et son interview avec BFM. Son nombre de followers monte en flèche et il est obnubilé. « La journaliste m’a promis 3.000 follows. » Lui c’est @Pagechris75. S’il ne cherche pas de job comme Ervé, les deux hommes partagent des articles sur les sans-abris et des causes qu’ils trouvent justes. Ils rigolent beaucoup aussi. Toujours attablés, ils débattent de tout, de la déclaration de Manuel Valls dans une matinale au dernier album des Rolling Stones. Chris est d’ailleurs révolté :

« Ca n’a rien à voir avec leurs anciens morceaux. Ils l’ont vraiment fait pour faire du fric. »

Sur leur Twitter, ils racontent aussi leur vie dans la rue. Un témoignage rarement perceptible par le grand public, qui s’émeut souvent de leur 140 caractères. Ervé raconte :

« Les gens nous demandent ce qu’ils pourraient faire pour nous aider. Souvent on répond “de la nourriture”, parfois on ne sait pas trop quoi dire. Une fois j’ai demandé des chaussettes en rigolant. La personne m’a envoyé un carton de cinquante chaussettes d’hiver ! »

Big up ! / Crédits : Inès Belgacem

Ervé s’est arrangé pour avoir une adresse postale et reçoit quelques colis de temps en temps. Récemment, un twittos suisse lui a envoyé un carton entier de Toblerone. « C’était tellement gentil. Par contre avec mes dents je ne peux pas en manger… Mais j’ai pu offrir un cadeau de Noël en avance à un paquet de gens. » Mais ce qui reste prioritaire, c’est trouver des petits boulots :

« Twitter c’est un outil pour moi. »

Il a donné des idées à d’autres. Jean-Yves hésite à se lancer sur Twitter. Pour du travail, pour suivre l’actu, avoir une voix, « et pourquoi pas rencontrer quelqu’un aussi ».