27/08/2012

« L'enjeu c'est d'être bourré et capable de dire les bonnes choses aux bonnes personnes »

Université d'été du PS : Une journée avec Amélie à essayer de faire du réseau

Par David Perrotin

Sur StreetPress, Amélie, secrétaire d'une fédération PS, est à l'université d'été pour « étoffer son carnet d'adresse. » Mais pas facile de se faire violence : « c'est une mascarade, ce rendez-vous ne devrait même plus exister. »

La Rochelle – Cette année à l’université d’été du PS, on s’ennuie ferme. Plus que les autres années selon un des militants socialistes présents:

« C’est sur que c’est moins drôle. C’est plus institutionnel, moins bon enfant qu’avant. » 

Le site est beaucoup plus sécurisé qu’avant, les débats plus contrôlés avec éléments de langage à la pelle. La séance questions-réponses du Premier ministre devant les jeunes militants du MJS  (Mouvement des Jeunes Socialistes) par exemple avait été plus que préparée, comme l’explique un responsable du mouvement: 

« Toutes les questions ont été écrites à l’avance. On évite les surprises car sinon toute la salle serait gênée si l’un d’entre nous déstabilisait Jean-Marc Ayrault. Et puis c’est vrai qu’il y a une forme d’auto-censure. »

Etoffer son carnet d’adresses Difficile de casser l’ennui de ces trois jours de représentation socialiste donc. Mais pour rompre cette lassitude, il faut suivre les « petits », ceux qui découvrent les travers politiciens. Amélie (le prénom a été modifié pour ne pas « se griller »), tout juste la quarantaine, est secrétaire fédérale d’une grande ville et a travaillé avec quelques ministres du gouvernement. Je l’ai suivie toute la journée de samedi. Elle détaille les coulisses de l’université:

« C’est clair que la journée on s’emmerde. Les ateliers, les réunions de motions, les tables rondes, c’est que de la langue de bois et de la com’. Ici, tout marche dans le off avec un seul objectif: étoffer son carnet d’adresse et se montrer. »

Amélie et un groupe d’élus socialistes qui l’accompagnent savent exactement ce qui se joue lors de ces rencontres politiques. Tout se fait dans les couloirs et dans les bars le soir, quand tu bois un peu et que tu vas accoster les cadres socialistes. Pour elle, une précaution est à prendre:

« Tout l’enjeu c’est d’être bourré et d’être capable de dire les bonnes choses aux bonnes personnes. »

La journée on s’emmerde

13H00: Avant de faire la tournée des bars, il faut donc s’occuper comme on peut. Amélie et son petit groupe arrivent tard à l’espace Encan (lieu de l’université) le samedi, le temps de se remettre de la sortie de la veille. Ils déjeunent au resto, s’écharpent sur la proposition de Najat-Vallaud-Belkacem d’interdire la prostitution. Au dessert, ils misent sur le futur premier secrétaire du Parti socialiste: Harlem Désir ou Jean-Christophe Cambadélis ?

Un des militants présents à la table se montre sceptique:

« De toute façon c’est du pareil au même, ce sera juste pour accompagner le gouvernement. »

16H00: Direction l’un des ateliers sur la délinquance pour le groupe qui trouve le sujet intéressant et qui souhaite faire « acte de présence ». Ils ne sont pas convaincus de l’utilité de ces ateliers, mais au moins « les motions se retrouvent »

18h00: C’est le moment clé où tous les petits élus ou militants tentent de capter l’attention des dirigeants mieux placés sur la terrasse. Najat Vallaud-Belkacem, ministre du Droits des femmes, va parler à la maire d’une petite ville de banlieue. Cette dernière est un peu « émue » et surtout heureuse parce que la ministre « semble sincère » et va pouvoir l’aider pour mener un projet dans sa ville.

D’autres négocient des postes comme Guillaume qui est militant socialiste depuis plus de 6 ans et qui vient d’obtenir une place à Solférino pour la rentrée. Amélie guette les gens importants pour nouer un lien. Elle déteste ça, mais se plie à la règle et s’amuse à le raconter:

« C’est maintenant qu’il faut aborder les gens. Lui par exemple c’est un député de Paris, je vais tenter de lui parler en espérant qu’il se souvienne de moi. »

Gagné. Après un bonjour et une discussion de trois minutes chrono, Amélie décide de saluer les militants de sa ville qu’elle connaît bien.

Je vais tenter de lui parler en espérant qu’il se souvienne de moi

19H00: Direction les bars du port pour « se montrer » et se raconter les nouvelles du parti. Le petit groupe que je suis parle tactique politique: « Elle va vouloir m’écraser à la prochaine élection locale » ou encore « Si tu te place là, tu pourras la dégager. »

Puis ils se félicitent du travail de Martine Aubry et de son « charisme » : elle a remis sur pied le PS. Au cours du repas, Arnaud (un élu socialiste) interpelle Amélie: 

« Pourquoi tu as parlé seule avec Jérôme (cadre d’une fédération, ndlr) tout à l’heure ? » 

La politique rend aussi parano. Une discussion, c’est peut-être une tactique, un projet, un coup-bas, ils restent tous vigilants.

On voit bien que La Rochelle c’est une mascarade. J’y vais pour faire comme eux, nouer des liens, faire semblant.

00H15: C’est l’horaire stratégique. Quelques ministres quittent les restaurants pour rentrer à l’hôtel et d’autres cadres sont toujours attablés. Manuel Valls finit son repas en petit comité. Un autre ministre décide de rentrer se coucher. Jean-Vincent Placé, sénateur du groupe EELV, lui, amuse une table d’une dizaine de personnes. Amélie ironise sur sa présence:

« C’est drôle, c’est un vert qui passe tous les ans ici et qui n’hésite pas à se mélanger. On se demande pourquoi il n’est pas socialiste. C’est un pur apparatchik et en plus d’être très drôle, stratégiquement c’est un tueur. »

Amélie a commencé la politique il n’y a pas si longtemps et admet avoir débuté en « mode bisounours ». Elle est aujourd’hui « dégoutée » de voir à quel point les tactiques prennent le pas sur la sincérité politique. Elle se dit révoltée:

« On voit bien que La Rochelle c’est une mascarade. J’y vais pour faire comme eux, nouer des liens, faire semblant. Mais ce rendez-vous ne devrait même plus exister, ces ateliers sont inutiles juste pour dire qu’on a été intervenant à une réunion. Tout l’argent que ça représente, c’est consternant. Il faut changer cela et je pense sincèrement que nous, la nouvelle génération, on peut le faire. »

Tuer l’appareil? Oui, mais à condition, selon cette jeune cadre du parti, que la nouvelle génération ne passe pas par la case MJS:

« Le MJS c’est l’école du vice. Je suis passée par là et c’est dans ce mouvement qu’on t’apprend les stratégies d’appareil, à tricher. Dedans, on met de côté les valeurs. »

Le MJS c’est l’école du vice

1H30: En fin de soirée, les militants et quelques ténors socialistes se mélangent en boîte de nuit. Les langues se délient petit à petit comme celle de cet adjoint municipal:

« Regarde cet élu, c’est étrange il est seul, pas entouré, comme s’il voulait chasser. Mais c’est vrai que cette année, les gens profitent de la soirée plus qu’ils ne travaillent leurs relations. Peut-être parce que nous sommes au pouvoir ».

Un collaborateur d’Amélie tient à illustrer « ce côté politicien qui bouffe les valeurs du PS » tout en réglant ses comptes:

« Celui-là, par exemple appartient à la motion C,  la plus à gauche du parti et c’est Mélenchon, avec qui il était très soudé, qui lui a payé sa prépa. Pourtant aujourd’hui, on ne peut que constater qu’il pense uniquement stratégie. Si tu n’as pas fait l’ENA, il n’a aucune considération pour toi. »

Les discussions tournent toujours autour du parti au pouvoir. On parle des ragots, des embrouilles et des combines. Dimanche, en rentrant, Amélie fait le bilan de cette édition:

« Cette année, j’ai pas trop bossé les contacts, c’était juste de la visibilité. Mais ils pensent tous aux municipales de 2014, on verra en 2013, ce sera encore pire. »