06/12/2021

L’entreprise a mis en place une politique de filtrage

« Le spécialiste de la location de luxe dans les Alpes » refuse de louer aux gens du voyage

Par Clara Monnoyeur ,
Par Mathieu Molard

Le groupe Alpine Collection, spécialiste des locations de luxe dans les stations de ski ne veut plus de « gitans » dans ses logements. Il a mis en place un système de discrimination illégal. Enquête.

Flocons de neige, paysage de montagne, fondue, piscine… Sur la première page du site internet d’Alpine Résidences, les images qui défilent font rêver. Le groupe se présente fièrement comme « le spécialiste de la location de propriétés de luxe dans les Alpes françaises ». La société, filiale du groupe Alpine Collection, est implantée dans trois stations : Courchevel, Les Gets et Val d’Isère. Elle propose des séjours haut-de-gamme, allant d’une centaine d’euros la nuit à plus de 1.000 euros. Mais derrière les paysages féériques et les appartements luxueux, l’entreprise met en place depuis deux ans un système discriminatoire envers les gens du voyage. Au sein de leurs quatre résidences présentes à la station des Gets, tout serait organisé pour les empêcher de réserver. La raison ? Les « gitans » seraient une clientèle difficile à gérer, tapageuse et qui entacherait leur image. StreetPress s’est procuré des mails internes à l’entreprise et s’est entretenu avec un membre de la société, qui confirment la mise en place d’un système de discrimination illégal. La direction, quant à elle, n’a jamais répondu à nos questions.

Sites internet bloqués

« Comme vu ensemble dans l’hiver, j’ai volontairement bloqué les semaines des gitans pour 2021 sur Résalys [logiciel qui permet de gérer les réservations]. Ce sont les deux semaines du 09 janvier au 23 Janvier. Nous avons déjà eu des appels téléphoniques hier.. Nous continuons bien sûr à valider les réservations pour cette période avec nos partenaires habituels », peut-on lire dans un mail de septembre 2020 signé par la responsable locations d’Alpine Résidences au directeur du groupe Morgan Bientz. La consigne semble claire.

La station de Gets en Haute-Savoie, plus particulièrement sur cette quinzaine au cœur du mois de janvier, aurait la faveur des gens du voyage. C’est en tout cas ce que croit savoir la direction d’Alpine Résidences.

Pour les empêcher de réserver des logements dans leurs quatre résidences, l’année dernière, le groupe a donc décidé de bloquer la réservation via leur site internet, mais aussi via tous les sites « partenaires » comme Airbnb, Booking.com, Expédia…

Pour cette saison 2021-2022, la résidence souhaite réitérer le blocage des réservations pour les gens du voyage. Dans un nouveau mail d’août 2021, la responsable locations indique : « Nous commençons à recevoir des appels des gens du voyage pour des réservations en janvier 2022. Les semaines que nous avons identifiées comme étant “prisées” par cette clientèle sont celles du 15 au 29 janvier. L’année dernière nous avions bloqué ces deux semaines en hors vente sur Résalys pour éviter tout débordement, comme connu les années précédentes. Comment souhaiteriez-vous procéder cette année ? »

Pour ne pas perdre trop d’argent non plus, cette année la consigne serait finalement orientée vers le blocage uniquement des grands appartements de 12, 14 et 16 personnes.

Un « filtrage » discriminatoire au téléphone

Mais le blocage ne se fait pas uniquement via Internet. Il y aurait, selon cette source interne, un système de filtrage par téléphone pour les personnes qui contactent directement la résidence. Un mail confirme ses propos. Été 2021, la responsable location écrit : « Nous arrivons à “filtrer” par téléphone mais les gens du voyage réservent de plus en plus sur booking.com car tous les hébergeurs les refusent ». Elle décrivait aussi cette pratique dans un mail de l’année précédente :

« Pour information, nous sommes déjà en train de “filtrer” et de gérer les appels des gens du voyage depuis début septembre. »

Selon cette source interne, si les personnes sont identifiées comme étant des « gens du voyage », elles seraient dans tous les cas refusées, peu importe le nombre de personnes et la taille de l’appartement. Les équipes de la réception et de la centrale de réservation – qui reçoivent les appels – leur répondraient simplement qu’il n’y a pas de disponibilité.

Mais comment les identifier ? Il n’y aurait pas eu de consignes précises données aux personnes qui reçoivent les appels. Mais cela se ferait « au niveau de la voix, du nom de famille, voire du nombre de personnes. » juge-t-il. La source interne continue :

« Au final les consignes données sont assez simples, on nous dit qu’il faut empêcher les gens du voyage de réserver et c’est tout. Tout le monde est d’accord. »

Les propriétaires refusent eux aussi de louer leur appartement durant cette période

Certains propriétaires de la résidence seraient eux aussi au courant de cette pratique. En effet, certains logements appartiennent à des privés, qui mettent en gestion leur bien avec Alpine Résidences. Parmi eux, certains seraient même d’accord pour ne pas louer leur appartement pendant les deux semaines où les gens du voyage seraient présents à la station. Dans le mail d’août 2021, il est écrit :

« Concernant les propriétaires : certains nous font eux-mêmes la demande de bloquer leur appartement à cette période… Pour ceux qui demandent pourquoi leur appartement était “hors vente”, nous arrivons facilement à le justifier, et ils nous rejoignent sur ce point. »

« L’image haut de gamme de la résidence est largement desservie »

La direction de la société, contactée par StreetPress à plusieurs reprises, n’a pas répondu à nos sollicitations. Pour comprendre ses motivations, il faut encore une fois se contenter de ce qui est écrit dans les mails que Streetpress s’est procurés. Il y aurait eu tout d’abord des « incidents » lors des dernières saisons, peut-on lire. Dans un mail de septembre 2020, la responsable location écrit que « le blocage des semaines a été validé » et vu avec le directeur du groupe, depuis les « conflits de l’année dernière avec les gens du voyage ». Dans son mail, elle poursuit en énumérant les clichés racistes :

« C’est une clientèle difficile à gérer sur place, et pour avoir passé deux semaines à la gendarmerie (tapage nocturne, effraction agence, dégradation, bagarres, menaces de mort), je peux garantir que ce ne sera pas gérable l’année prochaine. »

Toujours dans le même mail, l’auteure ajoute : « D’autant plus que les dégradations et conflits dus aux gens du voyage touchent aussi les autres locataires présents, et l’image haut de gamme de la résidence est largement desservie ». Avant de conclure : « Pour toutes ces raisons, et surtout pour garantir les meilleures conditions possibles aux locataires et à l’équipe, je ne suis pas pour ouvrir à la réservation en direct sur ces deux semaines. »

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