07/07/2011

Rencontre avec ceux qui ont fait jouer Arcade Fire dans un monte charge

v4.0 ou voyage sur la mer Noire: La Blogothèque veut «faire des trucs plus ambitieux»

Par Nicolas Quirion

Depuis 2006 et ses vidéos de concerts à emporter la Blogothèque s'est imposée comme une référence rock-indé sur le web. Mais après 5 ans d'activité dur de garder la flamme: «On a tous à un moment l'envie de faire des trucs plus ambitieux.»

Les « concerts à emporter » de la Blogothèque (ou « Blogo »  pour les intimes) mettent en scène des groupes de la scène indie mondiale sommés d’interpréter leurs compos dans des contextes inhabituels. Sous la caméra des réalisateurs du site, c’est une petite ruelle parisienne, un ascenseur, une rame de métro ou même ton appart qui se trouve transformé en salle de concert.

François Clos, responsable de production des concerts à emporter (il a été présent sur le tournage de près de 150 d’entre eux), nous en dit plus sur ce qui fait la particularité de ces petites vidéos, dont certaines ont fait le tour du web:

« Faire jouer des gens dans la rue ça n’a rien de révolutionnaire, je ne crois pas qu’on ait inventé ça. Mais les sessions de la Blogothèque sont arrivées à un moment où il n’y avait rien ou presque. Les Concerts à Emporter ont imposé une esthétique un peu particulière. Il y cette traque du réel, avec la caméra toujours en mouvement et ces petites séquences qui racontent les circonstances du tournage de manière plus ou moins poétique ».

Micro cachés Ingé son de formation, François défend son travail et nous parle longuement de ce qui constitue l’autre point fort des concerts à emporter : un son irréprochable qui permet d’apprécier les pièces musicales dans toute leur richesse. « On ne le voit jamais mais il y a de petits micros sans fil qui captent le son des instruments et des voix. C’est un peu notre fierté, il faut réfléchir énormément pour prendre au mieux la musique dans les circonstances les plus extrêmes. On cherche vraiment à rendre un moment, qu’il soit intime ou énergique. Cacher le micro c’est une posture de fiction mais ça permet de laisser la magie opérer. Les gens doivent avoir l’impression que le groupe est là et qu’il joue, en face d’eux. La technique n’a pas sa place là-dedans.»

Et pour ce qui est du show offert par les artistes, « ça dépend du feeling avec les musiciens, il y en a à qui il faut donner des idées de trucs marrants à mettre en place ; et d’autres qui sont tellement oufs que tu les laisses juste faire ce qu’ils veulent. C’est vraiment une rencontre, le truc se crée au fur et à mesure. Mais globalement on intervient très peu et on les laisse s’exprimer, sans les gêner. »

v4.0 Cet aspect un peu foutraque et improvisé, c’est certainement ce qui fait le charme et l’intérêt des sessions musicales organisées par la Blogothèque. Alors que le travail de studio pousse à un certain lissage de l’œuvre, ici les mélodies et l’énergie des artistes se trouvent mises à nu. Et même si l’acoustique n’est pas un dogme, ceux-ci ne peuvent compter que sur un accès restreint aux artifices électroniques dont le musicien du 21ieme siècle use et abuse.

Mais la révolution a lieu en 2006 grâce à la collaboration entre Chryde et le réalisateur Mathieu Saura, aka Vincent Moon. Les deux compères ont la bonne idée d’inviter leurs groupes préférés à jouer quelques morceaux dans des cadres insolites et  avec un recours limité à l’amplification. Audacieux, le concept encore balbutiant des concerts à emporter fait mouche. Quelques buzz plus tard (Grizzly Bear dans une salle de bain, Arcade Fire entassé dans un monte-charge…), La Blogo a conquis un statut d’incontournable pour les formations musicales issues de la scène indé.

Alors qu’une quatrième version du site a été lancée il y a quelques semaines – avec l’ambition de faire de la Blogo « un vrai média » – l’économie de la petite entreprise reste encore extrêmement fragile, la quasi-totalité des intervenants étant pourtant entièrement bénévoles. « J’y passe facile 3 ou 4  heures par jours ! » nous apprend François, « pour moi la question ne se pose pas, je suis à fond dans le projet. Il y a beaucoup de débat autour de ça mais personnellement je ne sais pas si c’est bon de vouloir tout professionnaliser. À un moment si tu veux vraiment avoir du fric, alors il faut faire du clic, et rapidement tu peux perdre ton indépendance. Faut savoir que la plupart des rédacteurs de la Blogo ont souvent un autre boulot un peu chiant à côté, et la Blogo c’est un peu le pré carré, le jardin secret qu’on veut entretenir et garder beau. »

Tourner en rond «Est-ce qu’il faut tuer les concerts à emporter ? La question s’est posée » admet François. « Il y a des moments où l’on s’est dit que ça devenait routinier, et puis tout le monde fait des sessions maintenant, les artistes sont tout le temps sollicités pour faire la même chose. A côté de ça il y a toujours de nouvelles idées qui surgissent, comme filmer Saul Williams dans les catacombes.  Ce genre de chose nous redonne beaucoup d’enthousiasme et nous fait nous dire qu’on ne s’arrêtera jamais. Il y a quand même une tendance de fond vers le documentaire, les formats plus longs, les rencontres plus poussées… On a tous à un moment l’envie de faire des trucs plus ambitieux. »

Arcade Fire comme tu ne les as jamais vus

on laisse les groupes s’exprimer, sans les gêner

Ce n’est sans doute pas un hasard si Vincent Moon, réalisateur historique de la Blogo a pris le large depuis quelque temps déjà et s’épanouit dans des expériences plus aventureuses et extrêmes.  Le vidéaste, dont on parle souvent comme de l‘ « inventeur » du concept des concerts à emporter parcourt à présent le monde entier dans une enivrante « balade en quête de son », comme il nous l’a décrite.

ethnomusicologie Le résultat de cette recherche musicale et spirituelle, qui reproduit certains aspects des concerts à emporter, est visible sur le nouveau site de l’artiste, Petites Planètes .  « C’est ma nouvelle vie. Je suis parti en voyage, je me suis intéressé à d’autres musiques », nous raconte-t-il. « La Blogothèque ça n’avait plus trop de sens pour moi. Tout ce qu’on a filmé appartenait un peu à un même monde, à un même genre… ça ne correspondait plus trop à mes gouts ni à mes envies. Petites Planètes c’est un peu ma recherche d’un nouveau folklore expérimental ».

Et à voir des films tels que celui tourné à Valparaiso (plus d’une heure) ou encore au Caire on se dit que l’on a décidément affaire à quelque chose de résolument nouveau, poétique et inclassable. Ni clips, ni documentaires, ces témoignages visuels et sonores procurent une expérience musicale inédite que l’on pourrait rapprocher de l’ethnomusicologie.

Battles en mode rococo

La Blogothèque ça n’avait plus trop de sens pour moi

Mer noire Farouchement anticapitaliste, Vincent Moon défend son choix d’un style de vie digne des Clochards Célestes de Kerouac : « C’est le moment d’être nomade à nouveau… Je vis quasiment sans argent. Tous ces films-là sont faits gratuitement. Ça se passe sur un échange, on me donne un endroit où dormir, un repas… Je n’ai pas besoin de beaucoup et je veux réduire, réduire, réduire… »

On a réussi à parler 5 minutes avec lui par téléphone alors qu’il se trouvait de passage sur Paris, avant de repartir dès le lendemain pour la Turquie. Il nous a raconté ses projets :

« Je suis vraiment excité, je vais chercher des musiques là-bas pendant deux semaines et puis après j’embarque sur un bateau en Mer Noire pendant un mois avec une équipe. On va enregistrer les sons des bateaux environnants, des ports, des avions, des conversations  radios… Avec tout ça on va créer une grande pièce sonore. »

Tomi Lebrero pour la collection Petites Planètes du Vincent Moon

Et la caméra dans tout ça ?  «Moi je vais filmer, heu, je sais pas… la mer quoi!»