09/10/2023

À Lyon, les profs’ et les parents d’élèves se mobilisent pour héberger les familles à la rue

Nour, Muhammad et Fabiola dorment dans leur école primaire

Par Oriane Mollaret

Nour, Muhammad, Fabiola ou Ermina n’ont pas plus de dix ans. Leurs enseignants et des parents d’élèves les hébergent avec leur famille dans leur école, à Lyon. Un îlot de stabilité dans la vie de ces enfants à la rue.

Lyon (69) – « Avant, on avait une maison. Maintenant, c’est ici ! » Nour (1) a quatre ans et un regard espiègle sous des boucles brunes. Quand elle dit « ici », l’enfant parle de son école primaire Gilbert Dru, dans le 7e arrondissement de Lyon. Le soir, quand ses camarades rentrent chez eux, Nour reste en classe. Les institutrices étendent ensuite des matelas. Depuis le 18 septembre, la petite, ses quatre frères et sœurs, et leur mère Samira, dorment là. Une autre salle de classe accueille Ermina et Fabiola, dix et huit ans, leur petit frère et leurs parents. Albanais, le couple a fui « des problèmes familiaux » et a demandé l’asile en France, qui lui a été refusé. Comme pour Samira, le seul point d’ancrage restant était l’école de leurs enfants.

Depuis 2013, l’établissement scolaire Gilbert Dru est occupé chaque année pour loger des élèves en grande précarité, leurs frères et sœurs et leurs parents sans-abri. Actuellement, trois familles dont dix enfants scolarisés dans l’école y sont hébergées. Un îlot de stabilité pour Nour, Leïla, Amina, Muhammad, Ermina, Fabiola, Fatima, Anfal, Ahmed et les autres.

Sarah et ses enfants ont fuit la guerre en Syrie et dorment dans la salle de musique de l'école. / Crédits : Moran Kerinec


Actuellement l'école accueille trois familles dont dix enfants scolarisés dans l’école. / Crédits : Moran Kerinec

La rue et le 115

« Ne me prends pas en photo, sinon on va savoir que je dors à l’école ! », s’alarme Leïla (1), neuf ans, la sœur aînée de la petite Nour. Cet été, les fillettes ont dormi dehors, sur la place Carnot, dans le centre-ville de Lyon. Puis devant l’hôpital, quand Leïla est tombée malade. Nour n’a jamais vraiment eu de maison en réalité. Elle a grandi dans un squat de la ville, qui a été expulsé. Il y a ensuite eu les hôtels dégotés par la métropole de Lyon, qui au titre de sa compétence en protection de l’enfance, doit prendre en charge les femmes enceintes à partir de six mois de grossesse et les mères isolées avec enfant de moins de trois ans. Les quatre ans de Nour en août, les ont mis à la rue. Reste l’hébergement d’urgence saturé : le fameux 115 que Samira appelle sans relâche. La mère, gênée, préfère taire les raisons qui l’ont poussée, en 2019, à fuir l’Algérie avec ses enfants.

Plus loin, la salle de musique est occupée par la famille de Muhammad, six ans, qui dort presque debout. Lui, sa fratrie de quatre et ses parents ont fui la guerre en Syrie. Ils sont passés par le Liban, puis par l’Égypte. « Là-bas, on m’a dit d’aller en France, que c’était un pays accueillant », raconte le père, Youssef. À Lyon, un logement a été proposé à sa compagne et aux enfants. Lui serait resté à la rue. Mais la famille refuse d’être séparée. « On a dormi dans des parcs, des jardins, à la gare… » Youssef jette un regard inquiet au petit dernier, Ahmed, un bébé de neuf mois au visage boursouflé par les piqûres d’insectes.

Au début, en 2013, les familles hébergées sont majoritairement Albanaises, Géorgiennes ou Algériennes. À l’image de l’immigration lyonnaise. Aujourd’hui, il y a aussi des Syriens et surtout de plus en plus de mères seules avec de nombreux enfants.

Une des enfants des Youssef et Sarah, mange les plats préparés par les enseignants et les parents d'élèves. / Crédits : Moran Kerinec


Une autre salle de classe accueille Ermina et Fabiola, dix et huit ans, leur petit frère et leurs parents. / Crédits : Moran Kerinec

66 élèves hébergés en dix ans

28 enfants âgés de cinq mois à 16 ans sont actuellement hébergés dans cinq établissements lyonnais (2) du réseau Jamais sans toit. Pionnier de ces occupations, le groupe scolaire Gilbert Dru a servi de refuge à 66 élèves sur les dix dernières années. Avec sa classe pour allophones, l’établissement reçoit de nombreux écoliers d’origine étrangère, souvent dans des situations administratives précaires, explique Pascale Minet, directrice de l’école primaire de 1997 à 2020.

Dès les années 90, un logement de fonction désaffecté est mis à disposition d’une famille qui dormait dans sa voiture. D’autres sont hébergées chez des enseignants. En 2010, Guilherme, un père de famille congolais en situation irrégulière, est interpellé alors qu’il dépose ses enfants à l’école. En protestation, des enseignants et des parents d’élèves occupent le bâtiment. En 2013, une nouvelle occupation se transforme cette fois en hébergement, pour loger des fillettes scolarisées. Pascale Minet contextualise :

« C’était le seul endroit qu’on connaissait. On n’a pas vu d’autre solution à l’époque et je n’en vois toujours pas ! »

Les lits et doudous des enfants de Youssef sont empilés dans un coin de la salle de musique. / Crédits : Moran Kerinec

Depuis, l’initiative lyonnaise a essaimé à Strasbourg (67), Grenoble (38), Rennes (35), Argenteuil (95), Ivry (94), Pantin (93), Paris 18e et 20e.

Lors des premières occupations, la municipalité de Gérard Collomb menaçait d’envoyer les forces de l’ordre – mis à exécution en 2016. Aujourd’hui, le système est toléré et le chauffage reste allumé la nuit. En décembre 2021, la ville de Lyon a même annoncé un plan « zéro enfant à la rue » : 100 nouvelles places d’hébergement d’urgence et la mise à disposition des bâtiments municipaux pour y loger des familles. Deux ans plus tard, force est de constater son échec.

L’hiver arrive

Il est 19h30, Muhammad se jette avec avidité sur le blé aux concombres préparé par les institutrices et les parents d’élèves. Pendant que les enfants dévorent leur repas dans un silence forcé par la barrière de la langue, les institutrices cherchent désespérément du produit vaisselle. Nourrir 13 enfants et six adultes matins et soirs n’est pas une mince affaire. Sans compter que chaque nuit, un enseignant ou un parent d’élève dort avec la famille. Le week-end, c’est l’hôtel – quand le budget le permet.

Chaque nuit, un enseignant ou un parent d’élève dort avec la famille. Le week-end, c’est l’hôtel - quand le budget le permet. / Crédits : Moran Kerinec

Nour est ravie de dormir à l’école. Alors que sa mère et ses sœurs installent les lits, la petite fille court s’enfouir sous un tas de couvertures en riant. L’aînée de la fratrie, une lycéenne de 16 ans, la regarde chahuter avec un sourire triste. Quelques classes plus loin, la famille albanaise se réjouit : l’école leur a trouvé un vrai matelas deux places. « Aujourd’hui, on se substitue aux pouvoirs publics », regrette Charlotte, parent d’élève :

« Ces familles ont tout perdu. La bascule va très vite, on l’a vu avec l’Ukraine. Ce que les gens ne comprennent pas, c’est qu’un jour ça pourrait être eux, dans l’école. »

Le dernier recensement de Jamais sans toit – toujours en cours – fait déjà état d’au moins 113 enfants sans-abri à Lyon, soit quatre fois plus que l’an dernier. À l’échelle nationale, un mois après la rentrée, l’Unicef recense 2561 enfants à la rue, dont près de la moitié a moins de trois ans. Un triste record.

Chaque soir, les enfants attendent devant l’école jusqu’à 19h avant de pouvoir y trouver refuge. / Crédits : Moran Kerinec

(1) Les prénoms ont été modifiés.

(2) Édit le 9/10/2023, un collège de Villeurbanne a décidé de l’occupation des locaux ce jour, pour mettre à l’abri une famille de sept personnes dont cinq enfants.

Photographies de Moran Kerinec. Sur la Une, Nour, sa sœur aînée et leur mère, Samira, dans la salle de classe où elles dorment.