24/04/2019

Et en plus elle est convoquée devant la justice pour outrage

Une Gilet jaune en fauteuil victime de plusieurs violences policières

Par Christophe-Cécil Garnier

Fracture du pied, arrachement osseux, entorse au pouce et multiples bleus. À deux reprises, Odile Maurin, gilet jaune toulousaine et présidente de l’association Handi-Social a été victime de violences policières.

« C’est pas parce qu’on est handicapé qu’on ne peut pas manifester ». Au téléphone, la voix d’Odile Maurin est fatiguée. Depuis plusieurs jours, une sinusite accompagne cette quinqua, présidente de l’association Handi-Social. Odile Maurin est en fauteuil roulant depuis près de quinze ans, en raison d’un syndrôme d’Ehlers-Danlos. « C’est une maladie génétique rare qui affecte tous les organes et la peau. Ça nécessite que j’évite de prendre des coups ou qu’on me touche le corps », explique-t-elle. Elle a également un pied dans le plâtre et une entorse au pouce, souvenirs douloureux de ses deux précédentes manifestations, gilet jaune sur le dos. À Toulouse, elle a quasiment été de tous les actes, pour défendre les droits des handicapés « qui subissent des reculs majeurs ». En guise de preuve, elle cite un rapport de l’ONU publié en mars qui parle d’une « mise à l’écart » des personnes handicapées.


Premières blessures

La première blessure remonte au 30 mars. Elle et plusieurs de ses amis en fauteuil roulant remontent en direction du boulevard d’Arcole, une des allées du centre de Toulouse. La police empêche « une foule pacifique » de remonter vers la station de métro Jean-Jaurès « sans raison », raconte-t-elle. « On a tenté de discuter avec la police pour qu’ils nous laissent passer, ils n’ont pas voulu. Et après ça a été de nouveau la guerre. La police a voulu nous dégager de force avec des lacrymos et le canon à eau, sans se préoccuper de notre situation ». Face à ces actions, elle reste devant le camion à eau et ne bouge plus. « Je ne le fais pas tout le temps, juste dès qu’on me tire dessus sans raison », affirme-t-elle.

Face à son blocage, la police tente de déplacer son fauteuil (qui a coûté 30.000 euros). « Je leur avais pourtant signifié de ne pas toucher mon fauteuil, c’est du matériel fragile. Si on me le casse, c’est comme si on me pétait les deux bras et les deux jambes », lance Odile Maurin. Et il n’est pas facile à manipuler : « Les policiers ont tenté de me tirer sur le côté. L’un a touché le joystick mais ne l’a pas maîtrisé et m’a envoyé à vive allure sur le trottoir. »

Elle ne lâche pas l’affaire et décide de retourner devant le camion pour le bloquer. À nouveau évacuée de force, elle tente de « dribbler » les policiers qui lui font face pour se replacer devant le canon à eau. « Sauf qu’à un moment, un policier a remanipulé le joystick sans le maîtriser. Résultat, mon fauteuil piloté par ce policier est allé droit dans un fourgon de police à pleine vitesse et a renversé un autre policier », rembobine-t-elle. C’est là qu’elle se blesse au pied droit. Le cale-pied de l’appareil se relève dans le choc et le pied d’Odile Maurin se retrouve coincé entre le fauteuil et le véhicule. « Ça me l’a tordu, j’ai vraiment eu très mal », explique la quinquagénaire.

Juste après cet accident, la police lui signifie pourtant sa mise en garde à vue, « sans donner de motifs sur le moment ». Elle reconnaît les avoir alors « copieusement insultés » en raison de sa douleur. La garde à vue a finalement été levée une heure trente plus tard, car les pompiers ne pouvaient pas l’emmener avec son fauteuil. La présidente d’Handi-Social explique qu’elle ne peut le quitter, à cause de sa maladie : « Ça me fait trop mal, il faut que je sois dans des positions particulières, bien assise ».

Aux urgences, on lui diagnostique une entorse de la cheville. Les médecins constatent également une trentaine de bleus de plusieurs centimètres, provoqués par les policiers qui l’ont agrippée. « C’est l’une des conséquences de mon syndrôme », confie-t-elle. Des blessures qui provoquent cinq jours d’ITT. Par la suite, un scanner montre que son entorse est en réalité une fracture en cinq endroits et un arrachement osseux en bas du tibia. Ses journées d’ITT sont portées à dix et son pied est mis dans le plâtre pour un mois. « J’en aurai pour deux à trois mois de rééducation. Je vais perdre tout le bénéfice de celle que je fais depuis dix ans », soupire la Gilet jaune.

Rebelote trois semaines plus tard

Elle est tout de même à nouveau présente, une vingtaine de jours plus tard, lors de l’acte 23 du mouvement. Cette fois-ci, le canon à eau ne vise pas Odile Maurin et ses comparses en fauteuil, mais la police « nous a quand-même tiré des palets de lacrymos dans les pattes ». Plus tôt, elle appelait pourtant à ce que les forces de l’ordre rallient le mouvement. « Arrêtez messieurs, c’est inutile de vous suicider. Rejoignez-nous, ce sera beaucoup plus utile », la voit-on crier au mégaphone dans une vidéo. « Malgré ma colère, je refuse de mettre tous les policiers dans le même sac », dit-elle quand elle évoque cette tentative de dialogue.


Après les palets de lacrymogènes, la quinquagénaire se replace avec d’autres amis en fauteuil devant le camion à eau pour l’empêcher de passer. Cette-fois, les forces de l’ordre enlèvent leurs masques respiratoires. « Un des policiers m’a consciencieusement pris le pouce et me l’a retourné en tentant de me le casser », affirme-t-elle. Les examens à l’hôpital ont montré une entorse. Elle doit tout de même voir le chirurgien dans quelques jours pour voir « s’il n’y a pas un problème ligamentaire ».

Convoquée au tribunal pour complicité d’outrages

Entre temps, Odile Maurin a reçu une convocation au commissariat pour « complicité d’outrages en réunion sur personne dépositaire de l’autorité publique », pour avoir insulté une commissaire. Pour avoir publié la photo de cette fonctionnaire sur sa page personnelle et celle d’Handi-Social, la Gilet jaune est aussi accusée de « provocation publique à la commission d’un crime ou d’un délit par voie électronique » et « complicité de menaces de mort sur personne dépositaire de l’autorité publique ».

« J’ai publié la photo de la commissaire pour connaître son nom. Je voulais que tout le monde sache qui elle était et qu’elle était capable d’user de violences sur une foule pacifique », explique-t-elle. Sauf que certaines personnes sur son mur se lâchent, écrivant des menaces de mort et des injures sexistes, qu’Odile Maurin « ne cautionne pas », mais qui lui valent ces lignes supplémentaires sur la convocation judiciaire. Il lui est également imputé d’avoir « volontairement commis des violences sur deux policiers » avec l’usage ou la menace d’une arme, sans que cela n’entraîne d’ITT chez les pandores. « C’est le monde à l’envers, lâche Odile Maurin. À aucun moment je n’ai volontairement foncé ou tenté de blesser des policiers ». (1)

Elle est enfin accusée d’avoir « entravé volontairement l’arrivée des secours », en se positionnant devant le camion à eau qui devait « stopper un incendie ». « Il y avait une poubelle qui cramait, découvrira après coup la Gilet jaune. Mais ça ne mettait personne en danger ». Son procès aura lieu le 16 mai. De son côté, elle a déposé plainte contre X pour les violences survenues le 30 mars. Elle conclut :

« En France, il n’y a que dans la répression que les handicapés et les valides sont égaux. »


Image principale : capture d’une vidéo de Appache News.
(1) Cette phrase concernant les poursuites pour violences a été rajoutée le 25/04.

La préfecture n’a pas à commenter la manière dont cette personne rapporte les événements mais constate que cela ne correspond en rien à la version des agents de force publique qui étaient présents au moment des faits.

La préfecture ne peut que condamner les propos tenus à l’encontre des forces de l’ordre et la mise en cause personnelle d’un fonctionnaire. Il est à noter que cette personne qui se présente en victime reconnaît d’ores et déjà dans votre article une partie des faits reprochés et il appartient à l’autorité judiciaire de se prononcer sur les poursuites pénales à engager si ces infractions étaient avérées.