03/06/2019

« Pour Maroc-Algérie, c’était le feu »

Fumis, pétards et roue arrière, bienvenue à la Can des quartiers d’Aulnay-sous-Bois

Par Christophe-Cécil Garnier

Depuis deux semaines, Aulnay-sous-Bois accueille jusqu’à 4.000 personnes pour ses matches de Coupe d'Afrique des Nations des quartiers, selon les organisateurs. Une organisation 100% locale et une com’ bien rodée.

« Le football, c’est une deuxième religion ici ! » À bord de sa Twingo violette, Micro fonce vers le quartier de la Rose des Vents d’Aulnay-sous-Bois. Il passe l’imposante galerie commerciale du Galion, où les passants font la queue devant le distributeur de billets, et se dirige vers le « Béton », le terrain de foot local. C’est sur ce bitume que se joue depuis deux semaines la Coupe d’Afrique (Can) des quartiers d’Aulnay. Depuis le début du mois de mai, le phénomène se propage en Île-de-France : il y en a à Evry, Créteil, Argenteuil, Mantes-la-Jolie… Mais aussi à Clermont-Ferrand ou Lyon. À chaque fois, des équipes de foot s’affrontent le soir avant la rupture du jeûne du Ramadan. Elles sont composées d’amateurs qui se regroupent par équipe nationale en fonction de leurs origines. On y retrouve le Mali, la Côte d’Ivoire, le Sénégal ou l’Algérie.

Les meilleures places sont en l'air. / Crédits : Christophe-Cécil Garnier

Pourtant, à Aulnay, une compet’ comme celle-ci existe depuis 2012. « Mais ça ne prenait pas l’essor qu’il fallait d’après les jeunes. » Voyant le concept décoller dans plusieurs villes de banlieue, ils appellent Jeff un dimanche soir et lui demande de l’aide pour organiser leur Can. Le président de l’Association pour les jeunes par l’insertion et la solidarité (Ajis), 26 ans et collier de barbe n’hésite pas un seul instant. Dans la foulée, il appelle tous ses contacts et lance la compétition.

Par nous, pour nous

Pour créer l’engouement escomptée, le président de l’Ajis a appelé son pote Micro, « car je sais qu’il est bon en com’ ». Sur Instagram, ce dernier fait les lives des matches sur sa chaîne, Micro3KS, un « outil de communication pour permettre aux artistes de s’exprimer et aux commerces de faire leur pub », explique l’homme de 29 ans, au maillot rouge des Chicago Bulls floqué Jordan. Les lives sont en moyenne suivis par 300 à 400 personnes, avec un maximum de 600. Pour compléter la com’, Jeff a également contacté une équipe de photographes, Symétrie, et de vidéastes, 3000 Rek. « Ils sont bons et ils habitent le quartier », raconte Jeff.

Le zbeul. / Crédits : Christophe-Cécil Garnier

La petite troupe reçoit aussi le soutien du magasin Footkorner d’Aulnay, qui a placé sa bannière au milieu du grillage qui délimite le terrain du Béton. La chaîne de magasin certifiée par la street encourage régulièrement les événements du coin. « Le propriétaire du magasin d’Aulnay est un ancien du quartier. S’il y a un grand événement qui se passe ici, ils veulent en être. En plus, c’est du streetsport, ça leur ressemble », détaille le vingtenaire en t-shirt blanc et bas de survet gris. En échange de cette publicité, les joueurs et les staffs finalistes ont tous droit à un lot d’équipements de la marque. Et tous les participants ont profité d’une réduction de -50% sur le flocage, pour mettre les noms des joueurs sur les maillots. La mairie s’est également investie et a fourni les barrières et le service de sécurité. « Il en faut un pour que la police ne vienne pas », lance Jeff. Le dernier bénévole a été l’arbitre. « C’est un père de famille qui est venu de lui-même. Il a montré sa carte d’ancien arbitre officiel et il a fait tous les matches depuis ».

Une Can 100% Aulnay

Les petits voulaient de l’engouement, ils l’ont eu : entre 300 et 400 personnes se sont pressées dans la ville du 93 pour un « match moyen », selon Jeff. L’affluence a pu monter jusqu’à 4.500 personnes pour la demi-finale Maroc-Mali. Ce dimanche soir, une heure avant le début de la finale, Mali-Mauritanie, les spectateurs sont déjà présents. Des supporters du Mali se rassemblent en haut du bâtiment de l’antenne sociale de la Rose des Vents, pour y mettre des dizaines de drapeaux du pays et trois longs fanions vert, jaune et rouge. Autour du terrain, le public s’amasse sur quatre rangées derrière les barrières de sécurité alors que d’autres ont trouvé une place assise devant. Posé sur une estrade, un jeune avoue qu’il vient pour la première fois. Il a fait le trajet depuis l’Oise et Chambly, motivé par ses potes. Même Hadama Traoré, le candidat des élections européennes, se faufile dans le public. De l’autre côté des rues, les gens se sont postés aux fenêtres ou sur les toits des bâtiments pour voir le terrain de loin. Des motards passent en vrombissant et en faisant des roues arrières, alors que des pétards explosent toutes les dix minutes.

Tous les moyens sont bons. / Crédits : Christophe-Cécil Garnier

« Dans le public il y a de tout : des jeunes, des petits de cinq, huit, deux ans… Des bébés qui ne savent même pas encore comment ils s’appellent. Et leurs parents sont là aussi dès 18h alors que le match est à 20h », exulte Jeff.

Les supporters marocains mettent le feu

En plus d’une organisation au top, la troupe a pu compter sur un coup de pouce du destin pour lancer la machine. Trois jours après l’appel des petits à Jeff, les équipes sont ficelées et le tirage au sort est effectué. Un match attire tout le monde : Algérie-Maroc. « On s’est dit que c’était le match qu’il fallait pour commencer, même si c’était la poule B. Normalement on aurait commencé par la poule A. Mais on ne peut pas refuser ce match-là. Après, la tempête s’est lancée », se rappelle Jeff.


Lors de cette rencontre, les supporters marocains sont présents en masse et se rassemblent derrière un des buts, où les filets et le bâtiment de l’antenne sociale de la Rose des Vents permettent à certain de se hisser et d’enflammer le Béton avec des dizaines de fumigènes. La séquence tourne en boucle sur les réseaux sociaux. Elle est même relayée par le rappeur Niska : « La CAN d’Aulnay vous êtes en feu, faut ça dans toutes les villes de France on a dit ! ». Jeff le reconnaît, les Marocains ont « inventé le kop ! Ils ont l’habitude de voir comment ça se passe dans les matches et ils l’ont reproduit ici. C’est pour ça que c’est encore plus impressionnant car on n’a pas l’habitude de voir ça dans les matches de quartier ».

De quoi mettre la « bouillie », comme il l’appelle. Comprendre la fête :

« On voulait tout ça, les fumis, les pétards… Quand on a commencé la compétition, j’ai dit : “Que la bouillie soit !”. Tout ce qui est festif on accepte. »

Fumigènes et envahissement de terrain

Sur le Béton, ce dimanche après-midi, la tension monte. « J’ai soif, j’ai faim, j’ai envie de fumer, j’ai envie de tout faire ! », lance un spectateur impatient. À l’arrivée des joueurs, un drone survole le terrain. Une vingtaine de torches s’allument lors de l’hymne malien et des pots de fumées sortent des couleurs vertes, jaunes et rouges. À la sono, Micro commente : « Incroyable cette image ! Vous êtes bien aux 3.000, vous êtes bien au Béton ! ». Durant la partie, lui et un autre animateur font le show et parodient les commentateurs professionnels. « Comment s’appelle le terrain ? À quelle heure on rompt le jeûne ? Envoyez votre réponse au 36 76 ! ».

On fête la victoire chez les supporters maliens. / Crédits : Christophe-Cécil Garnier

Sur le bitume, le Mali domine et claque cinq buts à un à leurs adversaires, qui récoltent quand même les honneurs de Micro. « Quel parcours de la Mauritanie ! Dire qu’il y a deux semaines, ils étaient à l’école coranique et maintenant ils sont en finale », plaisante ce dernier. À la fin du match, les fans des Aigles maliens envahissent le terrain, allument des fumigènes et dansent tous ensemble pendant de longues minutes. Mais le vrai gagnant est surtout ce commerçant qui a surfé sur le buzz de la compet’, raconte Jeff :

« Il est allé chercher tous les drapeaux de tous les pays qui participent à cette Can et il les a mis en vente ! »