10/09/2019

En France pour finir ses études

Auteur pour Le Monde diplomatique, il risque l’expulsion et donc la mort

Par Raphael Godechot

Alors qu’il tente de finir sa thèse en France, Abdoul Salam Diallo est menacé d’expulsion. Pourtant, dans son pays natal la Guinée, sa vie est menacée pour avoir écrit un article dans Le Monde diplomatique.

Je suis arrivé en France en 2011. En Guinée, j’ai suivi une maîtrise de relation internationale à l’université de Kankan. Mais au pays, les universités sont délabrées et manquent de moyens. Je suis donc venu en France afin de faire une licence d’histoire générale à l’université de Paris X Nanterre. Par la suite, j’ai obtenu un master 2, puis j’ai commencé mon doctorat en 2015 sur les relations franco-palestiniennes, toujours à Nanterre.

En Guinée, je viens d’une famille modeste, j’ai donc dû travailler pour subvenir à mes besoins ici, ce qui est le lot de la plupart des étudiants africains. J’ai donc enchaîné les petits boulots : enquêteur pour l’institut de sondage BVA, animateur scolaire pour la Mairie de Paris, serveur au restaurant le Petit Dakar dans le Marais… Depuis fin 2018, je travaille chez Monoprix, en caisse.

Mes galères administratives ont commencé il y a deux ans, après un changement d’adresse. Jusqu’alors, j’étais affilié à la Préfecture de Paris. En 2017, je déménage dans le 92, à Levallois-Perret. Je ne sais pas pourquoi, la Préfecture de Nanterre ne m’a jamais délivré de carte de séjour étudiant, qui normalement assure une stabilité administrative pendant un an. À la place, ils ne m’ont donné que des récépissés de 2 ou 3 mois, parfois même 1 mois depuis octobre 2017. Tout ça n’était déjà pas rassurant, et ne procurait aucune stabilité pour poursuivre mes études et travailler. En plus, renouveler un récépissé, c’est le parcours du combattant. Il faut se rendre à la Préfecture tôt le matin et la queue est longue. Parfois, ça peut prendre toute la journée. J’ai dû le faire des dizaines de fois. C’est une perte de temps considérable. Mais bon, c’est pareil pour tous les étrangers, il n’y a pas d’autres choix.

Des galères administratives sans fin

Fin 2017, j’ai eu des difficultés dans le cadre de mes recherches. C’était trop compliqué de gérer le boulot et ma thèse. Étudier ou payer un loyer, je devais choisir. Bref, je n’avais pas suffisamment avancé dans ma thèse pour pouvoir me réinscrire à la rentrée 2018, ainsi que changer de directeur de recherche, le mien ne m’aidant pas suffisamment.

Donc en mai de cette année, je me rends à la Préfecture parce que mon récépissé avait expiré. Je comptais le faire renouveler comme d’habitude. Mais cette fois, on me signale que mon dossier a été refusé, parce que je n’avais plus de certificat de scolarité. Il fallait donc que je fasse un autre dossier. C’est à ce moment que j’ai reçu une OQTF (Obligation de quitter le territoire français). Vu que je ne suis plus officiellement reconnu comme étudiant, je suis donc devenu susceptible d’être expulsé à n’importe quel moment et même de passer par un centre de rétention administrative. Ce qui est ironique là-dedans, c’est que sur l’OQTF, l’État me reproche « de ne pas être marié », de ne pas avoir assez d’attaches à la France… Qu’aurait-il fallu ? Que je me marie alors que je n’en ai pas les moyens ? Que je fasse un mariage blanc ?

Depuis, les difficultés n’ont fait que s’enchaîner : j’ai dû temporairement pointer tous les mardis au commissariat de Nanterre pendant des mois… Durant cette période, j’étais assigné à résidence, puisque je devais montrer que j’étais toujours dans le coin, chaque semaine. J’ai engagé une procédure de recours pour contester la décision d’expulsion. En attendant, c’est l’angoisse permanente et comme je ne peux plus travailler, puisque je n’ai plus de papier, il m’est impossible de payer mon loyer. Comment puis-je me concentrer sur mes études dans de telles conditions ?

Je continue quand même de chercher un directeur de recherche, puisque évidemment je compte finir ma thèse quoiqu’il arrive. J’étais dans ma troisième année, je ne peux pas en rester là. Mais si toutefois je suis renvoyé en Guinée, ce sera foutu pour mes études. Le cadre universitaire sous-équipé ne me permettra évidemment pas de finir ma thèse et il n’y a pas de spécialistes du sujet sur lequel je travaille. Et je ne parle même pas des problèmes liés au manque d’électricité, d’internet et même d’eau qui affectent quotidiennement tous les Guinéens… Ni de mon appartenance ethnique – je suis peul, qui vaut son lot de discriminations récurrentes et structurelles dans mon pays.

Menacé en Guinée

En fait, ma situation personnelle est encore plus délicate qu’il n’y paraît. Dans le cadre d’un article pour Le Monde diplomatique que j’ai co-écrit, je me suis retrouvé en garde-à-vue pendant 2 jours, accusé de tout et n’importe quoi : espionnage, trafic de drogue… Tout cela dans le but de décrédibiliser notre travail journalistique, à mon collègue et moi. Des militaires et policiers ont perquisitionné mon domicile familial dans la banlieue de Conakry, racketté et intimidé ma famille… Donc en plus de me trouver dans une situation de précarité extrême, ma vie est menacée à cause de mon travail journalistique, qui n’a pas plu à l’État guinéen…

En France, on nous donne deux options d’intégration: par le travail, ou par les études. J’ai fait les deux, et pourtant l’État n’a pas jugé ma situation suffisante pour rester ici et finir mes études, que j’ai entamées il y a bientôt 10 ans. En plus d’être très difficile à vivre du fait de la lourdeur administrative de la procédure et de la menace qui pèse sur ma vie en Guinée, cette situation me paraît disproportionnée, et m’empêche de me concentrer sur mon travail et mes études. Je ne demande qu’à terminer mes recherches, dans de bonnes conditions, en France.

Propos recueilli par Raphaël Godechot pour StreetPress.
Photo : Sévan Melkonian