14/03/2019

« On se dit qu’on n’est pas tout seul, ça fait du bien. »

Il vend des pin’s pour offrir des coffrets cadeaux aux gilets jaunes blessés

Par Mathieu Molard

Emmanuel Joly a décidé de soutenir les gilets jaunes blessés à sa manière. Avec son imprimante 3D, il crée des pin’s gilets jaunes et les vend sur internet. Les fonds récoltés permettent d’offrir des box cadeaux aux victimes.

Sur son profil Facebook, Vanessa apparaît maquillée. Les lèvres rouges, le regard souligné d’un trait de crayon. C’est une photo d’avant. Avant qu’une « balle de défense » ne percute son visage. 41 grammes de caoutchouc tirés à plus de 300 km/h. « Depuis ma vie a basculé », lâche la trentenaire :

« Je ne serai plus jamais la même personne. Il faut apprendre à vivre avec ça. »

Les chirurgiens « ont bien travaillé », raconte Vanessa. Grâce à trois plaques de métal glissées sous sa peau, son visage a repris (une jolie) forme. Reste une cicatrice, assez discrète. Et puis tout ce qui ne se voit pas. La perte de vue. « L’acuité visuelle est limitée à 1/20 ème », constate l’un des toubibs dans un certificat médical. La douleur persistante. Les pertes de mémoire. Les messages d’insulte sur les réseaux sociaux. La peur de ressortir aussi.

Au milieu de ce flot de mauvaises nouvelles tombe un message sur Facebook : un anonyme lui propose un coffret cadeau. « C’est qui ces gars ? Au début je n’y ai pas cru… », rembobine la jeune femme. « Ils m’ont demandé de choisir une box. J’ai dit un truc de détente, un peu au hasard. » Et puis le « coffret spa détente » est arrivé dans sa boîte aux lettres :

« Je le garde pour plus tard. Pour l’instant ce n’est pas compatible avec ma santé. Mais ça fait vraiment plaisir de savoir que des gens nous soutiennent. »

Des pin’s solidaires

Son bon samaritain s’appelle Emmanuel Joly. Cet ingénieur du son, militant de la France insoumise et gilet jaune, galère à trouver du taf. Pour arrondir les fins de mois, depuis quelques temps déjà, il fabrique des pin’s aux couleurs de son parti avec son imprimante 3D. Il les vend en manif, dans les meetings et sur le site la la-boutique-militante.com.

Quand, début décembre, il découvre les témoignages des premiers blessés, il décide de « faire quelque chose » pour eux. Avec ses modestes moyens. Il commande alors une première bobine de filament jaune – « biodégradable », précise-t-il – et crée la page et le groupe Facebook Pin’s gilets jaunes. Son idée : financer des wonderbox avec les bénéfices.

Depuis, sa petite (auto)entreprise tourne à plein régime. Au point qu’il n’a plus vraiment le temps d’aller aux manifs des gilets jaunes. « Je fabrique 15 pin’s à l’heure », détaille-t-il au téléphone :

« J’ai mis ma pub dans environ 1.500 groupes de gilets jaunes et il faut aussi contacter les blessés. On essaye de trouver ceux qui ont des cagnottes qui ne marchent pas trop, les oubliés. »

En trois mois, il a écoulé près de 2.500 pin’s et ainsi offert 16 boxes (l’entreprise Wonderbox lui a également offert 165 euros en bon d’achat). Il n’est plus tout seul dans son aventure. Quatre gilets jaunes lui filent un coup de main : Fab, Chris, Soso et Ness. Vanessa a également rejoint l’équipe, après avoir bénéficié de leur aide .

Groupe de parole

« Ils m’ont apporté un gros soutien. Alors j’ai eu envie de faire quelque chose à mon tour », explique-t-elle. Car en plus d’offrir un coffret cadeau, la petite équipe tente d’apporter des renseignements et un soutien psychologique aux victimes. « On leur indique des psys », précise Emmanuel. « Un sophrologue passe aussi du temps au téléphone avec les blessés ». La petite équipe a également monté une sorte de groupe de parole sur Facebook. « On y discute presque tous les jours », détaille Vanessa, désormais surnommée la marraine des blessés :

« Il y a des choses, un peu intimes, que seuls d’autres blessés peuvent comprendre. »

Sébastien, blessé lors du IXème acte, a lui aussi bénéficié d’une box cadeau :

« J’ai choisi un restaurant que j’ai offert à ma soeur, parce qu’elle me soutient beaucoup. Elle s’occupe de tous les papiers et de toutes les démarches. Je voulais qu’elle passe un bon moment avec son mari. »

Le déménageur, Sébastien, a été touché par le geste « de fraternité » d’Emmanuel et ses amis :

« On se dit qu’on n’est pas tout seul. Ca fait du bien. »

Le 12 janvier, à deux pas de l’Arc-de-Triomphe, un premier tir de LBD le touche à la main. Une quinzaine de minutes plus tard, en colère, il adresse un doigt d’honneur à un policier. En guise de réponse, le fonctionnaire le vise et appuie sur la gâchette. Une « balle de défense » lui écrase le visage :

« Je suis tombé, inconscient. »

Il se réveillera une heure plus tard à l’hôpital, mâchoire fracassée et cinq dents arrachées. Deux mois plus tard, il ne peut toujours pas ouvrir la bouche plus de deux ou trois centimètres. « J’avale de la bouillie. Même pour manger un morceau de pain, je dois faire une mouillette », raconte-t-il :

« Je ne sais pas si un jour ma mâchoire fonctionnera comme avant. »

La colère pointe dans sa voix. Sébastien a porté plainte. « Je veux qu’ils payent pour mes dents. Ca coûte cher, surtout avec ce que je gagne… »

Afin de l’aider à prendre en charge les différents frais liés à sa blessure, une amie de Vanessa a monté une cagnotte en ligne, ici. On vous racontera son histoire plus en détail, dans un documentaire diffusé bientôt sur StreetPress.