07/07/2025

Sa mère réclame des conditions dignes

« Ce n’est pas du soin, c’est une punition » : Le calvaire de Thomas, enfermé en unité psychiatrique

Par Ana Pich'

Depuis deux ans, Thomas est hospitalisé dans une unité psychiatrique hautement sécurisée. Sa mère dénonce ses conditions d’enfermement et les conséquences sur sa santé mentale. L’histoire interroge sur l’opacité de l’institution psychiatrique.

Hôpital psychiatrique de Villejuif (94), 19 juin – L’audience de la Juge des libertés et de la détention va bientôt commencer. Elle est en principe publique. Mais curieusement, la juge décide de la tenir à huis clos en raison de « l’atteinte à l’intimité de la vie privée du patient ». StreetPress est mis à la porte. La présence de journalistes, inhabituelle, semble déranger. « C’est la première fois qu’on voit quelqu’un venir ici », s’exclament avec humour les aides-soignants déconcertés par notre présence. L’audience doit débattre du maintien en Unité pour malades difficiles (UMD) de Thomas (1), qui y est hospitalisé depuis plus de deux ans. Sa mère, Isabelle (1), se bat pour obtenir le transfert de son fils trentenaire dans un secteur fermé classique, en lieu et place de l’UMD, des unités hautement sécurisées, presque carcérales.

Comme d’autres, Thomas y est coupé du monde extérieur, privé de toutes ses affaires personnelles. Une grande partie des personnes qui y sont enfermées ont été condamnées ou déclarées pénalement irresponsables après avoir commis une infraction pénale. Ce n’est pas le cas de Thomas. Malgré les recours judiciaires de sa mère pour le faire transférer en secteur classique, l’institution psychiatrique s’y oppose. Ce 19 juin, la décision de justice est rendue en quelques minutes : le maintien en UMD est ordonné. Au moins, Isabelle a pu plaider pour que son fils ait le droit d’écouter sa musique sur son MP3. Car c’est la revendication première d’Isabelle : le droit à des conditions dignes :

« On voit que l’état de Thomas empire et pourtant on continue. Ce n’est pas du soin, c’est une punition ! Qu’est-ce qui peut justifier la privation de musique ? C’est la seule chose qui le fait tenir ! »

« Je ne comprends pas pourquoi on l’a placé là »

Thomas a été hospitalisé sous contrainte il y a deux ans, après s’être présenté de lui-même aux urgences psychiatriques pour des idées suicidaires. Ce n’était pas sa première hospitalisation. Thomas souffre de troubles autistiques depuis son enfance et d’autres troubles psychiques depuis son adolescence : successivement déclaré TDH, HPI, bipolaire, puis souffrant de « troubles schizo-affectifs »… Un parcours que sa mère qualifie de « polytraumatique » du fait du harcèlement et agressions qu’il a subi enfant, souvent liés à ses différences.

Les dernières années avant son hospitalisation, les traitements l’avaient stabilisé. Il était en mesure de vivre seul dans un appartement, à proximité de sa mère, où il pratiquait en milieu ordinaire, ses passions comme la danse, le théâtre, la musique et le sport. Mais à l’été 2022, à la suite d’un changement de traitement, une nouvelle crise hallucinatoire survient, et des idées suicidaires le traversent. Au mois de mars 2023, il demande à aller aux urgences. Il est hospitalisé deux mois dans son secteur habituel, avant d’être transféré en UMD pour « cause d’impasse thérapeutique et de risques suicidaires ». « Je ne comprends pas pourquoi on l’a placé là ! », s’est exclamée Isabelle lors d’une précédente audience face au JLD. Cette dernière explique qu’il aurait été écrit « hospitalisation sous contrainte » sur son dossier.

Le 5 juin, Isabelle passait devant la Juge des libertés et de la détention pour essayer de changer les conditions d'enfermement de son fils, Thomas. / Crédits : Ana Pich'

La mère de Thomas a souligné durant une des audiences que personne ne pourrait supporter « ces conditions » dans l'unité psychiatrique. / Crédits : Ana Pich'

De la « torture blanche »

Alors que Thomas vit en région parisienne, il est transféré à Eygurande en Corrèze, faute de place disponible. « On lui refuse l’accès à ses affaires personnelles, ses livres, son téléphone… Il n’a le droit qu’à deux heures de visite par mois ! », retrace Isabelle qui a dû à plusieurs reprises parcourir 1.000 kilomètres pour voir son fils pendant ces deux petites heures. Thomas a peu de moyens d’apaisement : ses deux heures d’écoute de musique par jour sur son MP3 et un accès à la salle de sport deux heures par semaine. Une situation d’isolement social qui fait « détériorer son état ». « C’est de la torture blanche », estime-t-elle :

« Un soignant m’a dit un jour : “L’enfermement est un soin, et comme tous les soins, ils ont des effets secondaires”. »

En mai 2025, Isabelle réussit à refaire transférer son fils à l’UMD de Villejuif, à quelques kilomètres de chez elle. Mais les conditions s’avèrent pires. Thomas est privé du MP3 et du sport. Les visites sont beaucoup plus strictes : il leur est désormais interdit de s’asseoir côte à côte et de chanter.

Face à l’opacité de l’institution psychiatrique, aux pouvoirs des médecins, et au contrôle limité de l’institution judiciaire, Isabelle raconte se retrouver démunie. Les psychiatres s’acharneraient à maintenir que l’UMD est la seule solution. Aucun progrès ne semble pourtant avoir pu être observé en deux ans. Pire, selon Isabelle, depuis son hospitalisation en UMD apparaissent pour la première fois des gestes hétéro-agressifs (2) :

« Pour justifier son maintien en UMD, on me répond toujours qu’il est intolérant à la frustration… Mais qui pourrait tolérer de telles conditions ? »

Un UMD aux problèmes connus

Jusqu’ici Isabelle ne s’était jamais opposée à une décision médicale ou à l’hospitalisation de son fils, dont elle reconnaît la nécessité de prise en charge. Mais elle ne comprend pas ce placement en UMD. Notamment au pavillon 38, un lieu où Mediapart relevait déjà en 2009 les conditions indignes, les privations et des cas de violences commises par des soignants. Thomas n’a jamais fait l’objet de poursuites pénales, ni de condamnations, et n’avait, jusqu’à peu, jamais montré de signes de violences, affirme-t-elle :

« On est en train de lui créer un casier psychiatrique alors qu’il n’avait jamais été dangereux ! »

En 2021, un rapport de la Contrôleure des lieux de privation de liberté (CGLPL) a relevé de nettes améliorations mais s’inquiète que « certaines pratiques attentatoires à la dignité demeurent ». Contactée par StreetPress, l’adjointe à la directrice des affaires juridiques explique que depuis ce dernier rapport de 2021, aucun contrôle du CGLPL n’a pu être réalisé sur place, faute de moyen matériel pour le renouvellement des contrôles. « Un des problèmes de ce type d’unité, c’est que les critères d’affectation, tels qu’ils sont définis par la loi, laissent énormément de marge d’appréciation aux établissements », indique-t-elle. Elle continue :

« Donc il est fréquent que des témoignages fassent état d’affectation ou de maintiens dans ce type d’unité qui sont jugés abusives ou injustifiés par la personne qui nous signale la situation, mais qui du point de vue de l’hôpital rentre dans les critères. »

Le rapport du CGLPL a été transmis au ministère de la Santé. qui n’a « pas formulé d’observations particulières » en 2024 sur la situation de l’UMD de Villejuif.

Selon sa mère, Thomas n'est « pas du tout réfractaire à se faire soigner ». / Crédits : Ana Pich'

« On le maintient dans un système qui lui est nuisible. On aggrave son état ! » / Crédits : Ana Pich'

Des coups de pression

Début juin, Isabelle a cru gagner quand la Cour d’appel a statué sur la mesure d’hospitalisation de Thomas pour cause d’irrégularité dans la procédure de transfert au pavillon 38. L’hôpital s’est opposé à la libération de Thomas, en renouvelant une procédure d’hospitalisation sous contrainte. Thomas n’a même pas été changé de secteur ni de pavillon. À la suite de chaque recours en justice, Isabelle aurait fait l’objet d’appels vocaux de la part de psychiatres, qui lui auraient reproché sa démarche et lui auraient lancé estimant qu’« elle mettait en danger son fils ». Le 1er juillet, lors d’un rendez-vous prévu avec le chef de pôle, elle s’est retrouvée confrontée seule à cinq soignants dans un bureau fermé. Ils lui ont reproché ses démarches judiciaires, son témoignage dans le Nouvel Obs et son « manque de confiance envers l’équipe », retrace Isabelle, qui, selon eux, « nuirait aux soins ». Une situation particulièrement intimidante et déséquilibrée pour Isabelle :

« Ma seule intention était pourtant de dialoguer sur la prise en charge de mon fils, et de réfléchir à des alternatives en cas de sortie de l’UMD, mais aucun dialogue n’a été possible ! J’avais l’impression d’avoir cinq ans et d’être en conseil de discipline à l’école ! »

Celle-ci a de nouveau fait appel de la décision de la JLD du maintien en hospitalisation sous contrainte au sein de l’UMD. Là encore, Thomas a été jugé « non-auditionnable » par l’institution. Il n’a ainsi jamais pu être auditionné devant les juges. Le 3 juillet 2025, la Cour d’appel a confirmé l’ordonnance de la JLD et a estimé que « les troubles psychiques décrits nécessitent toujours à ce jour des soins sous la forme d’une hospitalisation complète, et au sein d’une UMD ». L’inquiétude d’Isabelle pour l’avenir de son fils perdure :

« Ces maladies, elles isolent déjà de la société, de la réalité, mais quand en plus on l’enferme ? Qu’est-ce qu’on fait avec un homme de 31 ans ? On lui fait perdre tout espoir. C’est quoi son avenir là-dedans ? Et dans quel état il va sortir après ces années d’enfermement ? »

La mère a tout de même pu voir une amélioration dans ses relations avec les soignants depuis la dernière décision judiciaire. L’UMD a accepté depuis plusieurs jours de prêter un MP3 à Thomas avec une liste pré-établie de 90 chansons. « On m’a même autorisé à lui laisser un manga. » Isabelle espère de cette première petite victoire un assouplissement des conditions d’hospitalisation de Thomas et une amélioration de son état de santé.

Interrogée par StreetPress, l’UMD de l’hôpital de Villejuif n’a pas répondu à nos sollicitations.

(1) Les prénoms ont été modifiés.

(2) Les gestes hétéro-agressifs sont les gestes violents contre d’autres personnes, contrairement aux gestes violents sur sa propre personne.

Illustration de Une de Yann Bastard.