28/11/2012

En deux ans, il a écrit pas moins de 4000 poèmes

Pendy Offmann, poète 2.0 et «académicien de la bite»

Par Carole Bailly

Pendy Offmann est un porn-poète de la rue et des cafés. À la Gad Elmaleh, il vous prend des mots (souvent orientés cul) et en imagine un poème. Seul défaut de sa carrière:«La Fontaine avait raison, je suis comme la cigale quand l'hiver arrive.»

Impossible de louper Pendy Offmann. Chapeau haut de forme, minuscules lunettes de soleil en fer forgé au bout du nez, grand col de chemise relevé et cravate bleu ciel à fleurs. Si le jeune homme de « moins de 30 ans » n’était pas juché sur une trottinette, on l’imaginerait téléporté d’un autre siècle. Mais il suffit de l’écouter quelques secondes déclamer sa « pornésie » (mélange de porno et de poésie) aux passants, amusés ou choqués, pour comprendre que ce gentleman est bien de notre époque.

Dans l’univers de Pendy, « bite » rime avec « orbite », «hémorroïdes » avec astéroïdes » et « cyprine » avec « grenadine ». Habitué des cafés bobos de Montorgueil et carrés VIP du Baron, il nous emmène dans un modeste troquet plus tranquille où il a ses habitudes, Céline Dion en fond sonore. « J’ai tes bouteilles, Pendy », lui balance le patron. Aaah, nous y voilà. L’image du poète maudit, de l’écrivain drogué et alcoolique. Baudelaire, Rimbaud, Bukowski et… Pendy. Ah non, en fait, il s’agit des bouteilles « TrendyDrink » que le poète distribue dans le quartier. « Je suis un poète associé avec une jeune startup qui vend des boissons alcoolisées. » Poète de startup, c’est un boulot ? Ben oui, puisqu’il vous le dit.

Poète express 20h, la terrasse de café du « Progrès », dans le 3e arrondissement de la capitale, est pleine à craquer. Pendy entre en scène, dégaine cahier et stylo. De table en table, il interrompt les conversations des clients pour leur demander… des mots. Puis, posé sur un coin de table, l’homme à redingote compose un quatrain express en quelques minutes.

« Les gens restent parfois un quart d’heure à une terrasse, et ils sont captifs pendant que vous composez, donc il faut que ça aille très vite. »

Il clame ensuite ses étranges poèmes, souvent scabreux mais toujours drôles, de groupes en groupes. Le prix de la performance est libre, mais attention, ses « clients » ne repartent pas avec le poème, ils payent pour « le sentiment qu’ils ont eu ».


“La poésie, je ne suis pas le premier à en faire, mais mon concept pour la vendre est unique.”


Photo : Clélia Lejeune

Ecole de commerce Mi-« saltimbanque », mi-homme d’affaires, rien ne destinait cet étudiant en commerce – qui avoue lui-même lire peu – à la poésie. Le déclic se fait après l’échec de ses études de commerce en 2010. Le jeune homme se demande alors ce qu’il veut vraiment faire de sa vie. Et là, l’idée s’impose comme une évidence : il sera poète, un point c’est tout. Problème : « Il n’existe pas de moyen de diffusion adapté aux poètes » et pas vraiment de business plan…

Qu’à cela ne tienne : Pendy a décidé de s’inspirer des méthodes de marketing actuelles : « C’est une tendance dans les entreprises de faire participer les consommateurs à la conception d’un produit. Par exemple, il y a Windows 7 qui s’est fait avec ses utilisateurs, ou My Major Company où les gens contribuent financièrement pour lancer un musicien. » Pourquoi ne pas appliquer le concept à la poésie en faisant participer les gens ? En attendant que My major poetry soit créé, et faute « d’une communauté de fans » pour le soutenir dans son entreprise, le poète auto-entrepreneur a décidé d’aller chercher ses financeurs directement dans la rue, ou plus précisément aux terrasses de café. « La poésie, je ne suis pas le premier à en faire, mais mon concept pour la vendre est unique. »

D’ailleurs, plutôt qu’artiste, Offmann se voit comme un « artisan » avec des horaires de bureau extensibles, « en fonction des aléas de la météo et du public ». Une chose est sure, il ne connait pas les 35h : « Je peux faire des journées de 13h à 1h du mat’.» Véritable stakhanoviste de la composition, il croise « jusqu’à 300 personnes par jour » et, en l’espace de 2 ans, il a produit en l’espace de deux ans entre 3.000 et 4.000 poèmes. De cette production délirante, Pendy en a tiré un recueil de poèmes il y a un an, qu’il vend au débotté aux terrasses de café. 900 exemplaires ont été écoulés de cette façon. Faut dire qu’il a trouvé le titre pour faire vendre : « Pornésie : 69 poèmes pour rester concentré ».

Elle demandait son Cacolac avec insistance
Ravageant le dit mouflon à la codéine
Que le bordel abandonne la consistance
De son anus aux repas fastueux de lutéine
Au bandage de ses yeux séniles
Les braquemards seront tous anonymous
Que la lecture de StreetPress au Chenil
Caresse sa chair et son anneau qui mousse.

L’académicien de la bite Obsédé du cul Pendy? C’est vrai qu’à l’écouter déclamer ses poèmes étranges de levrettes et de foutre magique, on aurait de quoi se poser la question. Pourtant, ce proxénète des mots se défend de toute grivoiserie gratuite. « En prenant les mots des gens sur les terrasses, je me suis rendu compte qu’il y avait une réelle demande pour ce type de choses un peu… décalées. » Ce don pour manier les mots les plus cochons lui a valu le surnom d’ « académicien de la bite » par un de ses amis, titre dont il n’est pas peu fier. Parce que Pendy ne cherche pas exactement la gloire, il serait plutôt du genre à vouloir démystifier son étrange profession. « Les gens ont tendance à sacraliser la poésie. La première réaction des gens c’est « waouh, t’es poète ! »

Pendy préfère la poésie libre-service et s’amuse de l’utilisation de son livre par ses clients. Il raconte par exemple que quelques-uns d’entre eux ont transformé son recueil en un jeu de société un peu particulier : « On lance un dé, celui qui a le plus gros score doit lire un poème et c’est à celui qui fera le plus marrer les copains en lisant ma pornésie. Il y a peut-être un jeu à boire derrière, je ne sais pas. » Il préfère que ses poèmes servent à animer des soirées de beuveries aux « jeunes filles en fleur qui veulent découvrir leur sexualité à travers mon livre. Le porno n’a jamais éduqué personne. » Une autre fois, c’est une femme de 84 ans qui lui en a acheté un pour l’offrir à une amie. Son utilisation, il l’ignore… La « pornésie » séduit même, selon lui, les VIP : MC Solaar, Jean Dujardin, Arnaud Montebourg, Didier Bourdon ou encore Laurent Baffy l’auraient déjà acheté.

Cependant, pour les gens qui rêveraient de lâcher études et boulot pour aller hurler les mots « foutre » et « poutre » dans la rue, sachez que ceci n’est pas réellement un métier, mais « plutôt une vocation ». D’ailleurs la morale est sans appel : « La Fontaine avait raison, je suis comme la cigale quand l’hiver arrive », sourit Pendy. Quand la bise vient, il se trouve donc fort dépourvu. Il cherche d’ailleurs un travail plus rémunérateur.


Un reportage sur Pendy