18/10/2019

Doigt d'honneur, insulte et incident raciste

Le journaliste Gaspard Glanz jugé pour un doigt d'honneur à un CRS

Par Mathieu Molard

Le 20 avril dernier, le journaliste Gaspard Glanz, qui venait d'être violemment bousculé par un CRS, avait adressé un doigt d'honneur au fonctionnaire. Récit d'un procès, émaillé d'un incident raciste contre un autre journaliste : Taha Bouhafs.

Verdict

Ce vendredi 15 novembre, le tribunal a rendu son verdict. Le journaliste Gaspard Glanz est condamné à 30 fois 10 jours-amendes, soit 300 euros. Deux fois 100 euros au titre du préjudice moral. 400 euros de frais de justice. Et 127 euros de frais de tribunal. Soit au total 1.027 euros.

Tribunal de grande instance de Paris – Assis au premier rang, Gaspard Glanz attend patiemment son tour. Les audiences se succèdent dans le calme. Quand subitement, le Président du Tribunal interrompt une plaidoirie. Il se tourne vers le fond de la salle et lance à l’intention du journaliste Taha Bouhafs : « monsieur avec le sweat bleu, qu’est ce que vous faites ? Oui vous ! » « – Je suis sur mon téléphone… », répond notre confrère venu couvrir le procès pour le média en ligne Là-bas si j’y suis. Assis à ses côtés, je lève mon nez… de mon portable. Comme plusieurs autres reporters, j’ai le regard vissé sur mon téléphone, peu attentif à une affaire que je ne couvre pas. « L’usage du téléphone est réservé aux professionnels », poursuit le magistrat sans envisager une seule seconde qu’un jeune homme d’origine arabe puisse être journaliste. Stupéfaction dans la salle. Taha décline sa fonction et précise même s’être signalé auprès d’un agent de police à l’entrée dans la salle. Prenant conscience, semble-t-il, du caractère raciste de son intervention, le président s’embarque dans une explication alambiquée (1). L’incident dure quelques minutes, puis l’audience reprend son cours.

Une histoire de doigt

11h30, Gaspard Glanz est appelé à la barre. Il comparaît pour « outrage sur personne dépositaire de l’autorité publique ». Deux policiers se sont portés partie civile. Le 20 avril dernier, il couvre pour Taranis News l’acte 23 des Gilets jaunes. Alors qu’il a sa caméra braquée sur les CRS, une grenade de désencerclement éclate à ses pieds. « S’il n’avait pas son équipement il repartait sur une civière », détaille son avocate Ainoha Pascual. « Il a l’intime conviction qu’il est visé par la grenade de désencerclement. » Secoué, le journaliste se dirige d’un pas décidé vers les fonctionnaires. « Il est où le commissaire », répète-t-il d’une voix forte. L’un des policier le repousse violemment. Rien d’anormal, selon l’avocat des deux policiers partie civile :

« C’est une règle élémentaire du maintien de l’ordre face à un individu menaçant. »

Dans un coup de sang, le journaliste adresse un doigt d’honneur au fonctionnaire qui vient de le projeter. Un geste qu’il juge aujourd’hui « inapproprié ». « C’est une réaction épidermique », explique-t-il. Il est également accusé d’avoir traité « d’enculé », l’un des fonctionnaires. L’insulte fait l’objet d’un long débat. Aucun des deux plaignants ne l’a entendue directement en raison des « bouchons d’oreille » qu’ils portent en manifestation, expliquent-ils dans leurs dépositions. C’est un autre policier, interrogé comme témoin, qui rapporte ces propos. « Je suis équipé de six caméras qui tournent en continu, donc six micros et à aucun moment on ne m’entend dire ça », s’indigne Gaspard Glanz.

Les images sont diffusées dans la salle. D’abord une vidéo de l’agence Hors Zone press, puis celles tournées par la caméra embarquée du journaliste. Chacun tend l’oreille. Nulle trace de l’insulte. L’avocat des policiers a son explication : Gaspard aurait fait un montage de la bande son et coupé le moment opportun. A la barre, vêtu d’un pantalon beige et d’un sweat à capuche noir, le prévenu bouillonne en entendant ces accusations.

Quelques secondes après le doigt d’honneur, Gaspard Glanz est interpellé et placé en garde à vue pendant 48 heures. « Une atteinte à la liberté de la presse », juge son second avocat Raphaël Kempf : le placement en garde à vue, excessif selon lui, l’a empêché de faire son job.

Ils plaident la relaxe

Aucun des deux fonctionnaires ne s’est présenté au tribunal, ce vendredi 18 octobre. Ils sont représenté par l’avocat Jérôme Andrei. Un spécialiste de ce genre de dossier. Dans sa plaidoirie, il insiste sur l’apparence « menacante » du journaliste. « Plus grand que les policiers, équipé d’un casque et d’un masque. Muni d’une perche [pour l’une de ses caméras] qui aurait pu servir d’arme ». Il demande 300 euros au titre du préjudice moral, pour chacun de ses clients.

Relisez notre enquête : Le business des outrages

Reste à démontrer le préjudice moral, selon maître Kempf : « Je n’ai, dans la procédure, aucun élément qui permet de démontrer qu’il y a eu préjudice ». Et de pointer, rapport du ministère de l’Intérieur à l’appui, la fâcheuse manie de certains policiers à multiplier les plaintes pour outrage. Il conclut en demandant la relaxe de son client. Quelques instants plus tôt, Ainoha Pascual de plaider :

« Avec la garde à vue, au cours de laquelle il a souffert de déshydratation sévère, M. Glanz a déjà suffisamment payé. »

De son côté le Procureur de la République requiert « 30 jours amendes à 10 euros ». En clair Gaspard Glanz devrait s’acquitter d’une amende de 300 euros sous peine d’être condamné à 30 jours de prison. Délibéré le 15 novembre.

(1) – « Ce n’est pas contre vous. Je ne peux pas savoir qui est journaliste et qui ne l’est pas. Vous n’êtes pas venu me voir. Je suis en charge de la police de ce tribunal. » Après quelques interventions, notamment de Maître Kempf qui a rappelé qu’il était d’usage de laisser tweetter les journalistes, il finit par demander à l’ensemble des journalistes de venir se présenter à la prochaine suspension d’audience. Il laissera finalement tomber cette idée.